(5 mois de route sur papier, je m'étale
un peu sur le coup)
5 Décembre 2006, réveil qui n'en est pas un, j'ai
quasi pas dormi, la tête qui n'en peut plus d'avoir mal, le
cerveau qui va exploser et cette toux de merde qui dure et m'empêche
de dormir et même de rester allongé. Il fait pas froid…nouveauté…c
humide, le jour n'est pas levé que je mets en route le réchaud.
Ca marche bien.. repas riz blanc, un thermos d'eau chaude et je vais
quitter ce bord de route car rester là c penser et repenser…c
pas bon quand on a de la fièvre.
Un matin presque comme les autres sauf qu'il y a des arbres, les
gens portent des habits colorés sans veste avec des tongs.
Premiers visages du matin, premiers regards. Les femmes sont belles,
très belles dans leur sari. Regard de braise et moi je monte
sur LOLA au regard fatigué…60 ème jour de vélo
non-stop, 50 ème jour que j'ai pas eu une douche, un hôtel,
un repas autre que soupe de nouilles et riz et pourtant j'arrive
pas vraiment à me réjouir.
105 km . C quoi ? y'a du goudron et des klaxons. On est chez
les hommes. Ce soir je serai a Kathmandu. L'idée, faute de
rentrer les bosses faciles les rend raides et moi je suis fatigué et
puis je veux pas arriver, je veux pas qu'on me dise bravo, t'es arrivé !
Le brownie et le steak éventuellement je les prends !
Mais on n'arrive pas du Tibet, on n'arrive pas de 15 mois de voyage.
Alors on fait quoi ?
Je sais pas. On roule et après on réfléchit!
Et là l'homme retrouve le monde et cette page blanche que
j'ai besoin de remplir, pas vraiment pour vous. Pour moi je crois.
La plupart des gens croit que l'écriture est un acte que l'on
fait pour les autres . En fait, je crois qu'on écrit pour
soi. D'ailleurs, si je me disais que j'étais lu, est-ce que
j'écrirais ? Mon premier gros voyage m'avait mené dans
cette ville, premiers carnets. A l'époque je les appelais « personnes » car
je savais qu'ils seraient jamais lus. Je les écrivait pas
pour être lu de toute façon.. un peu comme la toux…les
mots doivent sortir à un moment donné pour prévenir
les maux sûrement ! A cette époque, je commençais
tjs mes carnets par cette phrase de Hubert Félix Tiéphaine
que j'adore peut-être pour la définition de la vie qu'elle
contient : » voici les photos de maroute, prises
par avion, par nuit de brouillard, dans ce vieux catalogue des doutes
aux pages moisies par le hasard, à tjs vouloir être
ailleurs puis roman de nos têtes brûlées, on confond
les battements de son cœur avec nos chaînes encrassées,
bourlinguer, errer… »
Alors aujourd'hui je me décide à livrer les photos
de ma route. A quand remonte le dernier mail ? Loin, très
loin…Bishkek ! Allez, retour….C parti !!!!
Refaire la route jusqu'à mon dernier mail commun…marche arrière
pas facile. Certains moments viennent directement à l'esprit
laissant peu de place au reste… et puis la mémoire est parfois
traître. J'ai cru la mienne bien meilleure que ce qu'elle n'est
en réalité. On me ratera pas sur ce point alors c sans
prétention que je vais essayer !
Bishkek… une semaine de gde vie se termine, luxe d'un appart, d'un
chez-soi, de plein de bouffe, de plein d'internet…mais voilà,
il est tps de quitter Romain, fidèle compagnon de route et
de descendre l'escalier de l'appart et aller alla guest house où tout
le monde reste pour récupérer Nicolas, un argentin
qui veut rouler un peu avec moi. Est-ce que j'ai le goût de
rouler avec quelqu'un ? Au fond de moi pas trop mais comment
dire non. C un jeune cycliste ( 1000 km ) et je ne peux pas refuser
un peu d'expérience qui m'aurait tant rendu service au début.
Alors vers 11h, on part doucement. C la saison des framboises. Je
m'arrête faire le plein. Forcément, Nico s'étonne
de ma lenteur à pédaler et de cet achat. T'inquiète
gringo, mange bien et tu pédaleras longtemps, pédale
doucement et tu iras sûrement. C marrant, tout le monde croit
qu'on est des cyclistes affûtés qui roulent à fond… moi
mon truc c la lenteur. Ca veut pas dire que j'avance pas mais j'aime être
régulier dans l'effort, jamais souffler et jamais avoir mal
aux jambes… avec ça on est souvent les plis rapides.
Quand t'es pressé… prends ton tps…Y'a que ça de vrai
ici et en vélo !
Le soir, je découvre que le porte-bagages de Nico fait la
gueule. Le pauvre a pas de scotch US. Réparation sommaire
mais le lendemain il lui faut retourner à Bushkek pour réparer.
Finalement, la vie est bien faite et me revoilà de nouveau
seul.
Au début, ça fait drôle. Des fois je me retourne
pour chercher du regard le T-shirt orange de Romain. Ah oui, c vrai
, il est à Bishkek attendant le grand jour en piétinant !!
Mais les réflexes de solitaire reviennent vite, très
vite, assez pour se dire que finalement, sur 10 mois de voyage, j'en
ai quand même fait 8 tout seul donc je suis pas inquiet, ça
me va bien même !
Lonely Planet annonce une belle route mais en fait ce sera profondément
ennuyeux. Peut-être que la route est belle mais il y a tellement
de trafic que c difficile d'apprécier le paysage. D'autant
que faut connaître le conducteur kirghize pour comprendre.
Il a cette idée que plus tu conduis vite et bourré,
plus t'es un bon pilote. C pas qu'il conduit mal mais j'ai rarement
vu pilote aussi inconscient…. A 120 dans les villages, pas de soucis
mais le gros souci c la vodka. Ici un litre de vodka coûte
moins de 1 dollar et ils sont convaincus que c bon pour la santé et
que ça rend plus fort alors… ils consomment ! A tous
les kms, tu peux trouver une voiture arrêtée et ses
passagers, chauffeur compris, en train de trinquer à la vodka !
J'ai jamais aimé la vodka.. sûrement un arrière-goût
de digestion difficile de ma première cuite mais maintenant
je veux même plus en entendre parler. Je peux plus voir ces
mecs bourrés, défoncés, détruits par
un peu de liquide… Que l'homme est faible parfois !
Ces mecs sont des dangers ambulants. Des fois tu vois une voiture
te doubler et puis quand elle s'arrête, tu t'aperçois
que le chauffeur arrive pas à marcher.. Y'a des moments tu
te dis c le suicide le vélo au Kirghizstan ! Il semble
que les kirghizes sont des ivrognes finis et ça j'aime pas
mais il y a l'autre partie du Kirghizstan qui restait à ce
moment là à découvrir.
Mais finalement, à force de rouler, le lac apparaît,
le fameux lac Isik Kul, fierté des kirghizes ! C vrai,
il est beau. D'ailleurs, il appelle le plongeon. Du coup, le soir
arrivé, je monte la tente à côté de lui,
prends un bon bain mais je le regrette vite car c infesté de
moustiques ! Il me faut plier retraite dans la tente pour fuir
un nuage qui me tourne autour de la tête et qui ne craint pas
la bombe anti-moustiques !
A Bishkek, j'avais eu l'immense joie de recevoir un colis plein
de belles choses pour améliorer ma vie (merci à ts
ceux qui l'ont rempli). Plein de petits luxes dont un petit lecteur
MP3 ! Au début… sceptique. Je suis finalement tombé sous
le charme. Je l'avais chargé de plein de musique outre celle
avec lesquelles il avait été livré et j'avais
une arme en or ! Du coup, mon MD est reparti en France avec
la copine de Romain (merci Sarah), mon fameux MD que je trimballe
depuis 4 ans un peu partout et qui m'avait tjs été si
bon ami ! Mais le MP3 était tellement mieux sauf… qu'il
y a des choses que la technologie assimile mal et en plein « Manu »,
forcément, le truc c éteint net et ne se rallumera
plus jamais ! Au début, je pensais que c'était
les piles mais non ! Ca devait être écrit…. A partir
de maintenant, c sans musique et c comme ça, pas la peine
de se plaindre.
