28. Décembre 2006 - Je(u) cruel

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(5 mois de route sur papier, je m'étale un peu sur le coup)

5 Décembre 2006, réveil qui n'en est pas un, j'ai quasi pas dormi, la tête qui n'en peut plus d'avoir mal, le cerveau qui va exploser et cette toux de merde qui dure et m'empêche de dormir et même de rester allongé. Il fait pas froid…nouveauté…c humide, le jour n'est pas levé que je mets en route le réchaud. Ca marche bien.. repas riz blanc, un thermos d'eau chaude et je vais quitter ce bord de route car rester là c penser et repenser…c pas bon quand on a de la fièvre.

Un matin presque comme les autres sauf qu'il y a des arbres, les gens portent des habits colorés sans veste avec des tongs. Premiers visages du matin, premiers regards. Les femmes sont belles, très belles dans leur sari. Regard de braise et moi je monte sur LOLA au regard fatigué…60 ème jour de vélo non-stop, 50 ème jour que j'ai pas eu une douche, un hôtel, un repas autre que soupe de nouilles et riz et pourtant j'arrive pas vraiment à me réjouir.

105 km . C quoi ? y'a du goudron et des klaxons. On est chez les hommes. Ce soir je serai a Kathmandu. L'idée, faute de rentrer les bosses faciles les rend raides et moi je suis fatigué et puis je veux pas arriver, je veux pas qu'on me dise bravo, t'es arrivé ! Le brownie et le steak éventuellement je les prends ! Mais on n'arrive pas du Tibet, on n'arrive pas de 15 mois de voyage. Alors on fait quoi ?

Je sais pas. On roule et après on réfléchit!

Et là l'homme retrouve le monde et cette page blanche que j'ai besoin de remplir, pas vraiment pour vous. Pour moi je crois. La plupart des gens croit que l'écriture est un acte que l'on fait pour les autres . En fait, je crois qu'on écrit pour soi. D'ailleurs, si je me disais que j'étais lu, est-ce que j'écrirais ? Mon premier gros voyage m'avait mené dans cette ville, premiers carnets. A l'époque je les appelais « personnes » car je savais qu'ils seraient jamais lus. Je les écrivait pas pour être lu de toute façon.. un peu comme la toux…les mots doivent sortir à un moment donné pour prévenir les maux sûrement ! A cette époque, je commençais tjs mes carnets par cette phrase de Hubert Félix Tiéphaine que j'adore peut-être pour la définition de la vie qu'elle contient : » voici les photos de maroute, prises par avion, par nuit de brouillard, dans ce vieux catalogue des doutes aux pages moisies par le hasard, à tjs vouloir être ailleurs puis roman de nos têtes brûlées, on confond les battements de son cœur avec nos chaînes encrassées, bourlinguer, errer… »

Alors aujourd'hui je me décide à livrer les photos de ma route. A quand remonte le dernier mail ? Loin, très loin…Bishkek ! Allez, retour….C parti !!!!

Refaire la route jusqu'à mon dernier mail commun…marche arrière pas facile. Certains moments viennent directement à l'esprit laissant peu de place au reste… et puis la mémoire est parfois traître. J'ai cru la mienne bien meilleure que ce qu'elle n'est en réalité. On me ratera pas sur ce point alors c sans prétention que je vais essayer !

Bishkek… une semaine de gde vie se termine, luxe d'un appart, d'un chez-soi, de plein de bouffe, de plein d'internet…mais voilà, il est tps de quitter Romain, fidèle compagnon de route et de descendre l'escalier de l'appart et aller alla guest house où tout le monde reste pour récupérer Nicolas, un argentin qui veut rouler un peu avec moi. Est-ce que j'ai le goût de rouler avec quelqu'un ? Au fond de moi pas trop mais comment dire non. C un jeune cycliste ( 1000 km ) et je ne peux pas refuser un peu d'expérience qui m'aurait tant rendu service au début.

Alors vers 11h, on part doucement. C la saison des framboises. Je m'arrête faire le plein. Forcément, Nico s'étonne de ma lenteur à pédaler et de cet achat. T'inquiète gringo, mange bien et tu pédaleras longtemps, pédale doucement et tu iras sûrement. C marrant, tout le monde croit qu'on est des cyclistes affûtés qui roulent à fond… moi mon truc c la lenteur. Ca veut pas dire que j'avance pas mais j'aime être régulier dans l'effort, jamais souffler et jamais avoir mal aux jambes… avec ça on est souvent les plis rapides.

Quand t'es pressé… prends ton tps…Y'a que ça de vrai ici et en vélo !

Le soir, je découvre que le porte-bagages de Nico fait la gueule. Le pauvre a pas de scotch US. Réparation sommaire mais le lendemain il lui faut retourner à Bushkek pour réparer. Finalement, la vie est bien faite et me revoilà de nouveau seul.

Au début, ça fait drôle. Des fois je me retourne pour chercher du regard le T-shirt orange de Romain. Ah oui, c vrai , il est à Bishkek attendant le grand jour en piétinant !!

Mais les réflexes de solitaire reviennent vite, très vite, assez pour se dire que finalement, sur 10 mois de voyage, j'en ai quand même fait 8 tout seul donc je suis pas inquiet, ça me va bien même !

Lonely Planet annonce une belle route mais en fait ce sera profondément ennuyeux. Peut-être que la route est belle mais il y a tellement de trafic que c difficile d'apprécier le paysage. D'autant que faut connaître le conducteur kirghize pour comprendre. Il a cette idée que plus tu conduis vite et bourré, plus t'es un bon pilote. C pas qu'il conduit mal mais j'ai rarement vu pilote aussi inconscient…. A 120 dans les villages, pas de soucis mais le gros souci c la vodka. Ici un litre de vodka coûte moins de 1 dollar et ils sont convaincus que c bon pour la santé et que ça rend plus fort alors… ils consomment ! A tous les kms, tu peux trouver une voiture arrêtée et ses passagers, chauffeur compris, en train de trinquer à la vodka ! J'ai jamais aimé la vodka.. sûrement un arrière-goût de digestion difficile de ma première cuite mais maintenant je veux même plus en entendre parler. Je peux plus voir ces mecs bourrés, défoncés, détruits par un peu de liquide… Que l'homme est faible parfois !

Ces mecs sont des dangers ambulants. Des fois tu vois une voiture te doubler et puis quand elle s'arrête, tu t'aperçois que le chauffeur arrive pas à marcher.. Y'a des moments tu te dis c le suicide le vélo au Kirghizstan ! Il semble que les kirghizes sont des ivrognes finis et ça j'aime pas mais il y a l'autre partie du Kirghizstan qui restait à ce moment là à découvrir.

Mais finalement, à force de rouler, le lac apparaît, le fameux lac Isik Kul, fierté des kirghizes ! C vrai, il est beau. D'ailleurs, il appelle le plongeon. Du coup, le soir arrivé, je monte la tente à côté de lui, prends un bon bain mais je le regrette vite car c infesté de moustiques ! Il me faut plier retraite dans la tente pour fuir un nuage qui me tourne autour de la tête et qui ne craint pas la bombe anti-moustiques !

A Bishkek, j'avais eu l'immense joie de recevoir un colis plein de belles choses pour améliorer ma vie (merci à ts ceux qui l'ont rempli). Plein de petits luxes dont un petit lecteur MP3 ! Au début… sceptique. Je suis finalement tombé sous le charme. Je l'avais chargé de plein de musique outre celle avec lesquelles il avait été livré et j'avais une arme en or ! Du coup, mon MD est reparti en France avec la copine de Romain (merci Sarah), mon fameux MD que je trimballe depuis 4 ans un peu partout et qui m'avait tjs été si bon ami ! Mais le MP3 était tellement mieux sauf… qu'il y a des choses que la technologie assimile mal et en plein « Manu », forcément, le truc c éteint net et ne se rallumera plus jamais ! Au début, je pensais que c'était les piles mais non ! Ca devait être écrit…. A partir de maintenant, c sans musique et c comme ça, pas la peine de se plaindre.

A grand renfort de myrtilles et de framboises vendues un peu partout le long des routes, le Kirghizstan a été décrété pays du plaisir alors je me lâche : tous les jours un snikers, tous les jours un dessert et des fruits puis… fini les pâtes mayo, place au riz avec tomates fraîches et oignons revenus dans l'huile. Ca prend du temps, de l'essence mais c tellement bon. Je porte même du sel… Le grand luxe ! Alors j'avance pas vite, le luxe, faut savoir en profiter, ça dure jamais assez longtemps ! Mais malgré tout, quand on veut pas arriver, on arrive tjs plus vite que prévu et Karakol est déjà là ! Enfin, presque là. Je voulais y arriver ce soir, je pouvais y arriver ce soir mais faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Coup d'œil derrière sans savoir pourquoi. Pourquoi regarder devant soi ? Pour s'assurer d'avoir avancé ? Non, sur ce genre de route, c plus pour prévenir le prochain coup de klaxon, s'attendre à ce savoureux bruit , c déjà une victoire mais là mes yeux se posent sur le ciel noir, très noir, ça arrive, ça va pas me rater c sûr. Première à droite, 2 m2 d'herbe, 2 minutes chrono, le vélo est désossé de ses sacoches, la tente montée, je suis en train de fermer avec douceur la fragile fermeture éclair de ma tente…L'orage est violent mais jamais long, juste un mauvais moment à passer dans cette tente qui est fatiguée de me protéger, ça goutte ici, ça s'infiltre là, le message est clair…va falloir scotcher. Pas de soucis, ce sera fait ! C comme ça, même la Joconde subit les outrages du tps ! Bon ! Refaire le sourire de Madame au scotch US me parait bien plus compliqué que la pauvre réparation que je ferai le lendemain !

L'orage passe, l'homme reste. Demain, je remonterai en selle, reprendrai la route…enfin… son bas-côté au son des klaxons pendant longtemps. Je hais les klaxons. Depuis la Georgie je me dis : là au moins il m'a vu mais au Kirghizstan, royaume de la vodka ça suffit pas à me rassurer. Le bas-côté, c bien !

Karakol, petite ville pas trop grande, pas trop petite, parfaite pour ce que j'ai à faire mais déjà trop grande pour planter une tente gratuitement. Enfin, le jardin d'une guest house fera mon affaire pour 50 com (1 euro) avec douche chaude en prime. Que demande le peuple ? Et puis je suis pas le seul à planter ma tente là donc c sympa un camping de 4 ou 5 emplacements. Ici se trouvent réunis toutes sortes de voyageurs : voyageurs des cimes (alpinistes), voyageurs des montagnes kirghizes verdoyantes (trekkeurs), voyageurs à cheval, voyageurs à moto, voyageurs visiteurs pour deux petites semaines, voyageurs au long cours le sac visa sur les épaules et voyageurs en roue libre (cyclistes)… Drôle de monde que celui des voyageurs. Le terme français ne me plait guère mais après tout, c la traduction de traveller qui me parle plus sans que je puisse expliquer pourquoi.

En tous cas, cette petite communauté de gens de nationalités tellement différentes comme de façon de voyager me fascine depuis mon premier voyage. Voyageur, qui es-tu ? Voyageur. Que cherches-tu ? Allez savoir vu qu'il y a autant de réponses que de voyageurs…

Avant d'arriver à Karakol, j'avais fait une liste des « choses à faire ». Quand je fais ce genre de listes, c que je suis au sommet de mes capacités d'organisation et surtout qu'il y a des choses dont il faut que je mon esprit se débarrasse et la liste en elle-même ne sert pas à me rappeler ce que je dois faire car je le sais très bien mais plus à voir e que j'ai fait et avoir le plaisir de rayer quelques mots en signe de victoire comme pour dire : j'ai plus à y penser !

Là, en tête de liste y'a écrit « permis » pour aller dans le Tien Chang, les alpes kirghizes avec quand même 2000 m de hauteur en plus. Permis frontalier qu'ils l'appellent. Encore c putains de frontières, lignes de démarcation qui semblent si importantes aux yeux des hommes et surtout des non humains portant des uniformes avec des petites étoiles faute de n'avoir jamais levé les yeux vers le ciel…

Je débarque avec une lettre d'une agence (10 dollars le bout de papier) et faut encore payer 10 dollars à un gars. T'es pas obligé mais sans payer ça prend 5 jours pour le permis. En payant, c fait dans la journée. Y'a vraiment de la magie dans la bureaucratie à la russe, des tours de passe incompréhensibles mis à part peut-être les fameux billets verts !!

Deuxième chose : LOLA. Le lendemain je retourne à Bishkek chercher un colis qui devrait lui faire plaisir. Je l'emmènerais bien avec moi mais ça veut dire bus pour tous les 2 et on aime pas le bus. Mais bon on prendra sur nous pour un nouveau pédalier et quelque autre petit cadeau.

Troisième position sur la liste « info route ». J'ai des projets. Je veux aller sur une petite route marquée sur ma carte. Je demande à 2 agences ce qu'elles en pensent, les 2 sont catégoriques : « impossible ». Au moins, ce trait, il est fait. Je me démerde, pas de soucis. L'une d'elle me dit que la seule possibilité pour aller ou je veux c l'hélico ! Bon ! J'ai quelques jours pour apprendre à voler alors !

Impossible : voilà le mot que je déteste le plus je crois et qui en même tps me motive le plus surtout de la part des agences de voyages qui bien sûr font la route en vélo tous les jours ! Alors, dans ma tête de têtu, de « testard » et de teigneux je me dis je vais voir, j'ai rien à perdre sinon quelques kms et quelques jours…

Finalement, une liste de choses à faire comme tjs se finit en liste de choses qu'il faut remettre à demain et j'ai rien à faire. Rien faire. C un métier ! Et je me sens de bonnes prédispositions pour une carrière….

Un tour au bazar pour la bouffe, la bouffe qui semble complètement m'habiter, j'ai parfois l'impression de ne vivre que pour ça. Le Tadjikistan a laissé des traces et les bazars kirghizes pleins de fruits, de légumes, de paon délicieux et de tout font rêver. Et moi j'aime pas me contenter de rêver alors…à table ! Et puis le nouveau régime tomates/oignons revenus à l'huile c un peu plus la classe que pâtes mayo je dois avouer alors va falloir s'en lasser !

Alors j'ai un peu de tps libre que Roy, un israélien se propose de m'occuper en regardant son réchaud qui merde… suivi par une autre personne qui me montre le sien aussi. Chaque fois, 2 fois rien, presque la routine à vrai dire mais voilà, bientôt un an de route et en termes de galère de réchaud, ça passe facilement ce chiffre. Et puis Romain m'a donné des petits cours de combustion (ingénieur là-dedans. Vous saviez que ça existait les ingénieurs en combustion ? peut-être s'est-il foutu de ma gueule avec son titre !!!). Alors j'étale mon savoir sur les taux d'octane et des histoires de carbone… mais non moi je veux surtout pas le titre d'ingénieur, je cite mes sources ! Tu prends juste conscience que, en presque un an de route, tu as appris des choses non reconnues par le système français mais dans une guest house de voyageurs, tu deviens celui que l'on questionne et moi qui n'aime pas parler, ça fait pas mon affaire. J'aime bien écouter les gens, pourquoi ils me demandent mon avis maintenant ?

Il y a , il faut l'avouer que le statut de cycliste est un statut un peu spécial pour les locaux comme pour les autres voyageurs, peut-être parce que nous ne nous rendons peut-être pas compte à quel point il faut être con pour pédaler des milliers de kms ! On peut envier leur confort (moi rarement), ils envient notre liberté… je pars quand je veux, j'arrive et j'arrive quand je décide que l'endroit est un lieu d'arrivée ou quand je n'ai pas réussi à partir !