A grand renfort de myrtilles et de framboises vendues un peu partout
le long des routes, le Kirghizstan a été décrété pays
du plaisir alors je me lâche : tous les jours un snikers,
tous les jours un dessert et des fruits puis… fini les pâtes
mayo, place au riz avec tomates fraîches et oignons revenus
dans l'huile. Ca prend du temps, de l'essence mais c tellement bon.
Je porte même du sel… Le grand luxe ! Alors j'avance pas
vite, le luxe, faut savoir en profiter, ça dure jamais assez
longtemps ! Mais malgré tout, quand on veut pas arriver,
on arrive tjs plus vite que prévu et Karakol est déjà là !
Enfin, presque là. Je voulais y arriver ce soir, je pouvais
y arriver ce soir mais faut jamais vendre la peau de l'ours avant
de l'avoir tué. Coup d'œil derrière sans savoir pourquoi.
Pourquoi regarder devant soi ? Pour s'assurer d'avoir avancé ?
Non, sur ce genre de route, c plus pour prévenir le prochain
coup de klaxon, s'attendre à ce savoureux bruit , c déjà une
victoire mais là mes yeux se posent sur le ciel noir, très
noir, ça arrive, ça va pas me rater c sûr. Première à droite,
2 m2 d'herbe, 2 minutes chrono, le vélo est désossé de
ses sacoches, la tente montée, je suis en train de fermer
avec douceur la fragile fermeture éclair de ma tente…L'orage
est violent mais jamais long, juste un mauvais moment à passer
dans cette tente qui est fatiguée de me protéger, ça
goutte ici, ça s'infiltre là, le message est clair…va
falloir scotcher. Pas de soucis, ce sera fait ! C comme ça,
même la Joconde subit les outrages du tps ! Bon !
Refaire le sourire de Madame au scotch US me parait bien plus compliqué que
la pauvre réparation que je ferai le lendemain !
L'orage passe, l'homme reste. Demain, je remonterai en selle, reprendrai
la route…enfin… son bas-côté au son des klaxons pendant
longtemps. Je hais les klaxons. Depuis la Georgie je me dis :
là au moins il m'a vu mais au Kirghizstan, royaume de la vodka ça
suffit pas à me rassurer. Le bas-côté, c bien !
Karakol, petite ville pas trop grande, pas trop petite, parfaite
pour ce que j'ai à faire mais déjà trop grande
pour planter une tente gratuitement. Enfin, le jardin d'une guest
house fera mon affaire pour 50 com (1 euro) avec douche chaude en
prime. Que demande le peuple ? Et puis je suis pas le seul à planter
ma tente là donc c sympa un camping de 4 ou 5 emplacements.
Ici se trouvent réunis toutes sortes de voyageurs : voyageurs
des cimes (alpinistes), voyageurs des montagnes kirghizes verdoyantes
(trekkeurs), voyageurs à cheval, voyageurs à moto,
voyageurs visiteurs pour deux petites semaines, voyageurs au long
cours le sac visa sur les épaules et voyageurs en roue libre
(cyclistes)… Drôle de monde que celui des voyageurs. Le terme
français ne me plait guère mais après tout,
c la traduction de traveller qui me parle plus sans que je puisse
expliquer pourquoi.
En tous cas, cette petite communauté de gens de nationalités
tellement différentes comme de façon de voyager me
fascine depuis mon premier voyage. Voyageur, qui es-tu ? Voyageur.
Que cherches-tu ? Allez savoir vu qu'il y a autant de réponses
que de voyageurs…
Avant d'arriver à Karakol, j'avais fait une liste des « choses à faire ».
Quand je fais ce genre de listes, c que je suis au sommet de mes
capacités d'organisation et surtout qu'il y a des choses dont
il faut que je mon esprit se débarrasse et la liste en elle-même
ne sert pas à me rappeler ce que je dois faire car je le sais
très bien mais plus à voir e que j'ai fait et avoir
le plaisir de rayer quelques mots en signe de victoire comme pour
dire : j'ai plus à y penser !
Là, en tête de liste y'a écrit « permis » pour
aller dans le Tien Chang, les alpes kirghizes avec quand même
2000 m de hauteur en plus. Permis frontalier qu'ils l'appellent.
Encore c putains de frontières, lignes de démarcation
qui semblent si importantes aux yeux des hommes et surtout des non
humains portant des uniformes avec des petites étoiles faute
de n'avoir jamais levé les yeux vers le ciel…
Je débarque avec une lettre d'une agence (10 dollars le bout
de papier) et faut encore payer 10 dollars à un gars. T'es
pas obligé mais sans payer ça prend 5 jours pour le
permis. En payant, c fait dans la journée. Y'a vraiment de
la magie dans la bureaucratie à la russe, des tours de passe
incompréhensibles mis à part peut-être les fameux
billets verts !!
Deuxième chose : LOLA. Le lendemain je retourne à Bishkek
chercher un colis qui devrait lui faire plaisir. Je l'emmènerais
bien avec moi mais ça veut dire bus pour tous les 2 et on
aime pas le bus. Mais bon on prendra sur nous pour un nouveau pédalier
et quelque autre petit cadeau.
Troisième position sur la liste « info route ».
J'ai des projets. Je veux aller sur une petite route marquée
sur ma carte. Je demande à 2 agences ce qu'elles en pensent,
les 2 sont catégoriques : « impossible ».
Au moins, ce trait, il est fait. Je me démerde, pas de soucis.
L'une d'elle me dit que la seule possibilité pour aller ou
je veux c l'hélico ! Bon ! J'ai quelques jours pour
apprendre à voler alors !
Impossible : voilà le mot que je déteste le plus
je crois et qui en même tps me motive le plus surtout de la
part des agences de voyages qui bien sûr font la route en vélo
tous les jours ! Alors, dans ma tête de têtu, de « testard » et
de teigneux je me dis je vais voir, j'ai rien à perdre sinon
quelques kms et quelques jours…
Finalement, une liste de choses à faire comme tjs se finit
en liste de choses qu'il faut remettre à demain et j'ai rien à faire.
Rien faire. C un métier ! Et je me sens de bonnes prédispositions
pour une carrière….
Un tour au bazar pour la bouffe, la bouffe qui semble complètement
m'habiter, j'ai parfois l'impression de ne vivre que pour ça.
Le Tadjikistan a laissé des traces et les bazars kirghizes
pleins de fruits, de légumes, de paon délicieux et
de tout font rêver. Et moi j'aime pas me contenter de rêver
alors…à table ! Et puis le nouveau régime tomates/oignons
revenus à l'huile c un peu plus la classe que pâtes
mayo je dois avouer alors va falloir s'en lasser !
Alors j'ai un peu de tps libre que Roy, un israélien se propose
de m'occuper en regardant son réchaud qui merde… suivi par
une autre personne qui me montre le sien aussi. Chaque fois, 2 fois
rien, presque la routine à vrai dire mais voilà, bientôt
un an de route et en termes de galère de réchaud, ça
passe facilement ce chiffre. Et puis Romain m'a donné des
petits cours de combustion (ingénieur là-dedans. Vous
saviez que ça existait les ingénieurs en combustion ?
peut-être s'est-il foutu de ma gueule avec son titre !!!).
Alors j'étale mon savoir sur les taux d'octane et des histoires
de carbone… mais non moi je veux surtout pas le titre d'ingénieur,
je cite mes sources ! Tu prends juste conscience que, en presque
un an de route, tu as appris des choses non reconnues par le système
français mais dans une guest house de voyageurs, tu deviens
celui que l'on questionne et moi qui n'aime pas parler, ça
fait pas mon affaire. J'aime bien écouter les gens, pourquoi
ils me demandent mon avis maintenant ?
Il y a , il faut l'avouer que le statut de cycliste est un statut
un peu spécial pour les locaux comme pour les autres voyageurs,
peut-être parce que nous ne nous rendons peut-être pas
compte à quel point il faut être con pour pédaler
des milliers de kms ! On peut envier leur confort (moi rarement),
ils envient notre liberté… je pars quand je veux, j'arrive
et j'arrive quand je décide que l'endroit est un lieu d'arrivée
ou quand je n'ai pas réussi à partir !
Mais l'expérience du voyage se partage et souvent on fait
la connerie qu'il faut pas faire alors il faut : 1) avouer son
erreur, 2) se rappeler ce goût de l'eau froide géorgienne
au réveil, des boîtes de sardines et du pain confiture
quand j'ai eu perdu mon réchaud ! Y'a plein de choses
comme ça, si on te le dis pas tu l'apprendras et qui sait
en combien de tps. C ce que l'on appelle l'expérience, le
nom dont les hommes qualifient leurs erreurs. D'un autre coté,
d'après les théories des grands pédagogues qui
sont tout sauf pédagogues en général, il parait
qu'en apprenant par toi-même tu retiens mieux. Ils appellent ça « pédagogie
de la découverte » au milieu de grandes phrases
incompréhensibles afin qu'on ne comprennent pas qu'ils servent à rien
eux-mêmes !!! J'ai appris ça tout seul à la
fac !!J'ai pas oublié, sauf peut-être tout ce qui
entoure un « tu te démerdes » de blouses
blanches !
Moi ça m'aurait bien arrangé qu'on me dise :
ne retire jamais le câble du réchaud à la pince
car à la longue (1 an) il va s'effilocher et là, t'es
dans une sérieuse merde alors moi, en tant que mauvais pédagogue,
je balance direct l'info !!! Retiens qui voudra ! Mais
tout le monde ici, sachant bien plus l'importance d'un réchaud
que des cours de fac, n'oubliera pas je pense.
Après une autre journée de farniente , me
voilà devant la gare de bus pour Bishkek, Lola à la
main, sans les sacoches, sans rien. Bus de nuit au programme afin
de gagner une nuit d'hôtel mais pas une nuit de sommeil. J'ai
surestimé ma capacité de dormir partout, les bus kirghizes
sont à vivre, quel moral ces back pack !!
Combat pour le vélo que je gagne à l'aller gratuit
et perds au retour payant ! (2 euros, le quart du prix du billet…bastard…payer
pour une roue qui va pas faire un tour !)
( heures de bus horribles. Ici, comme en Inde, on remplit les bus
(ici ils épargnent les toits) : tout ceux qui ont moins
de 15 ans, ¼ de siège. Une fois tous les sièges
pleins ne croyez pas qu'ils vont s'arrêter d'en mettre…par
terre sur des planchettes il y a encore bien de la place pour une
cinquantaine de personnes !!!.
Ils ont refusé de mettre mon vélo dans les soutes,
y mettent-ils les passagers aussi ? A vérifier. En tous
cas, je trône à l'arrière du bus avec Lola… galère…en
réalité, faut la tenir toute la route !
C'est là que tu réalises la chance de voyager en vélo.
Vivre ça dès que tu veux te déplacer, c aux
antipodes du voyage. Ca motive le sédentarisme, pas le nomadisme
ces bus puants sentant la transpiration (qui n'est pas que la tienne !!!),
qui s'arrêtent tous les 100 mètres, qui sont prévus
pour des nains de jardin et sont très inconfortables… En vélo,
t'as mal au cul, tu t'arrêtes 5 mn là, makach !
Beaucoup de stress pour rien. En fait j'admire les backpapers. En
arrivant à Bishkek lessivé bien plus que quand je fais
la route en vélo. Je le répète, le vélo
c vachement plus facile, y'a pas photo, faut juste avoir du temps !
Le temps est au cycliste ce que le bus est au backpaper : indispensable !
Mais le temps, c gratuit !
Dernier combat de backpaper. Les 200 chauffeurs de taxi qui te saute
dessus à la sorite du bus. Attendez les gars, j'ai un truc
pour vous et là… tu sors ton vélo et tu t'en vas… liberté retrouvée !
Regarde bien ça ami chauffeur, le moyen de transport de l'an
3000… Patience !!
Le soir même, vélo à neuf après une matinée
de mécanique avec Anton, un gaillard russe qui tient un magasin
de vélos dans le garage de la maison de sa mère, excellent
mécano, plein de choses à m'apprendre même si
il comprend pas qu'on veuille voyager en vélo. Lui, le vélo,
c juste en descente et le plus vite possible. Il est champion d'Asie
centrale de down hill.
Paquet récupéré, plein de médocs en
plus de la colle que je ne connais pas encore mais qui va devenir
my best friend très vite (araldite)… Internet a permis tout
l'arrangement avec Patrick et mon père afin que je récupère
le colis. Internet ça rend vraiment la vie du voyageur plus
facile. Avant, comment ils faisaient ? Ben tu te démerdes !
ou téléphone peut-être. Enfin, on reste quand
même bien des assistés, nomades mais assistés !
Chemin du retour, autre bus, même combat. De retour à Karakol,
je suis mort mais j'ai besoin de retrouver le rythme cycliste tranquillou,
pèpère, pas de stress, mettre la ville loin et planter
ma tente où il n'y a personne pour m'empêcher de dormir !
Car à Karakol, la nuit, c les chiens qui vivent, ils passent
la nuit à aboyer. Je crois que les chiens et moi, c à jamais
la guerre !
Du coup, j'achète à manger et le lendemain part pour
tout ce que tout le monde dit impossible : le village d'Engilchek
et plus si affinité !
Rapide briefing avec Lola genre, demain on part et ça ça ça ça ça
et t'as pas l'droit de casser, crever tu peux mais pas trop souvent
c fatigant de pomper ok ? Pas de réponse. On verra bien !!
/h30 sur le camp, tout le monde se lève, ils sont fous ???
C un jour de départ pour tout le monde mais eux ils ont un
bus à prendre, moi je larve encore un peu au fond du duvet,
et au réveil… plus de tentes autour de moi ! Juste plein
de gens qui courent partout plier la tente, ranger les sacs, manger
un bout de pain à la va vite. Houlà, faut s'détendre !
Je crois que c pour ça que j'aime le vélo, pas de stress,
c moi le chef de gare et le passager en même tps et je choisis
la classe que je veux, j'ai le train pour moi !!!
Tant pis pour eux, ils ratent le pain frais, moi pas ! Enorme
petit dèj, vélo chargé, je suis prêt mais
voilà, je rencontre jan et jan, un couple hollando-canadien
voyageant à vélo. Ils n'ont pas déjeuné,
moi je suis pas à un p'tit déj près alors… rebelote
et finalement je pars. Il est 2h de l'après-midi mais qu'importe !
Jan et Jan viennent de se faire voler leurs vélos et la police
les a retrouvés comme par magie.. et le service policier, ça
se paye bien sûr ! Mais le bonheur de retrouver leurs
vélos l'emporte, jolis vélos, très jolis, forcément ça
fait envie. Moi ça va, le mien me comble !
Repartir après les arrêts, c tjs un peu drôle
entre incertitudes ( est-ce que j'ai oublié où je vais,
est-ce que ça va aller) et le bonheur de se dire « j'me
tire », de retrouver mon terrain de jeux, ma maison qui
n'est, elle, que plantée à l'air libre (pas dans le
jardin d'une guest house), mes roues qui tournent, la vie pleinement
respirée et l'air dans mes cheveux (« ça
parait pas important mais c très bon pour eux »).
A partir tôt, on arrive tôt. Alors, juste eu le tps
de traverser cette plaine plate et ennuyeuse d'une trentaine de km !!!