Mais l'expérience du voyage se partage et souvent on fait la connerie qu'il faut pas faire alors il faut : 1) avouer son erreur, 2) se rappeler ce goût de l'eau froide géorgienne au réveil, des boîtes de sardines et du pain confiture quand j'ai eu perdu mon réchaud ! Y'a plein de choses comme ça, si on te le dis pas tu l'apprendras et qui sait en combien de tps. C ce que l'on appelle l'expérience, le nom dont les hommes qualifient leurs erreurs. D'un autre coté, d'après les théories des grands pédagogues qui sont tout sauf pédagogues en général, il parait qu'en apprenant par toi-même tu retiens mieux. Ils appellent ça « pédagogie de la découverte » au milieu de grandes phrases incompréhensibles afin qu'on ne comprennent pas qu'ils servent à rien eux-mêmes !!! J'ai appris ça tout seul à la fac !!J'ai pas oublié, sauf peut-être tout ce qui entoure un « tu te démerdes » de blouses blanches !

Moi ça m'aurait bien arrangé qu'on me dise : ne retire jamais le câble du réchaud à la pince car à la longue (1 an) il va s'effilocher et là, t'es dans une sérieuse merde alors moi, en tant que mauvais pédagogue, je balance direct l'info !!! Retiens qui voudra ! Mais tout le monde ici, sachant bien plus l'importance d'un réchaud que des cours de fac, n'oubliera pas je pense.

Après une autre journée de farniente , me voilà devant la gare de bus pour Bishkek, Lola à la main, sans les sacoches, sans rien. Bus de nuit au programme afin de gagner une nuit d'hôtel mais pas une nuit de sommeil. J'ai surestimé ma capacité de dormir partout, les bus kirghizes sont à vivre, quel moral ces back pack !!

Combat pour le vélo que je gagne à l'aller gratuit et perds au retour payant ! (2 euros, le quart du prix du billet…bastard…payer pour une roue qui va pas faire un tour !)

( heures de bus horribles. Ici, comme en Inde, on remplit les bus (ici ils épargnent les toits) : tout ceux qui ont moins de 15 ans, ¼ de siège. Une fois tous les sièges pleins ne croyez pas qu'ils vont s'arrêter d'en mettre…par terre sur des planchettes il y a encore bien de la place pour une cinquantaine de personnes !!!.

Ils ont refusé de mettre mon vélo dans les soutes, y mettent-ils les passagers aussi ? A vérifier. En tous cas, je trône à l'arrière du bus avec Lola… galère…en réalité, faut la tenir toute la route !

C'est là que tu réalises la chance de voyager en vélo. Vivre ça dès que tu veux te déplacer, c aux antipodes du voyage. Ca motive le sédentarisme, pas le nomadisme ces bus puants sentant la transpiration (qui n'est pas que la tienne !!!), qui s'arrêtent tous les 100 mètres, qui sont prévus pour des nains de jardin et sont très inconfortables… En vélo, t'as mal au cul, tu t'arrêtes 5 mn là, makach !

Beaucoup de stress pour rien. En fait j'admire les backpapers. En arrivant à Bishkek lessivé bien plus que quand je fais la route en vélo. Je le répète, le vélo c vachement plus facile, y'a pas photo, faut juste avoir du temps ! Le temps est au cycliste ce que le bus est au backpaper : indispensable ! Mais le temps, c gratuit !

Dernier combat de backpaper. Les 200 chauffeurs de taxi qui te saute dessus à la sorite du bus. Attendez les gars, j'ai un truc pour vous et là… tu sors ton vélo et tu t'en vas… liberté retrouvée ! Regarde bien ça ami chauffeur, le moyen de transport de l'an 3000… Patience !!

Le soir même, vélo à neuf après une matinée de mécanique avec Anton, un gaillard russe qui tient un magasin de vélos dans le garage de la maison de sa mère, excellent mécano, plein de choses à m'apprendre même si il comprend pas qu'on veuille voyager en vélo. Lui, le vélo, c juste en descente et le plus vite possible. Il est champion d'Asie centrale de down hill.

Paquet récupéré, plein de médocs en plus de la colle que je ne connais pas encore mais qui va devenir my best friend très vite (araldite)… Internet a permis tout l'arrangement avec Patrick et mon père afin que je récupère le colis. Internet ça rend vraiment la vie du voyageur plus facile. Avant, comment ils faisaient ? Ben tu te démerdes ! ou téléphone peut-être. Enfin, on reste quand même bien des assistés, nomades mais assistés !

Chemin du retour, autre bus, même combat. De retour à Karakol, je suis mort mais j'ai besoin de retrouver le rythme cycliste tranquillou, pèpère, pas de stress, mettre la ville loin et planter ma tente où il n'y a personne pour m'empêcher de dormir ! Car à Karakol, la nuit, c les chiens qui vivent, ils passent la nuit à aboyer. Je crois que les chiens et moi, c à jamais la guerre !

Du coup, j'achète à manger et le lendemain part pour tout ce que tout le monde dit impossible : le village d'Engilchek et plus si affinité !

Rapide briefing avec Lola genre, demain on part et ça ça ça ça ça et t'as pas l'droit de casser, crever tu peux mais pas trop souvent c fatigant de pomper ok ? Pas de réponse. On verra bien !!

/h30 sur le camp, tout le monde se lève, ils sont fous ??? C un jour de départ pour tout le monde mais eux ils ont un bus à prendre, moi je larve encore un peu au fond du duvet, et au réveil… plus de tentes autour de moi ! Juste plein de gens qui courent partout plier la tente, ranger les sacs, manger un bout de pain à la va vite. Houlà, faut s'détendre ! Je crois que c pour ça que j'aime le vélo, pas de stress, c moi le chef de gare et le passager en même tps et je choisis la classe que je veux, j'ai le train pour moi !!!

Tant pis pour eux, ils ratent le pain frais, moi pas ! Enorme petit dèj, vélo chargé, je suis prêt mais voilà, je rencontre jan et jan, un couple hollando-canadien voyageant à vélo. Ils n'ont pas déjeuné, moi je suis pas à un p'tit déj près alors… rebelote et finalement je pars. Il est 2h de l'après-midi mais qu'importe ! Jan et Jan viennent de se faire voler leurs vélos et la police les a retrouvés comme par magie.. et le service policier, ça se paye bien sûr ! Mais le bonheur de retrouver leurs vélos l'emporte, jolis vélos, très jolis, forcément ça fait envie. Moi ça va, le mien me comble !

Repartir après les arrêts, c tjs un peu drôle entre incertitudes ( est-ce que j'ai oublié où je vais, est-ce que ça va aller) et le bonheur de se dire «  j'me tire », de retrouver mon terrain de jeux, ma maison qui n'est, elle, que plantée à l'air libre (pas dans le jardin d'une guest house), mes roues qui tournent, la vie pleinement respirée et l'air dans mes cheveux (« ça parait pas important mais c très bon pour eux »).

A partir tôt, on arrive tôt. Alors, juste eu le tps de traverser cette plaine plate et ennuyeuse d'une trentaine de km !!! Ah, un pied de col. Ah les cols, c bien ce qu'il y a de plus intéressant sur un vélo, j'aime ça, masochisme primaire mais ma tête, mon cœur, ma respiration prend dans ces ascensions un rythme unanime comme si tout en moi se mettait à pédaler, plein de petites roues qui tournent au même rythme avec cette idée d'atteindre un sommet que l'on sait ne pas être une arrivée, juste un passage vers un moi déjà changé, modifié par l'effort… Devant moi, Kirghizstan et Tibet, des cols partout, ne pas trop y penser quand même car les cols c un après l'autre, il faut leur être entièrement dédié, pas moyen de tricher ici, au Tibet, encore moins. Mais pour l'instant, montage de tente sur herbe mouilleuse pour un lendemain qui apparaît tjs trop vite. Nuit d'adolescent, 10h de sommeil, même pas peur ! Couché avec le soleil, levé avec lui. Astre rythmant nos journées de pédalages.

Au réveil, un jeune kirghize est déjà devant mon temple rouge, curieux comme tjs. C parfois gonflant d'être épié comme un extraterrestre mais pire que la curiosité, c l'indifférence est blessante et moi-même, pédaleur à travers les pays, ne suis-je pas un simple curieux, curieux de quoi ? Allez savoir…

Gueule de réveil, comment ça peut le faire rêver ? Pourtant il ne ratera pas une miette de mon p'tit déj refusant bien sur le bout de pain que je lui tends. Sa conclusion comme souvent… merde, ils mangent comme moi, même moins bien… car ils attendent tjs qu'on sorte un truc magique mais finalement ma tente lui parait bien fragile face à sa yourte et mon pain/miel bien pauvre face à son pain frais avec les délicieux beurre et yaourt kirghizes !

Mais comme toujours, le vélo fascine, la selle est tâtée pendant 10 mn, les freins, les vitesses et l'appareil magique : le compteur. Que c tentant d'appuyer sur le bouton et de remettre tout à zéro. Attention mon gars, on touche avec les yeux !! Combien de fois depuis le début j'ai perdu virtuellement une journée de pédalage pour satisfaire la curiosité ! Allez, dazvidania j'ai un col qui m'attend… et plus que je m'y attends !!!

Immense vallée verte à la kirghize, des chevaux partout, des yourtes, ces tentes champignons chaudes l'hiver et froide l'été, gamins de 5 ou 6 ans qu'ils dirigent avec aisance, même plus que de l'aisance, de la classe ! On ne peut pas enlever ça aux kirghizes, leur grand chapeau sur la tête et perchés sur le cheval… ils ont la classe, bottes de cuir et dent en or complètent leur parure. La classe oui bon, souvent quand ils descendent de cheval, ils ne peuvent même pas marcher.. deux grammes dans chaque doigt sans oublier les orteils… Pas de doute, je suis au Kirghizstan !!! Bon, les gamins, ça va encore !!!

Bon, ce col, il se mérite et m'accueille avec la neige au sommet. / Août en vélo sous la neige… cherchez-y un sens vous, moi j'ai arrêté de m'expliquer à moi-même le pourquoi de mes envies de petites routes perdues où personne ne passe.

Peut-être pour ma théorie des montées et des descentes. Aucune montée n'est infinie, ça descendra forcément un jour, ce n'est qu'une question de patience et quand la descente et le soleil arrivent… que demande le peuple !! Qu'importe si la montée dure 1 jour, 5 jours, ou 6 ans… un jour ça descend ! Bon je réviserai cette théorie plus tard… A suivre !

Dans la descente je me ravitaille en « nan » (pain) grâce à la générosité du kirghize des champs aux antipodes di kirghize des villes. En deux mois au Kirghizstan, la différence m'apparaît frappante : le kirghize des villes déjeune à la vodka et adopte l'expression froide d'un officier russe. Le kirghize des campagnes est heureux, ça se lit tout de suite dans cette étoile qui remplace ses yeux. Il est resté à boire du « koumisse » (lait de jument fermenté) dans sa yourte, il veille sur ces chevaux et dans ces hauts pâturages, il est à son aise. Il y a que le nomadisme doit être inscrit dans les gènes et sédentariser contre nature, ça rend aigri et malheureux. Tous les kirghizes des « jailo » (pâturages d'été) sont d'une hospitalité et d'une joie de vivre renversantes juste parce qu'ils sont heureux et libres.

Combien de vieilles me diront « avant, on restait 7 mois ici, maintenant seulement 4 mois, pourquoi ? » Sûrement parce que les nouvelles générations ont du mal à rester loin du confort de la société qui, croient-ils, les rend heureux. Ils ne réalisent pas qu'on ne peut pas lutter contre le besoin de liberté.. même à la vodka… Les hivers sont donc longs et les étés trop courts pour ces nomades cavaliers et à mon avis, les pâturages kirghizes vont se remplir de yourtes de plus en plus.. car ça les rend heureux. Liberté contre vodka, yourte contre système communiste, chevaux contre vieilles Lada rouillées. La montée contre la descente… aucune montée n'est éternelle. Merci aux kirghizes libres d'esprit et de cœur pour tout ce que je leur doit aujourd'hui.

Le Tibet me donnera (hélas) le malheur de constater qu'un peuple nomade ne se sédentarise pas en souriant… Mais c'est pas tout de suite le Tibet !

Je bivouaque juste avant Engilchek, demain déjà on va voir cette rivière intraversable et sûrement même faire demi tour. Tant pis, j'aurai vu ! Mais voilà, le pont est bien emporté mais ils ont mis un poutrelle métallique pour les piétons. Jouer aux acrobates sur c 20 cm de large où un vélo et un piéton semblent bien de trop… mais ça passe juste… pour être accueillis par le check post ! J'ai un permis, pas de soucis. Mais encore une fois, on me dit : pas de pont après ! Bon ! C'est pas des petites rivières, c intraversable sans pont mais je veux quand même aller voir ! Suis la route, me dit-il. Vu que je n'ai qu'une photocopie de carte pas du tout adaptée pour la navigation un peu fine… mais ça, c comme d'hab, !

je suis nul pour la planification jusqu'ici !

Alors je suis la route pendant une journée. Route, c pas le terme qui définit vraiment là où je suis disons qu'il y a déjà eu une voiture qui est passée mais ne me demandez pas quand ! Un cycliste ? je sais pas, c possible jusqu'ici que d'autres « crazy cycler » (comme on nous appelle souvent) aient traîné leurs jantes jusqu'ici !

Y'a même des vestiges de goudron qui mettent en confiance même si la route part vers l'est et moi je l'aurais bien vue à l'ouest. Enfin, sûrement derrière cette montagne, ça tourne !!! C fou, on trouve tjs des raisons de se perdre et plein d'excuses de le faire !

Mais c une belle piste ., ça se suit ! pis sur ma carte y'a qu'une piste de marqué et celle là est assez conséquente et j'en ai pas vu d'autre ! Quand tu commences à te planter, tu trouves tjs plein d'excuses de toutes façons !

Bout de route, en effet y'a pas de pont, j'ai suivi la seule piste possible et me dis ok, faut traverser cette rivière et après ça devrait aller.

Alors je cherche. Après 20 km d'aller-retour, je trouve un câble sec ! Dans ma tête, c quai gagné !

Enfin, à la vue du câble je la ramène bien moins, le b est vieux, comme tout ce qui date de l'URSS vous allez me dire.

Une grosse sardine le tient de mon coté, de l'autre un poteau coincé par des cailloux. Il est effiloché et inspire pas la confiance sachant que dessous, ça brasse sérieux. Si tu tombe à l'eau, je pense, y'a pas de voyage de retour.

Je m'y suspens, ça tient ! La magie de l'Asie l'explique sûrement plus que ne le font les apparences. Mais comment ce monde en château de cartes ne s'écroule-t-il pas ? Personne ne le sait. C'est pour cela qu'on aime l'Asie ! Je pense la même chose de ce câble !

Reste à trouver comment faire avancer un vélo, 4 sacoches et un gros sac (celui qui contient ma maison-duvet-tente-thermarest pas moi !!) et moi.

Base de réflexion, il y a 2 choses que j'ai pas le droit de laisser tomber à l'eau : LOLA et moi ou moi et LOLA, voilà une bonne règle numéro un base de ma traversée.