Ah, un pied de col. Ah les cols, c bien ce qu'il y a de plus intéressant
sur un vélo, j'aime ça, masochisme primaire mais ma
tête, mon cœur, ma respiration prend dans ces ascensions un
rythme unanime comme si tout en moi se mettait à pédaler,
plein de petites roues qui tournent au même rythme avec cette
idée d'atteindre un sommet que l'on sait ne pas être
une arrivée, juste un passage vers un moi déjà changé,
modifié par l'effort… Devant moi, Kirghizstan et Tibet, des
cols partout, ne pas trop y penser quand même car les cols
c un après l'autre, il faut leur être entièrement
dédié, pas moyen de tricher ici, au Tibet, encore moins.
Mais pour l'instant, montage de tente sur herbe mouilleuse pour un
lendemain qui apparaît tjs trop vite. Nuit d'adolescent, 10h
de sommeil, même pas peur ! Couché avec le soleil,
levé avec lui. Astre rythmant nos journées de pédalages.
Au réveil, un jeune kirghize est déjà devant
mon temple rouge, curieux comme tjs. C parfois gonflant d'être épié comme
un extraterrestre mais pire que la curiosité, c l'indifférence
est blessante et moi-même, pédaleur à travers
les pays, ne suis-je pas un simple curieux, curieux de quoi ?
Allez savoir…
Gueule de réveil, comment ça peut le faire rêver ?
Pourtant il ne ratera pas une miette de mon p'tit déj refusant
bien sur le bout de pain que je lui tends. Sa conclusion comme souvent… merde,
ils mangent comme moi, même moins bien… car ils attendent tjs
qu'on sorte un truc magique mais finalement ma tente lui parait bien
fragile face à sa yourte et mon pain/miel bien pauvre face à son
pain frais avec les délicieux beurre et yaourt kirghizes !
Mais comme toujours, le vélo fascine, la selle est tâtée
pendant 10 mn, les freins, les vitesses et l'appareil magique :
le compteur. Que c tentant d'appuyer sur le bouton et de remettre
tout à zéro. Attention mon gars, on touche avec les
yeux !! Combien de fois depuis le début j'ai perdu virtuellement
une journée de pédalage pour satisfaire la curiosité !
Allez, dazvidania j'ai un col qui m'attend… et plus que
je m'y attends !!!
Immense vallée verte à la kirghize, des chevaux partout,
des yourtes, ces tentes champignons chaudes l'hiver et froide l'été,
gamins de 5 ou 6 ans qu'ils dirigent avec aisance, même plus
que de l'aisance, de la classe ! On ne peut pas enlever ça
aux kirghizes, leur grand chapeau sur la tête et perchés
sur le cheval… ils ont la classe, bottes de cuir et dent en or complètent
leur parure. La classe oui bon, souvent quand ils descendent de cheval,
ils ne peuvent même pas marcher.. deux grammes dans chaque
doigt sans oublier les orteils… Pas de doute, je suis au Kirghizstan !!!
Bon, les gamins, ça va encore !!!
Bon, ce col, il se mérite et m'accueille avec la neige au
sommet. / Août en vélo sous la neige… cherchez-y un
sens vous, moi j'ai arrêté de m'expliquer à moi-même
le pourquoi de mes envies de petites routes perdues où personne
ne passe.
Peut-être pour ma théorie des montées et des
descentes. Aucune montée n'est infinie, ça descendra
forcément un jour, ce n'est qu'une question de patience et
quand la descente et le soleil arrivent… que demande le peuple !! Qu'importe
si la montée dure 1 jour, 5 jours, ou 6 ans… un jour ça
descend ! Bon je réviserai cette théorie plus
tard… A suivre !
Dans la descente je me ravitaille en « nan » (pain)
grâce à la générosité du kirghize
des champs aux antipodes di kirghize des villes. En deux mois au
Kirghizstan, la différence m'apparaît frappante :
le kirghize des villes déjeune à la vodka et adopte
l'expression froide d'un officier russe. Le kirghize des campagnes
est heureux, ça se lit tout de suite dans cette étoile
qui remplace ses yeux. Il est resté à boire du « koumisse » (lait
de jument fermenté) dans sa yourte, il veille sur ces chevaux
et dans ces hauts pâturages, il est à son aise. Il y
a que le nomadisme doit être inscrit dans les gènes
et sédentariser contre nature, ça rend aigri et malheureux.
Tous les kirghizes des « jailo » (pâturages
d'été) sont d'une hospitalité et d'une joie
de vivre renversantes juste parce qu'ils sont heureux et libres.
Combien de vieilles me diront « avant, on restait 7 mois
ici, maintenant seulement 4 mois, pourquoi ? » Sûrement
parce que les nouvelles générations ont du mal à rester
loin du confort de la société qui, croient-ils, les
rend heureux. Ils ne réalisent pas qu'on ne peut pas lutter
contre le besoin de liberté.. même à la vodka… Les
hivers sont donc longs et les étés trop courts pour
ces nomades cavaliers et à mon avis, les pâturages kirghizes
vont se remplir de yourtes de plus en plus.. car ça les rend
heureux. Liberté contre vodka, yourte contre système
communiste, chevaux contre vieilles Lada rouillées. La montée
contre la descente… aucune montée n'est éternelle.
Merci aux kirghizes libres d'esprit et de cœur pour tout ce que je
leur doit aujourd'hui.
Le Tibet me donnera (hélas) le malheur de constater qu'un
peuple nomade ne se sédentarise pas en souriant… Mais c'est
pas tout de suite le Tibet !
Je bivouaque juste avant Engilchek, demain déjà on
va voir cette rivière intraversable et sûrement même
faire demi tour. Tant pis, j'aurai vu ! Mais voilà, le
pont est bien emporté mais ils ont mis un poutrelle métallique
pour les piétons. Jouer aux acrobates sur c 20 cm de large
où un vélo et un piéton semblent bien de trop… mais ça
passe juste… pour être accueillis par le check post !
J'ai un permis, pas de soucis. Mais encore une fois, on me dit :
pas de pont après ! Bon ! C'est pas des petites
rivières, c intraversable sans pont mais je veux quand même
aller voir ! Suis la route, me dit-il. Vu que je n'ai qu'une
photocopie de carte pas du tout adaptée pour la navigation
un peu fine… mais ça, c comme d'hab, !
je suis nul pour la planification jusqu'ici !
Alors je suis la route pendant une journée. Route, c pas
le terme qui définit vraiment là où je suis
disons qu'il y a déjà eu une voiture qui est passée
mais ne me demandez pas quand ! Un cycliste ? je sais pas,
c possible jusqu'ici que d'autres « crazy cycler » (comme
on nous appelle souvent) aient traîné leurs jantes jusqu'ici !
Y'a même des vestiges de goudron qui mettent en confiance
même si la route part vers l'est et moi je l'aurais bien vue à l'ouest.
Enfin, sûrement derrière cette montagne, ça tourne !!!
C fou, on trouve tjs des raisons de se perdre et plein d'excuses
de le faire !
Mais c une belle piste ., ça se suit ! pis sur ma carte
y'a qu'une piste de marqué et celle là est assez conséquente
et j'en ai pas vu d'autre ! Quand tu commences à te planter,
tu trouves tjs plein d'excuses de toutes façons !
Bout de route, en effet y'a pas de pont, j'ai suivi la seule piste
possible et me dis ok, faut traverser cette rivière et après ça
devrait aller.
Alors je cherche. Après 20 km d'aller-retour, je trouve un
câble sec ! Dans ma tête, c quai gagné !
Enfin, à la vue du câble je la ramène bien moins,
le b est vieux, comme tout ce qui date de l'URSS vous allez me dire.
Une grosse sardine le tient de mon coté, de l'autre un poteau
coincé par des cailloux. Il est effiloché et inspire
pas la confiance sachant que dessous, ça brasse sérieux.
Si tu tombe à l'eau, je pense, y'a pas de voyage de retour.
Je m'y suspens, ça tient ! La magie de l'Asie l'explique
sûrement plus que ne le font les apparences. Mais comment ce
monde en château de cartes ne s'écroule-t-il pas ?
Personne ne le sait. C'est pour cela qu'on aime l'Asie ! Je
pense la même chose de ce câble !
Reste à trouver comment faire avancer un vélo, 4 sacoches
et un gros sac (celui qui contient ma maison-duvet-tente-thermarest
pas moi !!) et moi.
Base de réflexion, il y a 2 choses que j'ai pas le droit
de laisser tomber à l'eau : LOLA et moi ou moi et LOLA,
voilà une bonne règle numéro un base de ma traversée.
Dans les alentours, quelques vestiges de nacelle dont une précieuse
poulie des vieux b de téléphones, des bouts de pneus
et de chambres à air, deux vieilles planches. Ajouter à cela
du scotch américain arrivé de France, donc qui colle,
et deux sangles qui servent à fixer mes sacoches… voilà tout
ce que j'ai et c beaucoup, enfin c suffisant pour usiner une nacelle
en trois parties.
Tailler la planche pour en faire des « sièges »,
tordre et retordre les b de télégraphe, relier le tout à la
poulie… voilà pour mes fesses. La même chose sans poulie
pour le dos avec un bout de pneu en guise de poulie et une sangle
pour les pieds.
Première traversée : test plus pour voir si de
l'autre je peux espérer pousser le vélo jusqu'à ce
que la route recommence quelques 10 kms plus haut…. Ça devrait
le faire ! Allez, au boulot !
Je me rehisse de l'autre coté, c pas facile de se hisser à vide,
j'ai quelques doutes avec les sacoches et le vélo… va falloir
faire des allers et retours. Il faut avouer que le vélo ne
maintient pas vraiment en forme les muscles du haut du corps et là je
paye l'addition de plus de 15000 kms avec les jambes !!
Après mon premier aller et retour, j'ai mal partout, enfin
surtout aux abdos et au dos car c pas super confort mon système
mais j'y crois alors je fais un voyage avec plein de trucs pour alléger
le troisième voyage… ça passe. Troisième voyage :
les 4 sacoches sont bien amarrées… avant de prendre position
je souffle un gros coup et m'élance sur mon b… milieu de rivière … la
poulie déraille à cause d'un endroit ou le b est en
mauvais état. Je peux pas la remettre car avec les sacoches
accrochées dessus c trop lourd pour être soulevé en
se soulevant soi-même en même temps.
Ca sent un peu le roussi sur le coup. Je réussis à m'extirper
de mon système sans que ce soit très facile et regagne
la berge pendu à bout de bras, mes sacoches au milieu du b !
Mais comment on peut être con au point de vouloir traverser
une rivière à vélo sur un b !!
Et puis j'ai perdu mes lunettes dans le combat, je les ai vues tomber
dans l'eau… mes mains étaient sacrément occupées à ce
que moi je ne tombe pas !
Je suis fou de rage, elles étaient neuves, venues de France
et sacrément bien, j'me dis que je suis pas digne qu'on me
les ait offertes. C un peu la crise !
Mais je me ressaisis, c juste un bout de plastic mon seb, il faut
pas y accorder trop d'importance, ne laisse pas cette perte affecter
ton moral car tu as plus besoin encore de ce dernier (héritage
de la perte de ma frontale en Bolivie – cf. coup de blues à 6000m).
Quand tu es dans ce genre de merde, tes sacoches bloquées
au milieu d'un b suspendu au-dessus d'une rivière, faut savoir
rester calme, pas s'énerver, jamais s'énerver… facile à dire
mais accumulation nerveuse et fatigue font que des fois on se laisse
tenter par la colère. Puis si ce bout de plastique met en
lumière les faiblesses de ton esprit, il faut pouvoir l'oublier,
oublier la question « comment je vais faire sans » ?
(moi qui ai des yeux sensibles) au moins pour quelques heures. On
naît trop matérialistes dans nos sociétés… ça
joue des tours !
Trouver une autre solution qui s'avère être un long
bout de fil de télégraphe avec lequel je parviens à crocheter
la poulie 5 m plus loin et avec toute la « douceur » d'un
ours dont je peux faire preuve, je ramène les sacoches de
mon côté.
J'améliore mon système de poulie avec un anti-dérailleur
car je suis teigneux et ne me décourage pas facilement !!!
Après 4 h à jouer les funambules horizontalement il
ne me reste plus que Lola. J'ai les mains en sang mais je suis tellement
convaincu que c la dernière des difficultés la porte
de cette vallée sûrement très rarement parcourue
que je fais passer Lola. Elle est placée devant moi avec un
fil de fer, à bout de bras, je la soulève avant de
me hisser à mon tour 10 cm par 10 cm .
Ca y est, t'es arrivé de l'autre côté de la
rivière mon seb, bien joué ! Reste à porter
tout pour sortir de la gorge et à re-longer la rivière
jusqu'à la route ! Rejoindre la route me donne l'impression
de faire un trek avec handicap ou quand le vélo se fait encombrant
et très lourd à tirer.
Enfin, 2 jours après, c chose faite et j'attaque à remonter
cette vallée tr's à l'est, trop à l'est mais,
après cette montagne, ça tourne non ?
La vallée se referme, pied de col… ah, enfin une bonne nouvelle !
Une vieille bâtisse se tient là. Un couple de kirghize
y vit ! Comment peut-on vivre là ? c'est à des
jours du premier village, y'a rien. Et comment vous avez passé la
rivière vous d'abord ? Ben, on attend que le niveau baisse
(fin d'hiver ou début d'hiver) et on passe en lochette (cheval
en russe), on est pas con nous !! Ils ont l'air heureux là,
perdus, tout seuls et le bonheur c réconfortant malgré ce
que j'apprends après…
Et, il est long ce pereval (col en russe) ? La réponse
tombe comme un coup de massue : de l'autre côté de
ce col, t'es en Chine, les soldats tireront à vue !!!
Merde alors, mais qu'est-ce que j'ai branlé encore ?
Même le fait de savoir que je suis le premier non-soldat et étranger à passer
ici ne me réconforte pas. Je m'en tape d'ailleurs bien plus
que du délicieux repas qu'il m'offrent qui ne parvient pas à me
faire oublier ce que signifie le demi-tour : retrouvailles avec
le câble.
Il me dessine un schéma avec explications des différents
câbles pour aller où je veux. Bon, c reparti pour un
détour de plus d'1 mois avant d'arriver en Chine qui, ce jour-là, était à 4
h de vélo !
C dur pour le moral mais la Chine c pas pour tout de suite !
Demi-tour, retraverse de la rivière… seulement deux voyages
cette fois car l'expérience me gagne quand même !
Me voilà donc au même endroit que 3 jours avant, sans
lunettes, les mains en sang, bien fatigué de retour d'une
vallée où je suis sur que personne n'a jamais mis ses
jantes avant moi mais surtout vivant, Lola en pleine santé et
un plan pour la prochaine traversée «avec un bon b qu'on
m'a dit !
Le b est bon, c'est vrai. Je campe juste devant cette nouvelle traversée
car je n'ai pas la force de commencer à traverser ce soir.
Demain est un autre jour.
Cette fois, je n'ai pas de doute sur la solidité du câble
(béton pour fixer les 2 câbles parallèles) mais,
par contre, la rivière est très large, une bonne longueur
de corde (50m) et surtout la nacelle, qui semble à vue d'œil
très bonne, est de l'autre côté !
Réfléchir pour aller la récupérer. Je
pense d'abord y aller à la nage mais ça brasse vraiment
et l'idée ne m'emballe pas franchement à cause de la
règle 1 qui est tjs valable. Puis je pense traverser en opposition
entre les 2 b avant de me dire que ça c le plan où les
2 câbles vont s'écarter au milieu et, vu ma souplesse
légendaire, j'abandonne l'idée et me mets en quête
de fil de télégraphe que je récupère
aux pieds des vieux pylônes tracés quand les soldats
russes contrôlaient la frontière dont je reviens.