Dans les alentours, quelques vestiges de nacelle dont une précieuse poulie des vieux b de téléphones, des bouts de pneus et de chambres à air, deux vieilles planches. Ajouter à cela du scotch américain arrivé de France, donc qui colle, et deux sangles qui servent à fixer mes sacoches… voilà tout ce que j'ai et c beaucoup, enfin c suffisant pour usiner une nacelle en trois parties.

Tailler la planche pour en faire des « sièges », tordre et retordre les b de télégraphe, relier le tout à la poulie… voilà pour mes fesses. La même chose sans poulie pour le dos avec un bout de pneu en guise de poulie et une sangle pour les pieds.

Première traversée : test plus pour voir si de l'autre je peux espérer pousser le vélo jusqu'à ce que la route recommence quelques 10 kms plus haut…. Ça devrait le faire ! Allez, au boulot !

Je me rehisse de l'autre coté, c pas facile de se hisser à vide, j'ai quelques doutes avec les sacoches et le vélo… va falloir faire des allers et retours. Il faut avouer que le vélo ne maintient pas vraiment en forme les muscles du haut du corps et là je paye l'addition de plus de 15000 kms avec les jambes !!

Après mon premier aller et retour, j'ai mal partout, enfin surtout aux abdos et au dos car c pas super confort mon système mais j'y crois alors je fais un voyage avec plein de trucs pour alléger le troisième voyage… ça passe. Troisième voyage : les 4 sacoches sont bien amarrées… avant de prendre position je souffle un gros coup et m'élance sur mon b… milieu de rivière … la poulie déraille à cause d'un endroit ou le b est en mauvais état. Je peux pas la remettre car avec les sacoches accrochées dessus c trop lourd pour être soulevé en se soulevant soi-même en même temps.

Ca sent un peu le roussi sur le coup. Je réussis à m'extirper de mon système sans que ce soit très facile et regagne la berge pendu à bout de bras, mes sacoches au milieu du b ! Mais comment on peut être con au point de vouloir traverser une rivière à vélo sur un b !!

Et puis j'ai perdu mes lunettes dans le combat, je les ai vues tomber dans l'eau… mes mains étaient sacrément occupées à ce que moi je ne tombe pas !

Je suis fou de rage, elles étaient neuves, venues de France et sacrément bien, j'me dis que je suis pas digne qu'on me les ait offertes. C un peu la crise !

Mais je me ressaisis, c juste un bout de plastic mon seb, il faut pas y accorder trop d'importance, ne laisse pas cette perte affecter ton moral car tu as plus besoin encore de ce dernier (héritage de la perte de ma frontale en Bolivie – cf. coup de blues à 6000m).

Quand tu es dans ce genre de merde, tes sacoches bloquées au milieu d'un b suspendu au-dessus d'une rivière, faut savoir rester calme, pas s'énerver, jamais s'énerver… facile à dire mais accumulation nerveuse et fatigue font que des fois on se laisse tenter par la colère. Puis si ce bout de plastique met en lumière les faiblesses de ton esprit, il faut pouvoir l'oublier, oublier la question « comment je vais faire sans » ? (moi qui ai des yeux sensibles) au moins pour quelques heures. On naît trop matérialistes dans nos sociétés… ça joue des tours !

Trouver une autre solution qui s'avère être un long bout de fil de télégraphe avec lequel je parviens à crocheter la poulie 5 m plus loin et avec toute la « douceur » d'un ours dont je peux faire preuve, je ramène les sacoches de mon côté.

J'améliore mon système de poulie avec un anti-dérailleur car je suis teigneux et ne me décourage pas facilement !!!

Après 4 h à jouer les funambules horizontalement il ne me reste plus que Lola. J'ai les mains en sang mais je suis tellement convaincu que c la dernière des difficultés la porte de cette vallée sûrement très rarement parcourue que je fais passer Lola. Elle est placée devant moi avec un fil de fer, à bout de bras, je la soulève avant de me hisser à mon tour 10 cm par 10 cm .

Ca y est, t'es arrivé de l'autre côté de la rivière mon seb, bien joué ! Reste à porter tout pour sortir de la gorge et à re-longer la rivière jusqu'à la route ! Rejoindre la route me donne l'impression de faire un trek avec handicap ou quand le vélo se fait encombrant et très lourd à tirer.

Enfin, 2 jours après, c chose faite et j'attaque à remonter cette vallée tr's à l'est, trop à l'est mais, après cette montagne, ça tourne non ?

La vallée se referme, pied de col… ah, enfin une bonne nouvelle ! Une vieille bâtisse se tient là. Un couple de kirghize y vit ! Comment peut-on vivre là ? c'est à des jours du premier village, y'a rien. Et comment vous avez passé la rivière vous d'abord ? Ben, on attend que le niveau baisse (fin d'hiver ou début d'hiver) et on passe en lochette (cheval en russe), on est pas con nous !! Ils ont l'air heureux là, perdus, tout seuls et le bonheur c réconfortant malgré ce que j'apprends après…

Et, il est long ce pereval (col en russe) ? La réponse tombe comme un coup de massue : de l'autre côté de ce col, t'es en Chine, les soldats tireront à vue !!! Merde alors, mais qu'est-ce que j'ai branlé encore ? Même le fait de savoir que je suis le premier non-soldat et étranger à passer ici ne me réconforte pas. Je m'en tape d'ailleurs bien plus que du délicieux repas qu'il m'offrent qui ne parvient pas à me faire oublier ce que signifie le demi-tour : retrouvailles avec le câble.

Il me dessine un schéma avec explications des différents câbles pour aller où je veux. Bon, c reparti pour un détour de plus d'1 mois avant d'arriver en Chine qui, ce jour-là, était à 4 h de vélo !

C dur pour le moral mais la Chine c pas pour tout de suite ! Demi-tour, retraverse de la rivière… seulement deux voyages cette fois car l'expérience me gagne quand même !

Me voilà donc au même endroit que 3 jours avant, sans lunettes, les mains en sang, bien fatigué de retour d'une vallée où je suis sur que personne n'a jamais mis ses jantes avant moi mais surtout vivant, Lola en pleine santé et un plan pour la prochaine traversée «avec un bon b qu'on m'a dit !

Le b est bon, c'est vrai. Je campe juste devant cette nouvelle traversée car je n'ai pas la force de commencer à traverser ce soir. Demain est un autre jour.

Cette fois, je n'ai pas de doute sur la solidité du câble (béton pour fixer les 2 câbles parallèles) mais, par contre, la rivière est très large, une bonne longueur de corde (50m) et surtout la nacelle, qui semble à vue d'œil très bonne, est de l'autre côté !

Réfléchir pour aller la récupérer. Je pense d'abord y aller à la nage mais ça brasse vraiment et l'idée ne m'emballe pas franchement à cause de la règle 1 qui est tjs valable. Puis je pense traverser en opposition entre les 2 b avant de me dire que ça c le plan où les 2 câbles vont s'écarter au milieu et, vu ma souplesse légendaire, j'abandonne l'idée et me mets en quête de fil de télégraphe que je récupère aux pieds des vieux pylônes tracés quand les soldats russes contrôlaient la frontière dont je reviens.

Je reconstruis ma nacelle artisanale, je suis prêt pour une carrière d'ingénieur dans le domaine ! Pas de poulie cette fois mais j'ai plein de techniques… chambre à air, bout de pneu et surtout… scotch américain !! Comment peut-on vivre sans ce scotch magique ? Sur le coup, il me sauve encore une fois la mise et en quelques heures mon « lit » de traversée est prêt. Reste à se hisser, c long 50m parfois, très long, j'le jure ! ½ heure qui aurait sûrement été bien plus sans l'éternelle expérience acquise la veille !

La nacelle , c le méga luxe. Tout tiens dessus. Un voyage de 5 mn et me voilà de l'autre côté avec la joie d'un gamin qui découvre les cadeaux au réveil du matin de Noël ! Y'a pas de route… pas de soucis, je pousse, je suis content, l'idée d'être dans la bonne vallée me comble, je n'ai pas de doutes, je suis sur le bon « non chemin » !

Charger, décharger le vélo pour passer des ravins infranchissables en roulant. Le paysage est magnifique, extrêmement sauvage et ça se paye en sueur !

Après une longue journée, me voilà de nouveau devant une rivière intraversable en cette saison. Le lendemain, je passerai la journée à chercher un passage… En vain !

Me voilà bloqué à 10 kms du village d'où la route praticable est censée commencer. Je suis fou. Comme je disais il y a quelques années « y'a pas de justice », tout ça pour ça. Je m'entête et plus je m'entête, plus ça semble impossible d'escalader une falaise pour tenter de trouver un passage. Retente la rivière… mais vraiment trop de courant.

Alors je m'assois à l'ombre d'un arbre, sors le réchaud pour une soupe de nouilles et constate que j'ai bientôt plus de bouffe. On réfléchit tjs mieux l'estomac plein. J'ai le regard dans le vide, seul le bruit de la rivière me parvient puis, paradoxalement, je ressens un grand bien-être en mangeant cette soupe de nouilles… un bien-être qui vient chasser la colère à l'idée que tous ces efforts étaient vains… J'imagine cette goutte d'eau qui tombe du glacier, qui se réunit avec une autre, puis une autre et forme une rivière petite, puis grosse. C'est juste une goutte d'eau, en fait, qui me bloque… l'idée me fait sourire.

Je me dis que finalement, le voyageur, c'est un peu l'inverse d'une goutte : il part de la masse pour se retrouver seul sous le glacier bloqué par l'union d'une autre goutte solitaire liquide.

Là, seul devant cette rivière, y'a tout ce que je cherchais. En fait, je me sens comme cette goutte d'eau qui part en voyage mais qui avant de se mélanger se regarde au soleil. Elle est prête à partir mais quand même… elle semble s'accrocher au glaçon…

Moi je suis bien. Le monde a cessé de tourner, le tps s'est arrêté. C'est sûrement cela qu'Epicure appelle « ataraxie » : un mixte de fatigue, de gouttes d'eau et de regard sur soi avec une immobilisation de la rotation de la terre et le sable du sablier bloqué… presque facile comme recette !

Oui, je vais faire demi-tour, oui c l'échec ! Je passerai pas la goutte d'eau, elle est trop forte et je veux pas que le vase déborde ! Mais bizarrement, l'idée me réjouit presque ! De par chez nous, l'erreur c'est mal. Il faut réussir, avoir de bonnes notes et de jolies appréciations. Pourtant c'est là, en échouant, qu'on apprend le plus sur une drôle de créature : moi-même. D'ailleurs, ça a tjs été comme ça. Erreur, échec sont mal placés dans l'estime des gens.

Je me rappelle ma première année où j'ai commencé à grimper encordé avec « p'tit puerk ». On a d'abord réussi une collection de buts (échec, demi-tour en langage grimpeur) assez impressionnante avant de devenir une cordée qui traversera les Alpes de la face nord des Gdes Jorasses au Mont Blanc italien, le Cervin à la Meije sans moyen motorisé ! J'ai tout appris dans l'échec, dans ces « buts », ces pitons qui sautent, ces tempêtes… marquant la mémoire et le cœur. Le but n'est jamais plaisant mais tjs plus que le non-retour !

En partant en voyage, on s'attend à trouver plein de choses, plein de gens mais finalement on regarde bien loin pour trouver quelque chose de bien proche ! C'est pas facile de regarder cette bestiole presque inconnue qu'on a détruit à coups d'heures de poussage, un peu tout ce qui masque sa fragilité. T'es arrivé, là, sous un arbre et tu te dis « voilà, je suis que ça » mais quand tu te lèves, seule reste l'autre part de la réponse « voilà, je suis tout ça ». Prends en soin. Allez, demi-tour !!!

Toutes les réponses à certaines questions que je me pose depuis des mois se posent là devant moi, évidentes comme une rivière intraversable. Comment ne les avais-je pas vues avant ? L'homme est plein de secrets pour lui-même !

Alors je repousse dans l'autre sens… ça descend, c plus facile, retraverse la rivière avec l'idée de poser la nacelle du bon côté pour le prochain cycliste et remonter jusqu'au poste militaire que j'ai passé y'a 5 jours, serein et heureux d'avoir échoué !

J'ai plus de bouffe alors je me hâte de passer le col le lendemain pour retrouver la civilisation à la recherche désespérée de pain. Je demande à une fille si le four qui est devant elle c pour le pain. Elle me dit non. Ma déception est visible apparemment et elle m'offre les patates que le four vient de faire griller avec du sel et des herbes… délicieux … surtout quand on a passé 100 kms sans rien avaler si ce n'est qu'une poignée de riz au matin !

Retour à Karakol afin de refaire le plein de bouffe et rencontrer Yan, un anglais sur la route depuis 11 ans avec 114000 kms au compteur dont, tenez-vous bien, 47000 uniquement en Chine !!! Sacré personnage ce Yan ! Avec l'éternel KOGA bike équipé en XT comme tout le monde, sacoches Ortieb pour compléter le tout… même pas jaloux vu que j'ai les mêmes pneus que lui ! Ah les anciens, ils ont compris comment ça marche !!! Moi j'ai encore une jeunesse à défaire alors je recolle mes chaussures, recouds mes sacoches et quitte Karakol.

Une journée de goudron, bcp de kms et vite, c même pas reposant en fait car, mauvaise route = moins de voitures et plus j'avance et plus la qualité de la route dépend du nombre de véhicules plus que du revêtement !

Mais après cette journée, une petite route part à gauche. Pas le tps de réfléchir, c pour moi ! Même si Yan m'a dit lui-même que ça passe pas vu qu'un pont avait été emporté !

Je tente le coup, commence par me perdre en me trompant de vallée, mais finalement trouve la bonne avec ce col où la route emprunte une moraine de glacier. Encore une fois, impossible de passer. J'apprends toutes les techniques de poussage d'un vélo, le tirer un main sous la selle, c la plus efficace, sans conteste. Si un jour vous devez choisir une tige de selle, il faut qu'elle soit lisse, pas comme la mienne qui est striée et qui fait mal aux mains… ça c le genre de trucs auquel l'inculte cycliste que j'étais n'avait jamais pu penser en partant !!!

Montée. 2 crevaisons en poussant de l'autre coté sur le plat de la grande vallée rythmée par plein de rivières faciles à traverser et les 4 autres crevaisons qui affectent ma journée ! 6 en une journée avec les pneus censés être les meilleurs du monde et censé être increvables ! La raison de c crevaisons, c le sable qui pénètre dans mes jantes à chaque traversée de rivière. Je finis par refaire complètement le fond de la jante et l'étanchéité du pneu avec du scotch américain… ce qui règle en partie le problème !

Je campe devant la grosse rivière dont Yan m'a parlé afin de m'y attaquer au matin quand le niveau est bas avant que le soleil ne se soit occupé de faire naître les gouttes d'eau ! Traversée pas facile où même les chevaux tanguent… mais en 3 voyages, je parviens à passer sous les yeux des kirghizes en 4x4 qui lui aussi a passé l'eau. Il est sacrément embourbé. Juste après, le chauffeur essaye de sortir son bien en construisant, à la pelle, une route !

Il me reste plus que 3 cols avant de plonger dans la descente menant à Narin, la prochaine ville. Il me faudra encore 2 jours pour l'atteindre ! Dans la descente, je re-rencontre Sato, un japonais rencontré à Boukhara il y a quelques mois ! Sato, son bike, c trois de route et c'est 30000 kms. Rare cycliste à fumer un paquet de clopes par jour ! Là, il rentre. « Oh, dans 8 mois je suis à la maison » me dit-il, « c'est fini pour moi, bonne route à toi « ! et il m'offre un paquet de dattes et du miel ! Ta route est longue, la mienne est trop courte !!! No comment, les cyclistes comprendront !