Je reconstruis ma nacelle artisanale, je suis prêt pour une
carrière d'ingénieur dans le domaine ! Pas de
poulie cette fois mais j'ai plein de techniques… chambre à air,
bout de pneu et surtout… scotch américain !! Comment
peut-on vivre sans ce scotch magique ? Sur le coup, il me sauve
encore une fois la mise et en quelques heures mon « lit » de
traversée est prêt. Reste à se hisser, c long
50m parfois, très long, j'le jure ! ½ heure qui
aurait sûrement été bien plus sans l'éternelle
expérience acquise la veille !
La nacelle , c le méga luxe. Tout tiens dessus. Un voyage
de 5 mn et me voilà de l'autre côté avec la joie
d'un gamin qui découvre les cadeaux au réveil du matin
de Noël ! Y'a pas de route… pas de soucis, je pousse, je
suis content, l'idée d'être dans la bonne vallée
me comble, je n'ai pas de doutes, je suis sur le bon « non
chemin » !
Charger, décharger le vélo pour passer des ravins
infranchissables en roulant. Le paysage est magnifique, extrêmement
sauvage et ça se paye en sueur !
Après une longue journée, me voilà de nouveau
devant une rivière intraversable en cette saison. Le lendemain,
je passerai la journée à chercher un passage… En vain !
Me voilà bloqué à 10 kms du village d'où la
route praticable est censée commencer. Je suis fou. Comme
je disais il y a quelques années « y'a pas de justice »,
tout ça pour ça. Je m'entête et plus je m'entête,
plus ça semble impossible d'escalader une falaise pour tenter
de trouver un passage. Retente la rivière… mais vraiment trop
de courant.
Alors je m'assois à l'ombre d'un arbre, sors le réchaud
pour une soupe de nouilles et constate que j'ai bientôt plus
de bouffe. On réfléchit tjs mieux l'estomac plein.
J'ai le regard dans le vide, seul le bruit de la rivière me
parvient puis, paradoxalement, je ressens un grand bien-être
en mangeant cette soupe de nouilles… un bien-être qui vient
chasser la colère à l'idée que tous ces efforts étaient
vains… J'imagine cette goutte d'eau qui tombe du glacier, qui se
réunit avec une autre, puis une autre et forme une rivière
petite, puis grosse. C'est juste une goutte d'eau, en fait, qui me
bloque… l'idée me fait sourire.
Je me dis que finalement, le voyageur, c'est un peu l'inverse d'une
goutte : il part de la masse pour se retrouver seul sous le
glacier bloqué par l'union d'une autre goutte solitaire liquide.
Là, seul devant cette rivière, y'a tout ce que je
cherchais. En fait, je me sens comme cette goutte d'eau qui part
en voyage mais qui avant de se mélanger se regarde au soleil.
Elle est prête à partir mais quand même… elle
semble s'accrocher au glaçon…
Moi je suis bien. Le monde a cessé de tourner, le tps s'est
arrêté. C'est sûrement cela qu'Epicure appelle « ataraxie » :
un mixte de fatigue, de gouttes d'eau et de regard sur soi avec une
immobilisation de la rotation de la terre et le sable du sablier
bloqué… presque facile comme recette !
Oui, je vais faire demi-tour, oui c l'échec ! Je passerai
pas la goutte d'eau, elle est trop forte et je veux pas que le vase
déborde ! Mais bizarrement, l'idée me réjouit
presque ! De par chez nous, l'erreur c'est mal. Il faut réussir,
avoir de bonnes notes et de jolies appréciations. Pourtant
c'est là, en échouant, qu'on apprend le plus sur une
drôle de créature : moi-même. D'ailleurs, ça
a tjs été comme ça. Erreur, échec sont
mal placés dans l'estime des gens.
Je me rappelle ma première année où j'ai commencé à grimper
encordé avec « p'tit puerk ». On a d'abord
réussi une collection de buts (échec, demi-tour en
langage grimpeur) assez impressionnante avant de devenir une cordée
qui traversera les Alpes de la face nord des Gdes Jorasses au Mont
Blanc italien, le Cervin à la Meije sans moyen motorisé !
J'ai tout appris dans l'échec, dans ces « buts »,
ces pitons qui sautent, ces tempêtes… marquant la mémoire
et le cœur. Le but n'est jamais plaisant mais tjs plus que le non-retour !
En partant en voyage, on s'attend à trouver plein de choses,
plein de gens mais finalement on regarde bien loin pour trouver quelque
chose de bien proche ! C'est pas facile de regarder cette bestiole
presque inconnue qu'on a détruit à coups d'heures de
poussage, un peu tout ce qui masque sa fragilité. T'es arrivé,
là, sous un arbre et tu te dis « voilà,
je suis que ça » mais quand tu te lèves,
seule reste l'autre part de la réponse « voilà,
je suis tout ça ». Prends en soin. Allez, demi-tour !!!
Toutes les réponses à certaines questions que je me
pose depuis des mois se posent là devant moi, évidentes
comme une rivière intraversable. Comment ne les avais-je pas
vues avant ? L'homme est plein de secrets pour lui-même !
Alors je repousse dans l'autre sens… ça descend, c plus facile,
retraverse la rivière avec l'idée de poser la nacelle
du bon côté pour le prochain cycliste et remonter jusqu'au
poste militaire que j'ai passé y'a 5 jours, serein et heureux
d'avoir échoué !
J'ai plus de bouffe alors je me hâte de passer le col le lendemain
pour retrouver la civilisation à la recherche désespérée
de pain. Je demande à une fille si le four qui est devant
elle c pour le pain. Elle me dit non. Ma déception est visible
apparemment et elle m'offre les patates que le four vient de faire
griller avec du sel et des herbes… délicieux … surtout quand
on a passé 100 kms sans rien avaler si ce n'est qu'une poignée
de riz au matin !
Retour à Karakol afin de refaire le plein de bouffe et rencontrer
Yan, un anglais sur la route depuis 11 ans avec 114000 kms au compteur
dont, tenez-vous bien, 47000 uniquement en Chine !!! Sacré personnage
ce Yan ! Avec l'éternel KOGA bike équipé en
XT comme tout le monde, sacoches Ortieb pour compléter le
tout… même pas jaloux vu que j'ai les mêmes pneus que
lui ! Ah les anciens, ils ont compris comment ça marche !!!
Moi j'ai encore une jeunesse à défaire alors je recolle
mes chaussures, recouds mes sacoches et quitte Karakol.
Une journée de goudron, bcp de kms et vite, c même
pas reposant en fait car, mauvaise route = moins de voitures et plus
j'avance et plus la qualité de la route dépend du nombre
de véhicules plus que du revêtement !
Mais après cette journée, une petite route part à gauche.
Pas le tps de réfléchir, c pour moi ! Même
si Yan m'a dit lui-même que ça passe pas vu qu'un pont
avait été emporté !
Je tente le coup, commence par me perdre en me trompant de vallée,
mais finalement trouve la bonne avec ce col où la route emprunte
une moraine de glacier. Encore une fois, impossible de passer. J'apprends
toutes les techniques de poussage d'un vélo, le tirer un main
sous la selle, c la plus efficace, sans conteste. Si un jour vous
devez choisir une tige de selle, il faut qu'elle soit lisse, pas
comme la mienne qui est striée et qui fait mal aux mains… ça
c le genre de trucs auquel l'inculte cycliste que j'étais
n'avait jamais pu penser en partant !!!
Montée. 2 crevaisons en poussant de l'autre coté sur
le plat de la grande vallée rythmée par plein de rivières
faciles à traverser et les 4 autres crevaisons qui affectent
ma journée ! 6 en une journée avec les pneus censés être
les meilleurs du monde et censé être increvables !
La raison de c crevaisons, c le sable qui pénètre dans
mes jantes à chaque traversée de rivière. Je
finis par refaire complètement le fond de la jante et l'étanchéité du
pneu avec du scotch américain… ce qui règle en partie
le problème !
Je campe devant la grosse rivière dont Yan m'a parlé afin
de m'y attaquer au matin quand le niveau est bas avant que le soleil
ne se soit occupé de faire naître les gouttes d'eau !