Me voilà à Narin, grosse ville qui rime pour moi avec bouffe et internet qui sont un des nerfs de la route puisque je suis pacifique !!! sauf quand une voiture manque de me renverser parce que le chauffeur, forcément éméché, m'a grillé la priorité. Je prends ma bouteille d'eau dans la gueule et juste la gamelle qui se trouve dans la sacoche qu'il a heurtée sera tordue ! Plus j'avance au Kirghizstan , plus je déteste cette culture de l'alcool… à te dégoûter de boire. Voir un homme, cette loque humaine dont la vodka a remplacé le sang, Ca me retourne, surtout quand ils conduisent !

Narin est une grande avenue que je remonte sans trop savoir où aller quand mes yeux tombent sur un T-shirt orange qui vient se mettre au milieu de ma route… internet vient de couper, Romain sort dans la rue s'acheter un bout de pain et tombe sur moi ! Pas le tps de fuir ! Il y a des coïncidences qui sont plus que des coïncidences. Je suis content de le retrouver, très content même. « mange, t'es tout maigre » qu'il me répète en partageant son pain et en refusant que je partage mon dernier snikers avec lui ! Puis il me sert de guide… « tu peux pas dormir là gratos, va planter ta tente, on se retrouve ici dans 1 h, je dois aller faire signer des papiers pour l'armée ». car il a des projets !! A mon retour, il a pris un but à l'armée, ça fait 4 jours qu'il attend ce papier. A la deuxième tentative, je me joins à lui au cas où. En 10 mn, j'ai la signature qu'il lui a fallu 4 jours à avoir et ce, sur mon ancien permis sans rien payer !!! Romain est un peu vert mais les signes semblent me dire, nous dire, de reformer l'équipe ! Lui me dit : « ah, quand t'as besoin d'eux, tu sais y faire avec les militaires ! Là, tu chantes plus « déserteur » 

Puis surtout c' qui m' déplaît
C'est que j'aime pas la guerre
Et qui c'est qui la fait
Ben c'est les militaires
Ils sont nuls, ils sont moches
Et pis ils sont teigneux
Maintenant j' vais t' dire pourquoi
J' veux jamais être comme eux
Quand les Russes, les Ricains
Feront péter la planète
Moi, j'aurais l'air malin
Avec ma bicyclette

C'est vrai que j'ai été bien faux-cul et gentil, dépliant ma carte (de Romain, j'en ai pas) pour leur montrer nos routes passées et futures (en mentant bien sûr) mais le résultat est là !

Le lendemain, après une autre signature (la première était celle du KGB, la 2 ème , celle de l'armée). Les sacoches sont bourrées de bouffe, on reprend la route ensemble… content de retrouver le T-shirt orange de l'amigo qui quand même, entre temps a une nouvelle tente et plein d'autres nouvelles fringues… ah… il comprend vite !!

Direct un joli col après Narin où un camion gît pour avoir raté un virage. Deux possibilités : plus de freins sur le camion ou manque de frein sur la vodka. En tous cas, ce col, il nous freine bien nous ! Route pourrie et puis c raide ! Merde, je vieillis !!

Sommet du col, on quitte la grosse route qui était déjà bien mauvaise et qui rejoint le col du Torugart. Pour aller au col du Torugart par les petites routes ! Romain est bien informé, il a de bonnes cartes, il gère le bonhomme, c pas un « puerk » (comme m'appellent certains de mes potes) qui part la fleur au fusil avec cette idée que « bah…ça va l'faire » ou qui se dit « détends-toi, ça va bien se passer » dès qu'il voudrait planifier quelque chose ! C surtout pour ça qu'il est ingénieur et moi… ben moi rien du tout !

Belle route, belle vallée qui ne tarde pas à monter. Classique jusque là. On est déjà loin de la « grande route » (appellation d'automobiliste !) et forcément, dès que je me rapproche d'une maison pour demander la direction, on nous invite pour du koumisse , du pain et du beurre. Rom est fan de koumisse, moi un peu moins mais le pain et beurre kirghize, c délicieux ! En fait, c du vrai beurre, c simple puis ils ont une deuxième sorte de beurre revenu dans l'huile qui lui aussi est à tomber.

Pause finie, le mec sort un caméscope : on hallucine !! Bon, y'a plus de batteries, on se rassure et on repart les jambes un peu coupées par le koumisse qui reste une boisson fermentée donc alcoolisée et moi je n'ai plus l'habitude, même à 1°, ça m'atteint !

Dommage, y'a un col monstrueux devant nous, raide, très raide, route mauvaise toute à gauche et serre les dents ! Rom a perdu un peu de son acclimatation, il subit un peu le col dont le sommet est marqué par un poste militaire… on n'est pas tjs ravi d'arriver au sommet ! En plus, ça caille, premier froid, le corps n'y est plus vraiment habitué non plus !

Pas de soucis avec les militaires qui vivent là et las surtout, perdus dans leur cabane pour garder le sommet d'un col qui, à part le vent, ne voit passer personne…

On descend vers un autre poste militaire. Pas de problème. Avant de continuer, je laisse à Romain la charge de choisir le camp, j'aime pas décider. Il nous en trouve un fort beau où des cavaliers ne tardent pas à venir nous voir monter nos tentes qui vite vont nous accueillir à cause de la pluie laissant chacun dans son monde intérieur et sa maison !

Le lendemain, nous voilà dans ces vallées exceptionnelles à la kirghize qui savent se faire encore plus exceptionnelles quand les fils électriques et les hommes disparaissent. Faute d'eau pour nous ça veut dire charger ce précieux liquide sur le vélo. Romain avait prévu le coup, on ne mourra pas de soif ! Les nuages jouent avec nous, pluie… pas pluie… on passe pas loin mais en même temps bien proche à tel point qu'à midi on monte la tente de Romain pour manger… En vain…. Mais ça lui fait plaisir de montrer sa belle tente north face toute neuve !!! J'admets… quelle classe !

Par contre, le lendemain, la pluie ne nous évite pas et ce dès la sortie de la tente. Intégrale gore tex pour tenter de se protéger en vain contre l'élément liquide qui ne tarde pas à devenir de la neige mais de ces neiges humides qui trempent et glacent un homme en très peu de tps. Pédaler, s'arrêter pour récupérer mes doigts qui souffrent faute d'avoir de vrais gants. Romain, c ces pieds qui souffrent. A force de persévérance on arrive devant un poste militaire où l'on veut se réfugier ! « Passport »..ah la froideur militaire, ils doivent passer du tps à l'apprendre à l'école militaire c pas possible autrement ! Romain, un peu frigorifié (lors d'une pause juste avant il me dira «  c triste à dire mais je viens d'me pisser sur les mains et c'était drôlement agréable » ! tandis que moi je me serais de ces pauses pipi pour nettoyer la boue qui s'accumule sur Lola !! Y'a un moment où l'importance des choses se trouve bien chamboulée !!!), tout comme moi d'ailleurs qui lui renvoie « tu te mets au chaud avec un thé dans les mains et après je te montre mon passeport ».5 min après on est devant le poêle, du pain, du beurre et du thé nous sont servis, on épluche nos passeports et permis mais cette fois on s'en fout, prenez vot' temps les gars, on vous attend devant le poêle ! Ces militaires croient garder une frontière capitale comme si on était en tps de guerre… nous les distrayons un peu… sauf les chefs qui ont du mal à sortir de leur rôle !

Il est tps de repartir longer les fils barbelés qui marquent la frontière, impossible de se perdre. Sur 2 mètres de haut, cette barrière sépare le Kirghizstan de la Chine ou plutôt sépare l'ex URSS de la Chine… il semble clair que ces 2 frères communistes étaient bien moins potes qu'on pourrait le penser.

La pluie a cessé mais en cette partie, la route n'est plus qu'une étendue de boue, les 10 derniers kms jusqu'au col de Torugart se feront en poussant… souvenir de Georgie, ne pas céder à la tentation de monter en selle sous peine de casser la chaîne alors patience !

Accueil militaire à cette frontière… mais d'où vous venez ? ou vous allez ? Le mec est pro et c'est fait en un coup de talkie walkie. « j'aime les mecs qui s'expriment correctement » s'exclame Rom !.

On échoue dans un de ces wagons de trains qui forment le village de Torugart. On y sert des bouillons de viande et du pain à l'intérieur, confort ultra sommaire pour ces familles qui vivent là en attendant le routier qui arrive plus épuisé que le cycliste tant passer une frontière est le parcours du combattant pour eux !

Pour repartir, il nous faut nettoyer les vélos au moins un peu car plus rien ne tourne… on sort donc nos brosses à dents et brosses à ongles que l'on transporte, non pas pour nous mais pour nos chaînes, nos pignons, nos dérailleurs… c fou le bien qu'on fait à un vélo avec une brosse à dents !! De toute façon, on n'ira pas loin, de l'eau non salée nous indiquée sur le bord de la route. Quelques kms seulement après le Torugart on plantera le camp ici !

Réveil difficile, la nuit fut perturbée par la visite d'un troupeau de chevaux énervés et la journée de la veille a laissé des traces. Ca tombe, on n'est pas pressés alors on passe la matinée à briquer nos vélos, Rom limera même les dents de son pédalier tandis que je dois recoller mes sacoches et commence à m'inquiéter sérieusement de mes roulettes de dérailleur mais ça roule… ça roulera ! Il a neigé sur tous les sommets et avec le lac juste à coté de nous et le soleil, le panorama invite a ne pas trop se presser .. mais les nomades à 2 roues que nous sommes ont encore du chemin ! Hier on était à 5 kms de la Chine, à ce col de Torugart, à 160 de Kashgar mais nous nous proposons tout simplement de faire un détour de 15 jours ! Pas uniquement pour le plaisir car passer par cette frontière, ça coûte 150 dollars car les chinois ne la considèrent pas comme ouverte aux étrangers ! Et pire que tout, il faudrait parcourir le trajet jusqu'à Kashgar en taxi arrangé à l'avance et l'idée ne nous enchante ni l'un ni l'autre. D'ailleurs, elle ne nous effleure même pas, on fait le tour. C'est clair pour nous ! Et quel tour !!

Romain a pêché a Bishkek une « bonne » carte a une échelle que j'ai oubliée mais genre 200000. Bref , pas mal et dessus y'a un petit train en pointillés avec un col qui longerait la frontière chinoise et nous mènerait assez directement vers le col d'Irkechtam, la 2 ème frontière, celle des pauvres en argent et riches en tps !

A l'entrée de la vallée en question, un poste militaire qui nous promet de la bouffe au prochain village comme on nous en avait promis a Torugart ! Faut faire le détour car nos réserves ne sont pas au top…. Du coup, on mange un pass pour arriver au village en question ! Trois maisons et pas une épicerie… bastard military !!! Bon, un mec nous conduis dans une maison d'où on sort 2 pains et 3 kgs de pâtes pour un prix prohibitif qui comprend le paquet de cigarettes de celui qui nous a montré l'endroit ! Les gens de ce village sont vraiment zarb, y'a dû avoir un truc louche génétiquement ici ! On campe quand même devant leur maison !

On a aussi arrêté une voiture qui nous a généreusement offert un peu de pétrole en siphonnant son réservoir en un tour de main. On a de la chance, normalement ils roulent plutôt réservoir très à vide ! Là, il reste le litre qu'il nous fallait pour faire marcher nos réchauds ! et indirectement nous-même. Merde, un cycliste ça marche aussi au pétrole !!

Réveil, on est fainéant à cause de la pluie qui nous bloque dans nos tentes respectives, faut décider… on les suit ou pas ces pointillées ? La pluie cesse. Je décide pour 2. C parti !!! Au lieu de suivre la grand route on prend une sente de cheval pour regagner la vallée où on était la veille !! Le tout pour ces quelques kilos de pâtes !

Quand tu es sur une route goudronnée pdt longtemps, tu as vite fait de trouver le goudron non plat ou avec trop de trous, quand t'es sur une route non goudronnée, tu jure sur les cailloux, les trous et la poussière des camions. Quand t'es sur une sente de cheval, les deux premières te manquent terriblement et tu révises ton jugement sur la qualité des routes… Nous allions en faire l'apprentissage dans les jours à venir !

Dans cette grande vallée, les yourtes semblent appartenir à la terre et après un autre poste militaire qui garde l'entrée de la vallée et où Romain taxe du pain et où l'on me fait remarquer que mon visa est sur la fin ! Pas de prob', dans 6 jours on est à la frontière…

A peine nous avons recommencé à remonter la vallée qu'un jeune cavalier nous conduit chez lui, c'est l'heure de manger, c parfait ! Sachant que nos réserves de bouffe sont pas au top… Pain, beurre, kurmisse et thé, délicieux comme tjs. Quelques mots de russe plus les quelques mots de turc de Romain (le kirghize est une langue d'origine turque) nous permettra, avec l'aide des mains certes, de ne pas trop mal nous en sortir avec les locaux et l'on mesurera cette chance en rentrant en Chine plus tard où là, c'est la lutte !

Il propose de nous loger, d'attendre encore un peu le tps de cuire un mouton… mais après une photo qui leur permet de sortir leurs plus beaux chapeaux, on leur dit au revoir et partons guidés par l'un d'eux afin de prendre le bon chemin. Ce dernier longe la rivière, sur la carte on devrait être de l'autre côté mais la piste est plutôt bonne et on s'affole pas, on la suit jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans les touffes d'herbe. Cette fois, faut traverser. On le fera le lendemain sans aucun problème, c juste long car il faut décharger le vélo, faire un voyage avec les sacs et un voyage avec le vélo, recharger et repartir ! Ce jour-là, on traversera trois rivières dont la 3 ème qui coûte 2 tongs à l'amigo car ça brasse pas mal.

Après la rivière, le sentier part dans une direction qui me plait pas. Alors on décide de quitter pour partir dans la bonne direction mais il ne nous faut pas longtemps avant de réaliser qu'on est un peu paumés !

Devant nous, une grosse butte avec une petite sente qui la raye mais impassable en vélo, même en poussant ! Tandis que Romain monte voir au sommet, je remonte le vallon. Quand on se retrouve, aucun de nous n'est vraiment très optimiste sur ce qu'il a vu. On décide quand même de monter la butte pour camper au sommet. Mais voilà, on n'a pas d'eau ! Pas une goutte, alors on se sépare, Romain part chercher de l'eau, moi je dois monter les vélos et les affaires sur cette butte : un voyage pour les affaires de Rom, un pour les miennes et un pour les 2 vélos, me rendant compte que l'alu, c quand même sacrément plus léger que l'acier. La butte, c'est 100m de dénivellation très raide. Pourtant, en la montant pour la 3 ème fois, un vélo me sciant chaque épaule, le ciel nocturne kirghize pour compagnon, j'ai cet étrange sentiment d'être exactement là où je devais être ce jour, je me sens complètement à ma place malgré la souffrance physique que le coucher de soleil peine à faire oublier en rosissant les sommets avoisinants juste au sud !

Sommet ! Ouf ! J'attaque à monter la tente de Rom. Monter ma tente, c'est quelque chose de tellement automatique que je réfléchis jamais en la montant. La sienne, je m'en rends bien compte, je rentre dans une autre logique qui n'est pas la mienne. Les questions comme « elle est où sa housse de duvet ? » me reviennent comme si je montais le premier camp de ma vie, « dort-il a droite, à gauche, au milieu ? »…Tout plein de questions que je ne me pose pas en montant la mienne… chaque chose a une place, une place pour chaque chose ce qui me permet d'être rapide, de jamais chercher ma frontale si je me réveille la nuit…Merde, j'ai des habitudes, c'est dangereux ça !! Le phénomène empire quand il faut chercher où il range sa bouffe, son réchaud, son briquet…Bon, je m'en sors quand même et réussis à faire à manger avec le litre d'eau qu'il nous reste. La nuit est plus que tombée, je commence à m'inquiéter pour l'amigo. Je me demande s'il a sa frontale, je cherche et la trouve dans sa sacoche avant ! Merde, c'est possible qu'il retrouve pas la butte dans cette immense steppe kirghize alors je pars à sa recherche. Je fais au moins… 50m quand je le trouve transpirant avec les 10 litres d'eau qui représentent ni plus ni moins que la vie. Quelques thés plus loin, on se couche sans vraiment chercher le sommeil et avec cette question dans la tête : dans quoi je me suis encore fourré ?!!!

Après quelques heures de poussage, on retrouve un semblant de sentier qui nous accueille même par un pont. De loin, on est contents, de près, le pont est détruit…S'enchaînent alors 3 traversées de rivière, chacune plus difficile que la précédente. La dernière, c'est un peu le taquet.

Rom voulait manger juste avant, ce à quoi je me suis opposé me rappelant une rivière au Ladakh, un petit pissou devant lequel j'avais mangé. Après le repas, c'était devenu intraversable. J'avais dormi au même endroit attendant que le gel retienne les gouttes d'eau que le soleil s'appliquerait à libérer !

Alors je traverse d'abord quasi à vide. D'abord, il y a un énorme courant et c'est très dur de passer (la rivière a trois brun. Le premier et le 2 ème sont abordables mais le 3 ème est vraiment chaud), ensuite l'eau est très très froide et c'est dur de supporter la traversée intégrale d'un coup. Romain propose de faire une chaîne ce qui s'avère être une sacrée idée en termes de tps, d'eau et de sécurité !

Finalement, on mange de l'autre côté après un bon taquet qui pose les bases de la suite pour moi : la sortie c'est devant, je repasse pas cette rivière ! Rom est moins convaincu à cause du problème de bouffe que l'on a et de notre lenteur !

Rom repart avec mes tongs aux pieds car il a dû traverser avec ses chaussures qu'il met à sécher à l'arrière du vélo. Forcément, comme ce qui doit arriver arrive tjs, une d'elle en profite pour s'échapper et quand on s'en rend compte, il est difficile de savoir vers où elle est tombée. Mon appareil photos nous rend service, elle est entre le lieu de la dernière photo et là ou on la cherche et Rom crie victoire après quelques tps et après que l'on soit tous les deux passés au moins 3 fois devant la chaussure sans la voir.

Plus on avance, plus c'est sauvage. Il y a bien des traces qu'un homme est passé par là mais au niveau de la route on espère de moins en moins. Juste un sentier où dans une descente vertigineuse, Romain , après seulement 500 kms achève sa paire de patins de freins. Faut changer de vallée, la carte est claire là-dessus indiquant une route que l'on n'espère pas mais au moins un chemin qui serait bon pour notre moral.

Le Shibili pass (Chmileblik pass comme l'appelle Romain) se révèle être une barrière rocheuse visible de loin sans le moindre sentier, un mur infranchissable pour les cyclistes que nous sommes ! C la merde ! On trouve un autre pass qu'il nous faut monter en marchant et en faisant des allers et retour. Je fais un voyage avec mes sacoches et laisse à Romain le soin de monter mon vélo pour partir en reco une fois de plus. Je marche jusqu'au sommet du col, y trouve un emplacement qui y a été campé il y a peu de tps (l'herbe étant aplatie). Le crottin de cheval sur le sentier témoigne aussi d'un passage cette année et un semblant de piste quitte le col. Dans ma tête, c'est bon, il suffit de continuer par là. Je redescends trouver Romain et lui dit que « ça passe » et que, en plus, y'a de l'eau de l'autre côté.

Il lui reste un voyage à faire pour Esperanza. Je charge Lola de mes sacoches et des sacoches arrière de Rom (ou avant peut-être, je sais plus !!) et je commence la route jusqu'au col où je laisse un mot à Romain et plonge dans la vallée en vélo. Le semblant de piste ne dure pas longtemps, la descente est encore horrible mais débouche sur une rivière où j'abandonne le vélo avec un mot pour Romain qui dit « désolé de t'avoir mis dans cette galère, j'avais vu les choses avec un peu trop d'optimisme ». Dans ma tête, je me dis que l'amigo doit me maudire pour jamais lâcher prise et jamais retourner en arrière comme il l'a suggéré parfois…Je pars en reco alors que la nuit va bientôt tomber. Il est 22h, je reviens au camp qui est presque entièrement monté, le repas est prêt, le thé aussi, Rom affiche un visage serein sans la moindre ombre de colère. Je lui parle de ce que j'ai vu, il est confiant, ça me rassure, ça c un équipier !!! et puis il me dit : « tu t'es tjs sorti de toutes les galères où tu as dit t'être fourré, y'a pas d'raisons que ça change hein ? » Non, y'a pas de raisons.

On commence sacrément à rationner la bouffe, moitié moins de riz à chaque repas, plus de sucre dans le thé… On a quasi plus rien et on a aucune idée de combien de tps ça va prendre. Aujourd'hui, pour plus de 12h d'efforts on a abattu… 12 kms ! Si vous avez un minimum de respect pour moi et pour Rom, ne calculez pas la moyenne horaire !!!

Réduire la bouffe, ça se sent tout de suite quand on passe sa journée à pousser un vélo et le lendemain matin, c'est dur, on pousse dans ces hautes herbes, traverse et retraverse la même rivière chaque fois qu'elle nous bloque contre une falaise mais on avance vers un autre col qui, on l'espère, marquera le début d'une meilleure route. Sur la carte du sommet du col il y a y a une route parallèle au Shibili pass qui devrait nous permettre de passer au sud dans l'autre vallée. On passe de longs moments à étudier chaque détail de la carte mais une carte fausse est aussi utile qu'une bouée percée ! Pourtant, on y croit, c'est fou comme tu peux y croire quand t'es dans la merde. Toujours te dire, après cette bosse ce sera mieux, après le col on verra la vallée et la route, y'aura une route, une yourte !!... Si on réfléchit, on sait bien que c'est pas vrai mais si l'espoir fait vivre, il fait surtout avancer !

Sommet du col, pas de route au sud bien sûr mais une piste qui s'améliore petit à petit passant d'un sentier pour cheval à un sentier pour chevaux ! Enorme différence !

Faute de pouvoir aller au sud comme prévu, on continue vers l'ouest ! Dire que en quittant la France je pensais pédaler vers l'est ! J'aurai gardé ça de mon éducation scolaire : les chemins d'écolier à rallonge !

Dans la descente qui suit, je m'arrête d'un coup brutal « tu vois ce que je vois ? » « non » alors je montre du doigt « regarde là, deux chevaux et des hommes ! » On est sauvés. Rom n'hésite pas une seconde, va les voir et leur réclame à manger. Il reviendra avec du pain, de la crème et l'info que la route est à 3 ou 4 heures de lochette. Le pain et la crème sont à tomber. C'est tellement bon. Si je lève les yeux vers Rom, je découvre un gosse devant un pot de nutella d'1 kg, ça doit être pareil pour moi ! Ce repas tombe du ciel et nous requinque. On repart en laissant nos cueilleurs de fruits sauveurs continuer leur journée !

En descente, c'est à mon tour de perdre une tong attachée à mes sacoches. Vite retrouvée, ça va !

On atteint la vallée, il y a au loin une fumée qui se détache. On imagine déjà la yourte avec le mouton qui grille sur le feu mais, quand celle-ci se découvre sous nos yeux, on comprend que c'est toute la vallée qui est en flammes.. manquait plus que ça !! On la traverse avec un chiffon sur la bouche, les flammes séchant nos pneus et on s'attarde pas.. « y'avait une super photo à faire de toi mais j'me suis dis que t'aurais pas le goût de refaire le passage près des flammes ! » « Honnêtement…non ! ». Y'a des moments où les photos, c'est le cadet de mes soucis. C'est souvent dommage car des fois, ça vaudrait le coup comme ici où dans les grosses traversées de rivière !

Le feu se rapprochant de plus en plus, on s'échappe par un raidillon très très raide, les deux mains sur les freins à coté du vélo entraîné par la pente et la loi du vélo, « la loi de la pesanteur est dure mais c'est la loi ! »

Sortis du feu et du raidillon, on arrive à un pont qui repose sur des carcasses de tracteurs et dont la poutre maîtresse est brisée… un par un… doucement… ça tient ! Rom s'exclame « tu pourras lui dire à ton pote Janne Corax que je doute que dans la même journée il a failli mourir de faim puis brûler par le feu puis tomber dans un ravin puis risqué sa vie sur un pont !!! » (Janne Corax c'est le maître à penser des cyclistes qui pensent pas !! Je l'ai rencontré en Chine il y a déjà 6 ans puis au Tibet il y a 2 ans).

La bonne nouvelle, c'est que de ce coté-là de la rivière, y'a une yourte et avant même que l'on ait mis le vélo sur la béquille, on nous tient la porte ouverte pour du pain, du beurre, du thé, du koumisse, du lait de jument frais… un repas de luxe avec un pain à tomber. Ceux qui croient que le pain est une spécialité française ne sont jamais sortis de France ! On se plait à plaisanter avec Romain que le jour où on a un chez-nous, on invite tous nos potes pour manger du pain et du beurre !!! Pour nous, c'est le summum du luxe, l'extase, ça n'a, à vrai dire, pas de valeur même…

On nous invite à rester mais voilà : ma situation de visa commence à me préoccuper sérieusement. Quand je dis à Romain « prends ton temps si tu veux » il me répond « solidaire jusqu'au bout » (il a 5 jours de plus que moi sur son visa). Alors on partira affronter le col avec un peu de luxe dans nos sacoches, quelques carottes fraîchement cueillies dans le jardin de la yourte.. fini le temps où je m'autorisais à ne pas aimer ça, je les apprécie à leur juste valeur aujourd'hui !!!

A la yourte, ils nous ont dit qu'il y avait 2 chemins, un pour lochette et un pour voiture. Je me rends vite compte que celui pour voiture a eut été mais n'a plus la place pour un vélo alors faut prendre celui pour lochette ! Mais là, c'est un chemin de super lochette… ou c'est moi qui suit KO mais nom de dieu c'est putain de raide, j'ai du mal à tirer mon vélo malgré Romain qui m'explique des théories sur les passages d'obstacles. Je l'arrête avant qu'il ne sorte un papier et un crayon pour me les démontrer à coups de formules en lui disant : « moi, si j'avais un 34 (dimension du plus gros pignon de son dérailleur, je n'en n'ai qu'un 32), j'monterais sans souci !!! ». Il pose le vélo et dis : « fais-voir ». Alors je prends les rennes d'Esperanza et lui de Lola. Un 34, c'est bien mais c'est la légèreté du bike qui fait la différence, c'est fou comme je suis habitué au mien, j'ai du mal à conduire un autre vélo !!!

Bon, puis Romain me lâche dans le col. Je sui Sko. Romain, lui, avance bien mais là où on se croyait au col, ben finalement c'est que la moitié ! Merde ! Alors je le redépasse et on sort ensemble au col pour partager un snikers chèrement conservé. »Si t'essayes de l'refuser celui-là, tu t'prends une tarte ! ». Pas de « mange, t'es tout maigre qui tienne ! ».

De l'autre coté, c'est la descente vers la grand route. On est passés. J'ai expliqué à Romain que quand on ouvre une voie on lui donne un nom mais je ne sais pas si on a trouvé le tps de lui donner un nom ! « L'amigo, j'te confie cette tache ! Moi je suis occupé, ben oui, je tape pas sans regarder le clavier moi ! Ca prend du temps le « boulot ». Toi, t'es en France, t'as donc plus rien de sérieux à faire !!!! ».

Le lendemain, on se trouve en vue de Kosh Dobo, un village où on peut acheter à bouffer, rien d'exceptionnel mais une bonne bas. On quitte Kosh Dobo sans réfléchir vraiment à la route. Sur la carte, c'est clair, à gauche en arrivant au village. On part dans cette direction sans rien demander à personne, on a le vent dans le dos, c'est plat, descendant, on s'affole de rien… jusqu'à ce qu'on se dise « merde, il devait y avoir un col, nous on se laisse glisser, c'est pas normal !». Après 30 kms, on se demande si on s'est plantés de route comme des super blaireaux mais le gars nous dit « oui, continuez un peu et vous rejoindrez une autre route ». Au final c'est le moindre mal sauf qu'après 20 kms la route s'avère ne pas exister ou du moins on ne l'a pas trouvée… ou on est en train de repartir sur Narin !!

Au repas de midi la pompe de mon réchaud casse. Il faut réparer. Je suis fou mais Romain a une explication à tout ce qui nous arrive (la famine, les patins qui rendent l'âme après 500 kms, le feu, la crevaison avant Kosh Dodo, la carte qui est fausse et maintenant le réchaud !!) qu'il n'a pas pu apprendre à l'école d'ingénieurs : quelqu'un « vaudouise » l'un de nous. Après discussion il conclut que ça ne peut être que moi et qu'il pense savoir qui c'est !! Malheureusement, la suite lui donnera raison sauf peut-être sur le vaudou en question !!

Il faut rassembler tout son calme quand le demi-tour semble s'imposer, ne pas penser au visa, ne pas s'énerver et repartir dans l'autre sens. Un chien aboie et m'offre l'occasion d'extérioriser ma colère. Je prends « la pierre du chien », cette pierre tjs à portée de la main bien comme y faut. Il gémit tout ce qu'il peut. « Ah ben mon gars, au prochain cycliste, tu fermeras ta gueule !! ».

Le plat descendant se transforme en plat montant et le vent de dos en vent de face…. Que de logique dans tout ça !!! Poser le cerveau, ne pas penser à Romain, s'excuser mais il met la musique. Moi j'arrête de penser autant que possible, juste pédaler, surtout ne pas regarder l'immensité devant nous, surtout ne pas laisser le vent exploiter les failles de notre esprit, ne pas lui laisser voir que finalement je suis dans la merde à cause de ce visa.

Le vélo est le meilleur moyen de locomotion sur terre a une et une seule condition : avoir le tps. Quand on enlève ça, ça peut vite devenir très très dur. On s'apprête à en faire l'expérience !!!

Ce soir-là, on a un kilométrage « négatif », on est plus loin de notre objectif que le matin même et le vent a eu raison de nous. Jamais l'idée de monter dans un camion pour solutionner le problème en 5 minutes et quelques com /monnaie kirghize) ne m'effleure. C'est donc un putain de jeu et quand je joue, c'est pour gagner… Certains disent qu'ils s'en foutent de gagner ou de perdre. Je les plains car ils tuent ainsi le plaisir de jouer !

Alors on décide de jouer réveil à 5h du mat. Dans la nuit et la fraîcheur, on déjeune et part quand le jour se lève à peine… on a du chemin !!