Traversée pas facile où même les chevaux tanguent… mais
en 3 voyages, je parviens à passer sous les yeux des kirghizes
en 4x4 qui lui aussi a passé l'eau. Il est sacrément
embourbé. Juste après, le chauffeur essaye de sortir
son bien en construisant, à la pelle, une route !
Il me reste plus que 3 cols avant de plonger dans la descente menant à Narin,
la prochaine ville. Il me faudra encore 2 jours pour l'atteindre !
Dans la descente, je re-rencontre Sato, un japonais rencontré à Boukhara
il y a quelques mois ! Sato, son bike, c trois de route et c'est
30000 kms. Rare cycliste à fumer un paquet de clopes par jour !
Là, il rentre. « Oh, dans 8 mois je suis à la
maison » me dit-il, « c'est fini pour moi,
bonne route à toi « ! et il m'offre un paquet
de dattes et du miel ! Ta route est longue, la mienne est trop
courte !!! No comment, les cyclistes comprendront !
Me voilà à Narin, grosse ville qui rime pour moi avec
bouffe et internet qui sont un des nerfs de la route puisque je suis
pacifique !!! sauf quand une voiture manque de me renverser
parce que le chauffeur, forcément éméché,
m'a grillé la priorité. Je prends ma bouteille d'eau
dans la gueule et juste la gamelle qui se trouve dans la sacoche
qu'il a heurtée sera tordue ! Plus j'avance au Kirghizstan
, plus je déteste cette culture de l'alcool… à te dégoûter
de boire. Voir un homme, cette loque humaine dont la vodka a remplacé le
sang, Ca me retourne, surtout quand ils conduisent !
Narin est une grande avenue que je remonte sans trop savoir où aller
quand mes yeux tombent sur un T-shirt orange qui vient se mettre
au milieu de ma route… internet vient de couper, Romain sort dans
la rue s'acheter un bout de pain et tombe sur moi ! Pas le tps
de fuir ! Il y a des coïncidences qui sont plus que des
coïncidences. Je suis content de le retrouver, très content
même. « mange, t'es tout maigre » qu'il
me répète en partageant son pain et en refusant que
je partage mon dernier snikers avec lui ! Puis il me sert de
guide… « tu peux pas dormir là gratos, va planter
ta tente, on se retrouve ici dans 1 h, je dois aller faire signer
des papiers pour l'armée ». car il a des projets !!
A mon retour, il a pris un but à l'armée, ça
fait 4 jours qu'il attend ce papier. A la deuxième tentative,
je me joins à lui au cas où. En 10 mn, j'ai la signature
qu'il lui a fallu 4 jours à avoir et ce, sur mon ancien permis
sans rien payer !!! Romain est un peu vert mais les signes semblent
me dire, nous dire, de reformer l'équipe ! Lui me dit : « ah,
quand t'as besoin d'eux, tu sais y faire avec les militaires !
Là, tu chantes plus « déserteur »
Puis surtout c' qui m' déplaît
C'est que j'aime pas la guerre
Et qui c'est qui la fait
Ben c'est les militaires
Ils sont nuls, ils sont moches
Et pis ils sont teigneux
Maintenant j' vais t' dire pourquoi
J' veux jamais être comme eux
Quand les Russes, les Ricains
Feront péter la planète
Moi, j'aurais l'air malin
Avec ma bicyclette
C'est vrai que j'ai été bien faux-cul
et gentil, dépliant
ma carte (de Romain, j'en ai pas) pour leur montrer nos routes passées
et futures (en mentant bien sûr) mais le résultat est
là !
Le lendemain, après une autre signature (la première était
celle du KGB, la 2 ème , celle de l'armée). Les sacoches
sont bourrées de bouffe, on reprend la route ensemble… content
de retrouver le T-shirt orange de l'amigo qui quand même, entre
temps a une nouvelle tente et plein d'autres nouvelles fringues… ah… il
comprend vite !!
Direct un joli col après Narin où un camion gît
pour avoir raté un virage. Deux possibilités :
plus de freins sur le camion ou manque de frein sur la vodka. En
tous cas, ce col, il nous freine bien nous ! Route pourrie et
puis c raide ! Merde, je vieillis !!
Sommet du col, on quitte la grosse route qui était déjà bien
mauvaise et qui rejoint le col du Torugart. Pour aller au col du
Torugart par les petites routes ! Romain est bien informé,
il a de bonnes cartes, il gère le bonhomme, c pas un « puerk » (comme
m'appellent certains de mes potes) qui part la fleur au fusil avec
cette idée que « bah…ça va l'faire » ou
qui se dit « détends-toi, ça va bien se
passer » dès qu'il voudrait planifier quelque chose !
C surtout pour ça qu'il est ingénieur et moi… ben moi
rien du tout !
Belle route, belle vallée qui ne tarde pas à monter.
Classique jusque là. On est déjà loin de la « grande
route » (appellation d'automobiliste !) et forcément,
dès que je me rapproche d'une maison pour demander la direction,
on nous invite pour du koumisse , du pain et du beurre.
Rom est fan de koumisse, moi un peu moins mais le pain et
beurre kirghize, c délicieux ! En fait, c du vrai beurre,
c simple puis ils ont une deuxième sorte de beurre revenu
dans l'huile qui lui aussi est à tomber.
Pause finie, le mec sort un caméscope : on hallucine !!
Bon, y'a plus de batteries, on se rassure et on repart les jambes
un peu coupées par le koumisse qui reste une boisson fermentée
donc alcoolisée et moi je n'ai plus l'habitude, même à 1°, ça
m'atteint !
Dommage, y'a un col monstrueux devant nous, raide, très raide,
route mauvaise toute à gauche et serre les dents ! Rom
a perdu un peu de son acclimatation, il subit un peu le col dont
le sommet est marqué par un poste militaire… on n'est pas
tjs ravi d'arriver au sommet ! En plus, ça caille, premier
froid, le corps n'y est plus vraiment habitué non plus !
Pas de soucis avec les militaires qui vivent là et las surtout,
perdus dans leur cabane pour garder le sommet d'un col qui, à part
le vent, ne voit passer personne…
On descend vers un autre poste militaire. Pas de problème.
Avant de continuer, je laisse à Romain la charge de choisir
le camp, j'aime pas décider. Il nous en trouve un fort beau
où des cavaliers ne tardent pas à venir nous voir monter
nos tentes qui vite vont nous accueillir à cause de la pluie
laissant chacun dans son monde intérieur et sa maison !
Le lendemain, nous voilà dans ces vallées exceptionnelles à la
kirghize qui savent se faire encore plus exceptionnelles quand les
fils électriques et les hommes disparaissent. Faute d'eau
pour nous ça veut dire charger ce précieux liquide
sur le vélo. Romain avait prévu le coup, on ne mourra
pas de soif ! Les nuages jouent avec nous, pluie… pas pluie… on
passe pas loin mais en même temps bien proche à tel
point qu'à midi on monte la tente de Romain pour manger… En
vain…. Mais ça lui fait plaisir de montrer sa belle tente
north face toute neuve !!! J'admets… quelle classe !
Par contre, le lendemain, la pluie ne nous évite pas et ce
dès la sortie de la tente. Intégrale gore tex pour
tenter de se protéger en vain contre l'élément
liquide qui ne tarde pas à devenir de la neige mais de ces
neiges humides qui trempent et glacent un homme en très peu
de tps. Pédaler, s'arrêter pour récupérer
mes doigts qui souffrent faute d'avoir de vrais gants. Romain, c
ces pieds qui souffrent. A force de persévérance on
arrive devant un poste militaire où l'on veut se réfugier ! « Passport »..ah
la froideur militaire, ils doivent passer du tps à l'apprendre à l'école
militaire c pas possible autrement ! Romain, un peu frigorifié (lors
d'une pause juste avant il me dira « c triste à dire
mais je viens d'me pisser sur les mains et c'était drôlement
agréable » ! tandis que moi je me serais de
ces pauses pipi pour nettoyer la boue qui s'accumule sur Lola !!