On mange ce col à fond les manettes, route de merde mais on a ce défaut des rêveurs… on n'arrête jamais d'y croire !!!

Quand on est à la bourre, il semble que les montées sont longues, les descentes courtes, les routes mauvaises et le cycliste jamais assez rapide.

On réalise l'exploit de faire 100 kms sur des routes qui n'ont pas de nom au prix d'une journée longue, très longue où seule la nuit nous arrête et nous plonge dans un sommeil, je le jure, mérité ! Mais le lendemain, ça recommence. Le voyage devient juste une obsession d'arriver à Och pour obtenir une extension.

Mais le vaudou veille… et comme il faut. Dans la descente d'un autre col, au moment où je pose les roues sur le goudron qui nous fuit depuis des semaines, je crève. Il faut le vivre pour le croire. Des centaines de kms sans goudron, sans crever (juste une fois)… 2 m de goudron, je crève !!! Réparation rapide, on fonctionne en équipe avec l'amigo : un enlève les sacoches, l'autre démonte la roue… La première rustine ne tient pas alors qu'elle avait été bien posée, p… de vaudou !!!

La route du suicidaire nous fait redescendre au pied du dernier col, une carrière de pierres se situe sur cette route qui, par conséquent est peine de camions conduits aux extrêmes limites de leurs possibilités. Je fais pas trop le malin. Seule la DEE kirghize semble indifférente à ces monstres inconscients, rien ne leur ferait lever le petit doigt. & travailleurs dégustent de la vodka à l'ombre d'un arbre, le 7 ème regarde le goudron sécher… Bien joué les gars, 2 mètres carrés de pose !!! C'est à voir !

Ma sacoche de guidon se brise sous les secousses répétées. Elle tenait depuis le début sans souci mais le vaudou a raison d'elle. Plus loin, c'est les colliers de plomberie de mes porte gourde qui se casse puis mes cale-pieds aussi… Je commence à avoir sérieusement mal au dos, p… de vaudou !

En traversant le village, on cherche du pain. Ici, chacun fait le sien et y'a pas de boulangerie. Romain me dit : »regarde la classe » et part mendier notre petit déjeuner, sûr que les apprentissages du « maître » (celui avec lequel il a commencé le vélo) lui serviront ! Pas de bol, ça merde. La chance me sourit à moi quand un vieux me dit « attends ici ». J'attends, j'attends, j'attends, Je me dis qu'on m'a encore pris pour un con quand un jeune débarque en faisant sauter de main en main un pain qui brûle vu qu'il sort juste du four ! C'est pour ça qu'on m'a fait attendre et ça valait le coup ! On peut quitter ce village et attaquer le prochain col 1700m plus haut en altitude mais qui représentera 2100m de montée car il a 400m de descente coupe jambes en route.

On va le garder pour le lendemain, un lendemain où je me réveille énervé. Cette histoire de visa me stresse, 6 lettres d'une maladie mal venue dans ma vie par l'intermédiaire de quelqu'un qui m'est cher me hante… Y'a des jours où on voit tout noir même si on pense à une rose, des jours où la vie nous pèse et où il faut arrêter de penser mais c'est pas facile. Je suis énervé et cette petite grimpette est la bienvenue. Je décide de « me faire sauter la cafetière », histoire d'arrêter de penser, faire monter le cœur bien haut dans les pulsations, se faire souffler, appuyer sur les pédales comme un damné.

Le col est très très dur avec une route de merde qui semble sans fin mais je monte d'une traite, pas d'arrêt, je monte à bloc pour rejoindre le vent du sommet qui apaise et me calme tout en séchant mon maillot trempé, mon front où perle la sueur, extériorisation de la colère intérieure !

J'attends au sommet Romain qui arrivera une 1h30 plus tard sans vraiment comprendre ce qui m'a pris et ayant pris son tps pour manger en route. Moi, j'en ai profité pour recoller tout ce qui ne cesse de casser sous la puissance du vaudou qui nous réserve une autre surprise : la route qu'on voulait prendre et qui coupe n'existe pas en réalité. Faut faire le tour par Jalalabad où nous étions passés en route pour Bishkek. Coup dur pour le moral des cyclistes qui pédalent comme des cons du lever au coucher du soleil sans se voir avancer. A chaque fois, quelque chose arrive.

La descente du col est au moins aussi dure que la montée. On s'y traîne à 10 km/h tellement la route est mauvaise, jurant que les dieux nous en veulent, c'est pas possible autrement. Les poignets et les épaules mal en point, on arrive au village des graines de tournesols. Tout le monde semble impliqué dans la récolte de ces petites graines. Moi je m'offre deux snikers et un pain qui font que le soir j'ai perdu l'appétit pour mon éternel riz juste assaisonné avec un bouillon cube. Je fais du coup offrande aux dieux de ma gamelle avec une petite danse et une petite prière afin d'anéantir le vaudou.

Ca marche !!! Au matin, on retrouve le goudron et un plat descendant où on se laisse aller sans effort à 40 km/h , vent de dos pour arriver à Jalalabad. 180 kms de Osh à mon dernier jour de visa !!!

 

2ème partie...

On fonce dans le bureau d'une agence de voyages mise en place par un programme suisse de développement touristique, il me faut quelqu'un qui parle anglais. Dans le bureau, je tombe sur une géorgienne qui fait ses études en France et son stage de fin d'études ici dans cette agence ! « le français, oui, je le parle aussi ». Elle se fera en 4 pour m'aider en m'emmenant au bureau du KGB (elle parle couramment russe !!) négociant, faisant les yeux doux au chef mais rien à faire…. Il faut aller à Och ! Elle refusera que je lui paye le taxi qui nous emmène au KGB me disant : « t'as été en Georgie ? Si tu payes, c'est que t'as rien compris au pays ! ». Je range mes billets fébrilement me rappelant l'hospitalité georgienne.

Em quelques coups de téléphone, j'apprends qu'à Och on m'extendra le visa pour 50 dollars à condition d'y être aujourd'hui avant 16h ! Je trouve un taxi collectif qui fait la route et, vers midi, je quitte Romain qui s'occupe de mon vélo . Il me reste 4 heures pour arriver au KGB de Osh et étendre.

Une chance pour moi, le chauffeur roule à 120/130 de moyenne, accélérant dans les villages les mains sur le klaxon !!! Le mec est capable de répondre au téléphone, d'allumer une clope et de passer une vitesse tout en descendant sa vitre pour dire bonjour à son cousin flic sur le bord de la route… Ha, il change aussi de cassette en même temps !! Regarder la route, pour quoi faire ? A cette vitesse, frôlant les enfants qui jouent aux billes dans les villages, s'il fait un faux mouvement, s'en est fini pour lui ! Maintenant je sais pourquoi je suis pas à l'aise sur ma selle de vélo !!

Enfin, sur le coup, ça fait mon affaire : à 14h je suis devant les bureaux du KGB. Quand JE demande au gars si c'est là pour l'extension, il ne lève pas les yeux,, ne me répond pas. Je répète. Il me dit de dégager sur un ton pas cool qui me tend légèrement puis il se lève et m'insulte en russe pour me dire de partir. Je pète les plombs. Je me mets à balancer des coups de pieds dans tous les murs, les chaises, les portes en jurant tout ce que je peux sur ce pays d'ivrognes et de flics. Si y'avait pas eu une vitre, je l'aurais tué ! Un kirghize me prend par le bras et me calme. Il m'emmène dans un autre bureau difficile à trouver où le bureaucrate me dit qu'il peut pas étendre mon visa pour 50 dollars, peut-être pour 70 il aurait un truc pour moi la semaine prochaine !!!! Mais je peux pas moi ! Patience, cette mère patience……

Il me dit : essaye à ce bureau…je comprends pas où c'est exactement mais mon guide kirghize lui me reprend par le bras en me disant reste calme, c'est rien… et me ramène devant la même vitre que j'ai failli briser il y a une heure. Il est 15h, dans une heure je suis dans la vraie merde ! Cette fois on me fait rencontrer le boss qui fait venir une fille très jolie qui parle anglais ! Première question :: qu'avez-vous fait pour être dans un tel état ? Ah oui, j'y pensais plus à l'apparence, voilà bien 15 jours que je ne me suis pas douché et bien 3 semaines que mes fringues n'ont pas été lavées, je suis en tongues, des dread à la place des cheveux, mon short est noir, mon t-shirt n'en parlons pas, j'ai la fatigue qui tire les traits…bref, je ressemble à rien !!!

« Qu'est-ce-que vous voulez » ? Je lui explique mon cas via la traductrice. Une fois tout écouté, il répond de ce ton froid et traumatisant à la russe « niet ». J'ai déjà eu une extension à Bishkek et c'est en théorie pas possible d'en avoir une deuxième. Mais voilà, demain c'est férié, il est trop tard pour qu'il m'invite à prendre le bus jusqu'à la frontière et il ne peut pas me laisser sans visa, je le sais comme je sais que le niet veut dire « ça va pas être gratuit mon pote » !!!

Patience encore pour négocier. Des enchères qui commencent à 50 dollars qui sont bien trop pour moi. Je m'en tire pour 10 dollars !! Ah ben moi, je lâche rien, même dans cet état de fatigue psychologique du à quelques jours de vélo très durs ! A la fin, la montre est contre lui, il lui faut me donner le visa aujourd'hui, il le sait et du coup il cède après 30 minutes de négociation les yeux dans les yeux !

Il me faut aller à la banque. Mon guide kirghize dont le job est de demander les autorisations au KGB (pour que les kirghizes aient un visa russe) connaît bien la machine et son peu de logique et me guide à la banque où je dois m'acquitter de ces 10 dollars pour l'extension. Sans lui j'aurais pas réussi à payer à temps.

16 h pile ! J'ai payé et donne mon passeport avec le précieux papier qui « m'offre » 5 jours de plus pour quitter le pays ! Les kirghizes sont heureux pour moi. Auront-ils leur visa russe ? Je vous jure, la paperasse française, c'est les vacances à coté de celle kirghize….héritage de l'union soviétique !!

Il me faut retourner à Jalalabad, dernière négociation avec le chauffeur de taxi lequel, ayant une plus vieille voiture que celle que j'avais à l'aller se verra contraint de me faire un prix moins cher que ce que j'ai payé à l'aller ! Je lâche rien, mais quand je dis rien c'est rien !!! Et quand un des passagers complètement bourré me demande de lever mes jambes pour qu'il puisse s'allonger en travers sur moi et les autres passagers car il est « fatigué », fatigué de 2 bouteilles de vodka oui, ben je le reçois avec plein de politesse !!

La journée est presque finie. J'avais dit hier « « si demain soir je suis à Jalalabad avec une extension, c'est que j'ai vaincu mon vaudou » J'y arrive, ouf ! Je retrouve Romain à un cyber café où il a passé l'après-midi et là une deuxième journée commence.

Je voulais pas me connecter mais apparemment Romain est dans un chat sérieux alors je vais l'accompagner ! J'aime pas me connecter quand j'ai pas trop de temps et maintenant encore moins !

« t'es où ? » La question classique. «Jalalabad » », la réponse pas classique qui me vait «  t'es que là ? qu'est-ce que tu fous ? T'as vu les autres(cyclistes) sont déjà a Kashgar ? » (on ne peut pas lutter en vélo contre les bus…personne se soucie de comprendre….. Toi tu sors d'une journée vraiment de merde qui a commencé à 5h du mat, t'as rien mangé de la journée, t'es physiquement très fatigué et moralement à bout mais faut rester zen, très zen….

Envie de tout jeter, de dire qu'en 2 mois de Kirghizstan j'ai abattu près de 3000 kms dont plus de 20 cols dt 18 au-dessus de 3000, envie de dire que personne n'a passé sa jante avant la mienne au sommet d'un col vélo XT sacoche Ortlieb même tarif. Je me considère pas comme lent. Envie de dire qu'on peut pas comparer quelqu'un atteignant le sommet de l'Everest avec ou sans oxygène, avec ou sans porteur…Envie de dire que l'on a posé nos roues où jamais aucun cycliste n'avait mis les siennes… Mais voilà, d'une je sais pas dire tout ça de but en blanc et de deux je sais qu'on vit dans un système où ce qui compte c'est de se dresser au sommet, peu importe à tout le monde si on s'est fait porter par des porteurs avec une bouteille d'oxygène à deux litres minute !!!sur le bec… Puis d'ailleurs, je voyage pas en vélo pour prouver que je peux le faire, j'ai rien à prouver et je m'en rends encore plus compte là, devant mon clavier quand finalement je réponds rien aux questions qui n'ont pas de sens pour moi.

La dernière grande classique : » quand est-ce que tu rentres ? » est en train de perdre son sens également. Là devant cet écran avec cette magnifique journée, elle se meurt même et ce malgré les circonstances pas drôles du moment. Je réfléchis, je réfléchis, ne trouve pas de réponse à pourquoi rentrer. Tous mes arguments semblent épuisés mais pas de décision quand la tête ne marche pas bien. Allons dormir…

Romain a retiré de l'argent pour nous offrir une onéreuse guest house qui a le seul mérite c'est d'avoir de l'eau chaude !! Cette guest house rentre dans le programme de développement touristique mis en place par les suisses. L'idée est super, elle consiste à te faire loger par les habitants à qui on a dit : « y'a rien à faire, juste accueillir les touristes qui vous payeront ». Les prix sont chers et fixés par l'organisation et les hôtes ne savent pas ce que l'on est en droit d'attendre pour ce prix …alors quand au petit dèj t'as 2 bouts de pain sec et un thé sachant que pour 1 dollar au bazar, tu te pètes le ventre de pain frais et de yaourt au miel, de fruits frais et secs, on a un peu les boules sachant qu'on paye 10 dollars ! Donc, l'idée est bonne sauf qu'elle présente tout ce qui est clair de peau comme un pigeon !

Le lendemain, on repart (déjà !!) car 5 jours c'est pas non plus trop ! On roule tranquilles et c'est agréable comme si on venait de nous libérer. On rétablit les pauses biscuits qui s'éternisent jusqu'à une heure. On plante la tente de jour pour regarder le soleil se coucher et on se lève tard pour ne pas le voir se lever !

Puis au début, y'a du goudron et ça change le rendement même si, comme on est vraiment cons, on choisit de le fuir et de prendre une petite route ! On ne regrette pas car cette petite route est pleine de gens super. Dans un village, une femme nous offre du pain. Voyant cela, sa voisine nous offre une bouteille d'un litre et demi de confiture de myrtilles délicieuse. Toutes deux nous supplient de dormir là mais non ne peut pas !

Les hommes descendent des quantités de foin incroyables pour passer l'hiver. Chaque centimètre de montagne a été fauché dont certains endroits qu'il fallait vraiment aller chercher !

Encore un col. Au sommet, toutes les familles s'affairent à plier les yourtes. Romain a envie de koumisse, il monte les retrouver. J'ai envie de calme, je reste lire un livre qu'il vient de m'offrir : »la prophétie des Andes ». Un livre dont je vous reparlerai.

Une grand-mère arrive par derrière et interrompt ma lecture. Dans ses mains, un grand bol de koumisse. Elle s'assoit à côté de moi avec des yeux qui semblent perdus ! Elle me demande pas ce terrible « atkouda » qui m'insupporte sacrément. Après le Kirghizstan, j'arrêterai définitivement de demander aux gens d'où ils sont, j'attendrai qu'ils posent la question et me contenterai juste d'un « et toi ? » car « atkouda ? », d'où tu viens, where are you from, de donde eres, di dove sei… m'usent le cerveau…aucun comme le terrible atkuda russe mais quand même !

Cette grand-mère me dit « c'est la première fois que je vois un vélo ici » puis, ponctuant ses phrases de « bois, bois » me dit qu'elle est triste car « il faut bientôt quitter le jeilo, avant , on restait jusqu'à 7 mois, maintenant 4 mois maximum, je comprend pas les jeunes qui veulent redescendre ». Ses yeux sont humides maintenant. Moi j'ai fini mon bol de koumisse. Romain aussi. Il se redirige vers moi sans que j'arrive à dire à cette grand-mère tout ce qu'elle aimerait entendre. Mon russe est trop pitoyable mais je crois que je la comprends (pourquoi rentrer est notre question commune après tout mais elle n'a pas la chance de décider). Je lui adresse un regard sincère et ému tandis que la descente nous avale pour nous ramener sur la grand route à deux jours de la frontière…

Deux jours et deux cols par le Kirghizstan, ça monte et ça descend, dont un col que l'on a déjà pris dans l'autre sens à la sortie du Tadjikistan et celui là, il nous fait peur, très peur car c'est long et raide ! En fait, il passe plutôt bien et on recampe au même endroit que là où mon pneu avait abandonné la route il y a quelques semaines. Mais la route n'est plus la même, toutes les yourtes ont disparu et les grandes vallées vertes kirghizes sont assez tristes. Seuls quelques ronds témoignent de l'emplacement passé, symbole de la liberté du peuple kirghize.

Romain tente sa chance car il veut du pain et du koumisse avant de quitter le pays. Il marchera ½ heure aller et ½ heure retour pour un bout de pain sec !! Il est un peu vert surtout qu'il avait une photo pour une yourte qui nous avait accueillis avant mais qui c'est volatilisée depuis.

Au matin, on rejoint Sari Tash, dernier village avant la frontière et le col d'Irkechtam. J'achète de l'essence pour nos réchauds puis annonce fièrement à Romain que je vais dévaliser le magasin juste un peu plus loin. « ah oui, et avec quel argent ? ». Ni lui ni moi avons de l'argent. On achète du riz. La tenancière essaie de nous rouler avec des kilo qui pèsent 800 grammes mais je sais pas si c'est l'expérience du baroudeur ou le fait qu'on est vraiment à 200 gr de riz près mais on paye 1 kilo, on veut 1 kilo ! Romain rêve de pain qui avait été si bon à l'aller mais on a plus un rond, comme d'hab !

Frontière internationale : on s'attendait à un truc roulable. La route est horrible, juste le trafic témoigne de son importance. Pause déjeuner sommaire, comme d'hab. Rom, comme moi, on craque un peu, on rêve de montagne, de bouffe, de se poser et d'oublier la poussière, d'oublier les camions et surtout de ne plus entendre les « atkouda ». On peut plus voir cette vodka qui imbibe cette société et détruit la meilleure partie de chaque homme. Deux mois de Kirghizstan, de routes pourries et de cols. On a besoin de changer de pays, de quitter cette ex URSS qui nous coule trop dans les veines depuis plusieurs mois, quitter cette police et changer de monde en passant une ligne tracée sur un bout de papier. Passer en Chine , on en rêve juste pour que ce soit différent. On est presque trop à l'aise ici !!!

Une poignée de riz pour midi. On repart ? Allez. Ah ben finalement, non. Romain a crevé. Une crevaison, c'est rien, mais là, ça pèse un peu. On va se tirer putain ? J'ai jamais autant crevé depuis que j'ai ces p… de pneus increvables à 35 euros pièce !!

Il est où ce p… de col ? On monte, on descend puis remonte. Bon, cette fois ça suffit, allez, le sommet c'est ici, face à cette chaîne du Pamir. Impressionnant ! On se sent bien petits ou peut-être est-on bien fatigués… On s'arrête dans la descente à la vue d'une yourte pour mendier un peu de thé et de nourriture qu'on nous offre sans réfléchir. Nos visages doivent commencer à parler tout seuls, un truc du genre : « j'suis fatigué, j'ai faim, j'ai soif et quand est-ce que la route s'arrête ? ». Une heure dans cette yourte, une fois de plus, efface tous ces maux. Beurre, pain et koumisse remplissent le corps. Regard chaleureux qui, même s'ils ne comprennent pas notre folie, réchauffe le cœur…

Dans la descente, un camion qui monte serre un peu trop Rom et prend le mauvais côté de la route comme si on n'existait pas. Rom, pour toute réponse lui jette « la pierre du chien ». Le chauffeur s'arrête, le ton monte, je rapplique, on s'insulte tant que possible dans nos langues respectives (menaces de mort, doigt d'honneur et tout et tout) avant de repartir chacun de son côté !! C'est bon d'extérioriser !!

Nous on est à bout à cause des mauvaises routes et des événements de ces dernières semaines, le tout saupoudré seulement de quelques poignées de riz mais les chauffeurs aussi sont à bout à cause des mauvaises routes et de la frontière qu'ils viennent de passer, véritable calvaire pour eux vu qu'ils se trouvent, pendant des jours, livrés aux douaniers qui les rackettent et les laissent attendre là des jours entiers au gré de leur humeur…

Au pied de la descente, les chinois ont offert 15 kms de goudron au Kirghizstan, un billard, des lignes jaunes et un check post…avant goût de la Chine.

Le soir, on s'arrête juste avant la frontière. Un jeune Kirghize nous offre pain et beurre après avoir assisté émerveillé au montage de notre camp.

Demain, la Chine  : « fais de beaux rêves l'amigo ». « oui, toi aussi ». Je plonge dans mon duvet, commence à fermer les yeux et, comme souvent, Rom me rappelle à l'ordre « au fait, Seb, t'as oublié de te brosser les dents ! »… « Merci maman ! ». par acquis de conscience je ressors les bras de mon duvet et me brosse vite fait les dents… C'est le jeu préféré de Romain de me rappeler cela, alors que je n'ai plus aucune envie de le faire...

Plus tard, quand je retrouverai ma solitude, je n'oublierai jamais de me brosser les dents grâce à lui ou si je l'oublie ce sera avec une pensée du genre « j'me suis pas brossé les dents amigo et j't'emmerde !!! » parce qu'il fait trop froid ou autre…

Frontière, un bordel sans nom, des centaines de camions, des douaniers qui hurlent de partout mais encore une fois, à vélo, on est privilégié..pauvre routier ! Une queue de quelques heures pour un tampon et on repart avec une demi-heure pour arriver à la frontière chinoise 5 kms plus loin avant que les douaniers chinois ne prennent deux heures de pause déjeuner !

Arrivés au premier poste de contrôle, le douanier chinois parle super bien anglais et est donc d'une amabilité troublante…5 minutes très professionnelles et il nous invite à continuer « have a nice trip, welcome in China ». Merde, ils ont beaucoup changé, voilà que le touriste est le bienvenu en Chine !!!

Cela se confirme au poste douanier principal, très aimable, très pro, pas de fouille. 10 minutes plus tard, on quitte la frontière étonnés mais heureux. Ca y est, on est en Chine. La route est un billard et on n'a pas une tune mais Kashgar est là. A quelques 200 kms et trois cols !

On en mange 2 ce soir là avant de planter nos tentes sur le bord de la route en espérant qu'aucun camion ne décide de sauter.

C'est la crise bouffe, sérieux ! Il ne me reste plus de sucre, plus de thé, plus de sauce tomate, plus de sel, plus de…… bref du riz et un bouillon cube ainsi que de la confiture à la myrtille de cette gentille Kirghize !

Reste 150 kms, un col, on n'a pas un yuan (monnaie chinoise) et plus rien à manger une fois avalée cette dernière poignée de riz au matin avec un peu de confiture ! Il faut arriver à Kashgar. Romain en fait son affaire, il est remonté comme une pendule et m'offre un sérieux abri contre le vent à moi qui suis un peu mort. Il donne le rythme sur un plat principalement descendant et on (peut-être le mauvais pronom car je suis le gros suceur de roue ce jour-là avec le vent de face) arrive assez vite vers Kashgar où je prends le relais car je connais un peu la ville. Mais un peu, je n'y suis jamais venu en vélo et c'est incroyable comme on voit les choses différemment sur ce mode de transport. J'ai parfois l'impression que c'est ma première visite de la ville alors que c'est « déjà » la troisième !

J'avais jamais remarqué que les rues étaient faites de plaques de béton. Les distances comparées à un piéton changent complètement…Bref, je redécouvre le monde perché sur ma selle !

Dernier tour de roues avant Kashgar. Les jambes sont lourdes malgré le fait que je sois bien à l'abri derrière Romain depuis 60 kms mais la journée fut longue. 150 kms de route parfaite pour arriver pour la troisième fois de ma vie ici, à Kashgar. Trois fois…cela me laisse pensif, trois fois que j'arrive dans une des villes mythiques du voyage. Je me souviens d'être arrivé ici la première fois après que mon rêve de Muztagata semblait anéanti, puis finalement ça s'était fait ..une des grosses leçons du voyage, y croire toujours, toujours y croire. Quand on veut vraiment quelque chose, tout l'univers conspire à nous l'offrir. La deuxième fois, j'étais trop pressé voulant aller au Tibet trop vite, voulant consommer la Chine pourtant si consommatrice et immense ; ça m'a pas réussi. Quand t'es pressé, prends ton temps….j'ai pas oublié ! La troisième fois, ben elle est là, à écrire oui mais d'abord une tape dans la main avec le copain Romain toujours devant le Semant hôtel et une douche vraiment pas volée, je le jure. On l'a fait, on y est !!

Lola, elle, c'est sa deuxième fois ici. La première apparemment avait été assez dure vu qu'elle avait connu la prison avec son ex propriétaire. Aujourd'hui, Kashgar accueille les touristes à bras ouverts, pas de soucis. Y'a même des enseignes en anglais ! Les temps changent, à nous de nous y adapter !

Kashgar a à la fois beaucoup changé et pas vraiment changé. On pose bagages dans le Seman hôtel, celui où je viens depuis le début, 3 euros une super chambre avec une belle salle de bain…c'est du méga luxe. Tout le monde va manger au John's café. On y essayera un dessert très cher qui n'arrive pas à nous convaincre malgré notre besoin de nourriture ! C'est dans un petit restau uigur que l'on pose nos habitudes « bosh nan » : galette fourrée de viande de mouton aux oignons ainsi que « lakman » (sorte de pates molles épicées) nous comble de joie. Et puis, y'a ces jus de pêche que j'aime tant… Je décrète : pas de limite d'argent pour la bouffe » et c'est très très agréable sachant que le dernier mois m'a couté déjà 4 kg avant le Tibet. C'est pas bon !

Puis y'a internet où Romain comme moi passons nos journées et une grosse partie de la nuit : le cordon ombilical avec tous les gens que l'on aime un peu partout sut terre fait partie intégrante de mes moments de recharge énergétique. L'énergie de la nourriture est certes importante mais celle du cœur l'est bien plus.

Voilà près d'un an que je suis sur la route et c'est une sorte de cap car tout le monde m'aurait bien vu en France pour le 18 septembre, ce qui ne sera pas possible. Expliquer, justifier ce que l'on n'arrive pas à expliquer à soi-même, doute-espoir, espoir-doute…le seb est fragile, il pense trop. Mais internet, MSN et certaines personnes derrière l'écran trouvent les mots justes pour apaiser les doutes et ne laisser que l'espoir , celui de repartir, l'esprit libre…

La région autonome de Xinjiang, comme celle du Tibet n'est pas une vraie partie de la Chine. Peuplée essentiellement de musulmans uigurs, parlant une langue turcophone, ce à quoi il faut ajouter tous les marchands pakistanais profitant de tout ce qui leur est interdit quelques kms plus à l'ouest : alcool, femmes, cigarettes… le tout sous le regard chinois (han) arrivés ici un peu par hasard pour eux mais par calcul savant du gouvernement chinois sachant que la meilleure façon de se débarrasser d'une majorité qui ne lui est pas favorable c'est d'en faire une minorité bien contrôlée…

Tout ce petit monde vit à des rythmes différents comme si il y avait plusieurs pays en un . Le dimanche, les marchands kirghizes complètent le tableau pour le fameux « Sunday market » : jadis un grand bazar, aujourd'hui trop propre et organisé à mon goût mais notre visa nous le rappelle : nous sommes en Chine !!!

A Kashgar, on vit à l'heure de Pékin (Beijing), centre du monde chinois et du monde pour les chinois même si Kashgar se trouve dans un fuseau horaire différent (2h de décalage horaire au soleil) qui ajoute à la confusion de tous…

On peut reprocher plein de choses aux chinois, même si c'est pas aux chinois eux-mêmes qu'on fait des reproches mais plus à leur gouvernement (communiste de nom… il suffit de 5 mn en Chine pour savoir qu'on est dans le plus grand pays capitaliste du monde) mais pas la nourriture.

Après une visite à un magasin de vélos histoire de redonner vie à nos montures avant de les détruire sur les routes tibétaines, on trouve un restau ou normalement personne ne va vu que ce n'est pas dans le centre et les alentours. Personne ne parle chinois. Le langage, gros problème en Chine. On commence par vouloir nous virer. Souvent les chinois se sentent inférieurs parce qu'ils ne peuvent pas parler anglais sachant que le président chinois a décrété il y a un an que tous les chinois devraient parler anglais en 2008 pour les J.O….No comment !! Mais finalement on insiste un peu et le chef, les yeux malicieux, voit là une opportunité de nous prouver son talent. On lui fait comprendre qu'il a carte blanche !!!

Les plats défilent les uns après les autres , chacun rivalisant avec l'autre : des mets délicieux à nous faire tomber dans les pommes. On n'en croit pas nos yeux, ça n'arrête pas d'arriver. Mais pas de souci, on a de quoi accueillir tous ces plats ! On nettoie tout pour le grand plaisir du chef et surtout du nôtre. C'est un repas digne des meilleurs restau culinaires français, sauf peut-être que c'est pas des échantillons mais de vrais gros plats ! Puis le chef sort de la cuisine : arrêtez les gars, arrêtez de faire revenir les légumes, frire la viande, de faire des soupes sucrées aux légumes….richesse de la cuisine chinoise qui fait oublier tout le reste sauf peut-être l'addition qui nous inquiète vraiment tellement c'est exceptionnel. On s'attend à du 10/15 euros, ce qui serait une fortune bien au-dessus de nos bourses. La note tombe : 3 euros pour deux !!!! Mon gars, tu nous r'verras même si c'est à l'autre bout de la ville !!

On reviendra. On ira aussi dans un autre restau près du quartier touristique invités par un suédois qui vit en Chine et qui parle chinois (le super plan pour apprécier la cuisine chinoise dans toute sa splendeur) et quand je dis qu'il parle chinois, c'est qu'il parle couramment chinois et l'écrit même…10 ans de boulot !!!). C'est ici beaucoup plus cher mais on est les « guest en Chine » nous dit-il. Il nous fait aussi remarquer que c'est la première fois qu'il voit tous les plats d'un repas retourner vides à la cuisine ! Ah ben, on lâche rien, on connait la valeur d'un grain de riz !!!

Kashgar, ce sera la bouffe en priorité. Un soir, on tente les restau de rue qui vendent des brochettes de viande et de légumes. C'est moi qui commande et j'ai oublié de préciser « sans piment » : on a failli mourir. Moi j'ai abandonné le combat assez vite, les lèvres en feu, les larmes aux yeux. Romain, plus teigneux, n'a rien lâché ! Il le payera cher le lendemain… Des barres Nestlé complèteront ce que je n'ai pas réussi à manger car je reste d'Europe quand même !!!

Outre la bouffe et internet, nos préoccupations se portent sur nos vélos, surtout moi : je change mon axe de pédalier et refais mes deux moyeux car ça merde sérieux à ce niveau. Sur la terrasse de l'hôtel, je joue avec les moindres billes de mon vélo sous le regard halluciné des passants à qui le cambouis fait peur !

Je rachète des lunettes car, depuis la perte des miennes, j'avais des lunettes à 0,80 $ pas top et qui survivaient au scotch et c'est pas bon pour l'image ! Je passe à des lunettes à 8 $ !! La ruine !! Pareil pour les gants made in China que j'ai pas fini de maudire ! Puis je m'achète au Sunday market un drap que je fais coufre pour avoir un duvet plus chaud…Une sorte de routine en fait qui consiste à préparer le prochain départ mais cette fois c'est un départ pour le Tibet.

Depuis le début de mon voyage, je m'imagine attaquer le Tibet au top de ma forme et avec du matos super réglé ! Moi, j'ai le cul démonté par trop de vélo, les dos et les genoux qui couinent. Le vélo, ma foi, me parait bien fragile avec ses jantes à 10 $ et son axe de pédalier à 8. Quant à tout le reste (tente, réchaud..) et ben ça vieillit pas mal aussi. Un voyage au long cours au-delà de l'année est une terrible épreuve matérielle et développe un certain sens du système D et surtout nos apprend à démystifier le matériel en devenant moins matérialiste et plus rêveur !!!

Romain, lui, c'est le froid qui l'incite alors, comme moi, il investit dans ce que l'on sait être la dernière vraie possibilité de ravitaillement sérieux avant Lhassa, près de 4000 kms plus loin, à l'est !!!

Sans se consulter, Romain et moi savons que nous ne ferons pas la route du Tibet ensemble, chacun de nous a besoin de tenter l'aventure seul ! Le Tibet, c'était un peu le but du voyage. Pour moi, dans ma tête jusque là on s'échauffait mais je sais que les conditions ne seront pas plus dures qu'au Kirghizstan, les routes pas plus mauvaises qu'au Tadjikistan, le vent pas plus fort qu'au Turkménistan, la boue pas plus boueuse qu'en Géorgie, la police pas plus chiante qu'au Tadjikistan, le froid pas plus vif que l'hiver dans les montagnes turques, la neige pas plus profonde que dans les montagnes de Bosnie.

Je sais que ça va être un mix de tout ça à la fois, sans compter l'altitude…va y'avoir du sport mais moi je reste tranquille et d'ailleurs, c'est un peu de challenge qu'on va chercher au Tibet sur celle qui est considérée comme l'une des routes les plus dures du monde pour un cycliste…

Merde je suis au pied du Tibet, je peux pas y croire !!!

Le 14 septembre, dernier p'tit dèj avec l'amigo puis on se serre la main, émus mais incapables de dire un mot. L'un comme l'autre on est pas doués pour parler alors un bonne route suffira et puis, en tant que voyageurs, on sait qu'on se recroisera en France, en Asie, en Amérique ; on s'en fout, le monde est petit quand on le regarde comme un terrain de jeux et l'un comme l'autre n aime jouer, rêver de ce BBQ qui si souvent nous a motivés pour pédaler…Rom me laisse 2 jours d'avance, je finis de paqueter et pars…

Comme d'hab, repartir après un long break ça fait tout drôle, comme s'il fallait regagner un corps que l'on avait quitté. On semble tout perdu parmi les charrettes et le trafic moderne bien plus bruyant et dangereux. On cherche des heures l'endroit où camper faute d'avoir ce feeling qui nous conduit comme un loup de mer après des semaines de route , on manque le bon plan d'eau, on entend que des bruits parasites, on n'arrive pas à être attentif à ces détails qui font la vie qui nous entoure. Mais ça revient vite, c'est finalement très facile de (re)devenir libre et nom de dieu que c'est bon ce silence qui n'est pas silence mais juste absence de tous les mauvais bruits de la vie urbaine. Ces étoiles qui remplacent le plafond d'un hôtel, ce rythme calé sur celui du soleil, le réchaud qui s'allume pour chauffer quelques litres d'eau si précieuse…

Premier camp : merde, j'ai plus de frontale !! Elle a mystérieusement disparu à l'hôtel …femme de ménage ou les autres qui partagent le dortoir ? Peu importe mais je ne peux pas aller au Tibet sans frontale !

La route qui mène à Karghilik est plate et goudronnée tout le long et Karghilik c'est là où on quitte le désert du Taclamacande pour s'orienter au sud vers des montagnes qu'on ne devine pas encore ! Je m'arrête à Karghilik en fin de matinée et repars en bus pour Kashgar. Aller-retour de 8h de bus pour un petit bout de plastique que je paye très cher : une frontale Pelzt, exactement la même que celle qu j'avais mais, tout ce qui est importé en Chine, ça douille sérieux !!!! Mais une frontale c'est très important. Aujourd'hui Tibet derrière moi je ne regrette cette mauvaise après-midi de bus mais alors pas du tout, ni même le prix de ma frontale car sans elle, j'aurais payé bien plus si j'avais pas pu rouler de nuit !!!

De retour à Karghilik à minuit, je réveille tout l'hotel qui m'avait bouclé dehors. Au matin j'achète tout plein de bouffe, soupe de nouilles et riz principalement. Un dernier lak man juste devant le panneau de 5m par 5m où c'est écrit que les voyageurs ne sont pas autorisés à prendre la route sans un permis spécial !!!

En réalité, la route est une passoire, personne ne cherche à la contrôler mais ça leur plait aux chinois de ne pas l'autoriser officiellement ! Ca plait aussi aux backpacker qui sont là, qui croient vivre la grande aventure du Tibet illégal en racontant qu'ils doivent prendre un taxi pour éviter le premier check post qui est terrible d'après eux. Je suis passé : y'a pas de check post ! « mon gars, tu t'es bien fait enfiler par le chauffeur de taxi qui te bourre le mou en te vidant le portefeuille » !!!!

Quitter la ville. La prochaine est à 3000 m plus haut et 2000 km plus loin…pas de quoi s'ennuyer quoi !

Départ difficile, l'aller-retour à Kashgar m'a fatigué, j'ai mal aux genoux, très mal au dos (héritage des poussages au Kirghizstan) et mal aux fesses malgré la semaine de pause à Kashgar. Le vélo est très lourd et même si je suis sur le goudron, je n'avance pas ! Je me dis que c'est loin d'être gagné ce business doutant que le Tibet me soigne !!

Dès le début c'est clair, il va falloir être patient. Je décide de fixer un max de roulage à 7h par jour afin de ne pas trop me fatiguer dès le début et surtout j'adopte ce rythme lent, très lent mais tellement régulier.

Les gens croient que pour aller vite il faut appuyer sur les pédales. C'est faux : pour aller vite il faut aller doucement !! Très doucement amis régulièrement. Les gens qui m'ont déjà vu marcher savent comment je fonctionne et cette stratégie n'est que doublement vraie quand on commence à jouer avec l'altitude et les caprices de la pression…

Le stress de la sortie du Kirghizstan plus Kashgar où j'avais 10.000 choses à faire puis la frontale font que je suis content à l'idée d'aller doucement, de prendre mon temps, d'écouter mon corps et de me laisser lentement glisser vers le Tibet…avec l'idée que peut-être je serai pas à la hauteur, que mon corps et mon vélo, fatigués par un an de route ne supporteront pas la route, cette route sur laquelle j'ai entendu tellement de choses « la route la plus dure du monde ». La route s'élève lentement, la chaleur commence à se faire torride, les dromadaires cèdent petit à petit la place…transition lente, très lente tour de roues après tour de roues.

Dans ma tête, j'espère pouvoir aller jusqu'à l'est du Tibet et sortir à Kunming en Chine mais dès le début, c'est également clair que c'est les Dieux qui décideront. La sortie au Népal reste une possibilité, je garde toutes les portes ouvertes. Janne Corrax lui-même me dira « this is real freedom » à propos de ma vision des choses où la route me guide à mon rythme.

Je suis parti en autonomie de bouffe malgré la fait que je sais qu'il est possible de se ravitailler mais je ne sais pas pourquoi, je sens bien qu'il faut que je sois un peu seul et puis cela évite de devoir s'arrêter dans chaque village et de négocier sans fin le moindre repas ce qui me fatigue bien plus que de cuisiner moi-même car je n'arrive pas à lâcher le morceau facilement. Et puis l'autonomie, c'est la liberté : tu t'arrêtes quand tu veux, où tu veux, t'as pas à pousser pour atteindre tel ou tel village, juste les rivières ont une importance capitale afin de nous fournir le précieux liquide rarement autant transparent que ce que l'on souhaiterait qui nous offre le riz et la soupe de nouilles !!

Certaines personnes considèrent que porter un thermos est un surplus de poids inutile, moi je porte le mien et, jamais au grand jamais je n'attaquerais un tel parcours sans le précieux service que ce dernier peut rendre, économie d'essence d'abord puis surtout ce liquide fumant qu'il offre à la pause n'a pas de prix…Les mains autour de la tasse et la serrer comme ci c'était une pierre précieuse, la chaleur du liquide est vite contagieuse pour le plus grand bonheur du cycliste. Un thermos ça peut être un luxe…mais j'aime le luxe !!

Le 19 septembre, alors que la pente commence à s'élever après 4 petits jours de vélo depuis Kashgar (retour pour frontale oblige), je fais une pause de plus qu'habituellement, une pause non planifiée mais, après 1 an et 1 jour de route j'atteins la barre des 20.000 kms non sans repenser que, à mon premier km, j'étais loin de m'attendre à passer la barre des 20.000 sachant que je situe Katmandou à environ 15.ooo km de la France  ; c'est en tous cas la distance moyenne Europe-Népal pour plein de cyclistes. Encore une fois je me dis que je ne suis pas doué pour l'orientation tout en me disant que je ne suis pas trop mauvais non plus ! Je revois chacun de mes 20.000 km, les coups durs, les coups du sort et les coups de cœur …

Une photo pour immortaliser ce moment et je repars car finalement ce n'est qu'un chiffre qui, s'il ne me laisse pas indifférent, ne rendra pas le col qui m'attend plus facile. Vite, ces 20.000 kms sont replacés à leur juste place, derrière moi et mes roues tournent dans leur juste sens, devant moi !

Ce soir là, je m'arrête planter la tente juste devant une ruine trop crade pour que je campe à l'intérieur. Cette ruine a les murs tagués au charbon de bois, un nom retiens mon attention « yak man » avec une date que j'ai oubliée : Claude Marthaler, gourou des acharnés de la pédale est passé par là…Le jour de mes 20.000, c'est mon tour d'y passer alors qu'il est actuellement en Afrique depuis près d'un an pour un nouveau long trip. Il est parti le 8 octobre 2005 soit…le jour de mon anniversaire…vous croyez aux coïncidences ??

Ce soir un chamelier passe par là avec son troupeau afin que je puisse lui offrir un peu de thé mais il est pressé et moi je ne recherche pas forcément la compagnie. Au matin, j'attaque un de ces cols gardiens du plateau tibétain tranquillou , surtout au-delà de la barre des 4.000 que je franchis pour la première fois depuis quelques temps mais le col n'est pas raide et dure en lui-même toujours pareil …patience…. Au sommet, je laisse un petit mot à l'amigo avec une pince pour gamelle trouvée à la ruine…la vieille histoire d'être un peu avec lui. Aura-t-il le mot glissé sous des pierres écrivant son prénom… ?

A ce premier col, je fais une rencontre, quelqu'un qui va m'accompagner dans les prochains mois, tantôt ami, tantôt ennemi, tantôt destructeur de moral tantôt me contant des histoires de routes et de montagnes lointaines , des histoires sur la folie des hommes et surtout posant les bases d'une très belle histoire que je redécouvrirai sous cet effort incessant à me faire tomber l'armure, tantôt il vous ouvre les lèvres, tantôt il sèche votre linge, tantôt il masque le soleil par ses alliés les nuages, tantôt il rend le ciel d'une clarté troublante, tantôt il mène le sable dans vos yeux, tantôt il vous fouette avec la neige….tantôt véritable frein à n'importe quelle tentative de montée du mercure, tantôt il arrache les larmes, tantôt il les sèche…

Dans tous les cas, il ne laisse jamais indifférent. Si la haine et l'amour forment un cercle ouvert se touchant presque en leur intensité maximale respective, alors il fera la liaison. L'aime-t-on ? Le hait-on ? N'essayez pas de répondre et apprenez à l'accepter.

Son nom, c'est « VENT » mais le vent du Tibet n'a rien à voir avec tout ce que vous pouvez imaginer du vent. Il est comme partout et nulle part à la fois, il ne souffle pas toujours très très fort mais comme le cycliste : régulièrement ! Il a dompté le temps et, en ce premier col semble sourire au cycliste que je suis : « bienvenue, je vais te dérouter ». Moi, teigne de la route je souris aussi, sûr de réussir à garder le cap mais le vent a le temps, il est plus patient que personne sur cette terre. « tu m'excuses le vent, je ne te souhaite pas la bienvenue, j'ai pas encore appris à te connaitre » et sur le coup, il me glace ; moi et mon corps qui sortons de l'été et du désert ne sommes pas habitués au froid car le vent fait d'une température qui serait clémente une température bien fraiche alors, pour peu que la température de base soit fraiche, il faut être prêt à avoir froid ! ( http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=17764 regardez ce tableau pour plus d'infos !). Goretex wind stopper ? vous oubliez tout…il passe partout, vicieux comme pourrait l'être la pluie.

Les cols s'enchainent les uns après les autres, les nuits se font de plus en plus hautes et donc de plus en plus froides. Mon grand souci, c'est l'eau mais c'est en fait bien moins un souci que je ne pensais. A vrai dire, même, la route est mauvaise mais rien de terrible, j'ai le temps, l'altitude, je gère, je fais très attention à super bien m'acclimater. Les erreurs à 3.000 se payent à 5.000 dans les semaines qui suivent, je le sais par cœur, je ne monte jamais ma tente de plus de 400m par jour. Même si l'altitude n'est pas très élevée et que ces précautions sont un luxe, je veux une acclimatation béton et surtout, je ne veux pas puiser (ou le moins possible) dans mes réserves : trois mois, c'est long, je le sais, alors je bois et je mange du mieux que mes sacoches peuvent contenir et surtout j'écoute la mécanique la plus sophistiquée de la planète : le corps humain !

Une machine incroyable mais faut savoir l'écouter ; là c'est les genoux qui couinent ainsi que le dos. Tous les soirs et tous les matins, massages et étirements pour prendre soin d'eux… Y'a aussi les fesses qui ont mal digéré les grosses journées au Kirghizstan ! Certains croient que le vélo ça fait de belles fesses….je vous promets qu'ils n'ont jamais étudié la chose comme il faut ! Toutes les techniques de vieux loup y passent…de la crème solaire au roulage braguette ouverte afin que le cuissard soit toujours sec mais plus on monte et plus il fait froid et on arrête vite de laisser cette porte ouverte à notre ami le vent car on est pas encore assez intimes !! Faut pas non plus déconner !!!



...la suite va être online dès que possible...