Y'a un moment où l'importance des choses se trouve bien chamboulée !!!),
tout comme moi d'ailleurs qui lui renvoie « tu te mets
au chaud avec un thé dans les mains et après je te
montre mon passeport ».5 min après on est devant
le poêle, du pain, du beurre et du thé nous sont servis,
on épluche nos passeports et permis mais cette fois on s'en
fout, prenez vot' temps les gars, on vous attend devant le poêle !
Ces militaires croient garder une frontière capitale comme
si on était en tps de guerre… nous les distrayons un peu… sauf
les chefs qui ont du mal à sortir de leur rôle !
Il est tps de repartir longer les fils barbelés qui marquent
la frontière, impossible de se perdre. Sur 2 mètres
de haut, cette barrière sépare le Kirghizstan de la
Chine ou plutôt sépare l'ex URSS de la Chine… il semble
clair que ces 2 frères communistes étaient bien moins
potes qu'on pourrait le penser.
La pluie a cessé mais en cette partie, la route n'est plus
qu'une étendue de boue, les 10 derniers kms jusqu'au col de
Torugart se feront en poussant… souvenir de Georgie, ne pas céder à la
tentation de monter en selle sous peine de casser la chaîne
alors patience !
Accueil militaire à cette frontière… mais d'où vous
venez ? ou vous allez ? Le mec est pro et c'est fait en
un coup de talkie walkie. « j'aime les mecs qui s'expriment
correctement » s'exclame Rom !.
On échoue dans un de ces wagons de trains qui forment le
village de Torugart. On y sert des bouillons de viande et du pain à l'intérieur,
confort ultra sommaire pour ces familles qui vivent là en
attendant le routier qui arrive plus épuisé que le
cycliste tant passer une frontière est le parcours du combattant
pour eux !
Pour repartir, il nous faut nettoyer les vélos au moins un
peu car plus rien ne tourne… on sort donc nos brosses à dents
et brosses à ongles que l'on transporte, non pas pour nous
mais pour nos chaînes, nos pignons, nos dérailleurs… c
fou le bien qu'on fait à un vélo avec une brosse à dents !!
De toute façon, on n'ira pas loin, de l'eau non salée
nous indiquée sur le bord de la route. Quelques kms seulement
après le Torugart on plantera le camp ici !
Réveil difficile, la nuit fut perturbée par la visite
d'un troupeau de chevaux énervés et la journée
de la veille a laissé des traces. Ca tombe, on n'est pas pressés
alors on passe la matinée à briquer nos vélos,
Rom limera même les dents de son pédalier tandis que
je dois recoller mes sacoches et commence à m'inquiéter
sérieusement de mes roulettes de dérailleur mais ça
roule… ça roulera ! Il a neigé sur tous les sommets
et avec le lac juste à coté de nous et le soleil, le
panorama invite a ne pas trop se presser .. mais les nomades à 2
roues que nous sommes ont encore du chemin ! Hier on était à 5
kms de la Chine, à ce col de Torugart, à 160 de Kashgar
mais nous nous proposons tout simplement de faire un détour
de 15 jours ! Pas uniquement pour le plaisir car passer par
cette frontière, ça coûte 150 dollars car les
chinois ne la considèrent pas comme ouverte aux étrangers !
Et pire que tout, il faudrait parcourir le trajet jusqu'à Kashgar
en taxi arrangé à l'avance et l'idée ne nous
enchante ni l'un ni l'autre. D'ailleurs, elle ne nous effleure même
pas, on fait le tour. C'est clair pour nous ! Et quel tour !!
Romain a pêché a Bishkek une « bonne » carte
a une échelle que j'ai oubliée mais genre 200000. Bref
, pas mal et dessus y'a un petit train en pointillés avec
un col qui longerait la frontière chinoise et nous mènerait
assez directement vers le col d'Irkechtam, la 2 ème frontière,
celle des pauvres en argent et riches en tps !
A l'entrée de la vallée en question, un poste militaire
qui nous promet de la bouffe au prochain village comme on nous en
avait promis a Torugart ! Faut faire le détour car nos
réserves ne sont pas au top…. Du coup, on mange un pass pour
arriver au village en question ! Trois maisons et pas une épicerie… bastard
military !!! Bon, un mec nous conduis dans une maison d'où on
sort 2 pains et 3 kgs de pâtes pour un prix prohibitif qui
comprend le paquet de cigarettes de celui qui nous a montré l'endroit !
Les gens de ce village sont vraiment zarb, y'a dû avoir un
truc louche génétiquement ici ! On campe quand
même devant leur maison !
On a aussi arrêté une voiture qui nous a généreusement
offert un peu de pétrole en siphonnant son réservoir
en un tour de main. On a de la chance, normalement ils roulent plutôt
réservoir très à vide ! Là, il reste
le litre qu'il nous fallait pour faire marcher nos réchauds !
et indirectement nous-même. Merde, un cycliste ça marche
aussi au pétrole !!
Réveil, on est fainéant à cause de la pluie
qui nous bloque dans nos tentes respectives, faut décider… on
les suit ou pas ces pointillées ? La pluie cesse. Je
décide pour 2. C parti !!! Au lieu de suivre la grand
route on prend une sente de cheval pour regagner la vallée
où on était la veille !! Le tout pour ces quelques
kilos de pâtes !
Quand tu es sur une route goudronnée pdt longtemps, tu as
vite fait de trouver le goudron non plat ou avec trop de trous, quand
t'es sur une route non goudronnée, tu jure sur les cailloux,
les trous et la poussière des camions. Quand t'es sur une
sente de cheval, les deux premières te manquent terriblement
et tu révises ton jugement sur la qualité des routes… Nous
allions en faire l'apprentissage dans les jours à venir !
Dans cette grande vallée, les yourtes semblent appartenir à la
terre et après un autre poste militaire qui garde l'entrée
de la vallée et où Romain taxe du pain et où l'on
me fait remarquer que mon visa est sur la fin ! Pas de prob',
dans 6 jours on est à la frontière…
A peine nous avons recommencé à remonter la vallée
qu'un jeune cavalier nous conduit chez lui, c'est l'heure de manger,
c parfait ! Sachant que nos réserves de bouffe sont pas
au top… Pain, beurre, kurmisse et thé, délicieux comme
tjs. Quelques mots de russe plus les quelques mots de turc de Romain
(le kirghize est une langue d'origine turque) nous permettra, avec
l'aide des mains certes, de ne pas trop mal nous en sortir avec les
locaux et l'on mesurera cette chance en rentrant en Chine plus tard
où là, c'est la lutte !
Il propose de nous loger, d'attendre encore un peu le tps de cuire
un mouton… mais après une photo qui leur permet de sortir
leurs plus beaux chapeaux, on leur dit au revoir et partons guidés
par l'un d'eux afin de prendre le bon chemin. Ce dernier longe la
rivière, sur la carte on devrait être de l'autre côté mais
la piste est plutôt bonne et on s'affole pas, on la suit jusqu'à ce
qu'elle disparaisse dans les touffes d'herbe. Cette fois, faut traverser.
On le fera le lendemain sans aucun problème, c juste long
car il faut décharger le vélo, faire un voyage avec
les sacs et un voyage avec le vélo, recharger et repartir !
Ce jour-là, on traversera trois rivières dont la 3 ème
qui coûte 2 tongs à l'amigo car ça brasse pas
mal.
Après la rivière, le sentier part dans une direction
qui me plait pas. Alors on décide de quitter pour partir dans
la bonne direction mais il ne nous faut pas longtemps avant de réaliser
qu'on est un peu paumés !
Devant nous, une grosse butte avec une petite sente qui la raye
mais impassable en vélo, même en poussant ! Tandis
que Romain monte voir au sommet, je remonte le vallon. Quand on se
retrouve, aucun de nous n'est vraiment très optimiste sur
ce qu'il a vu. On décide quand même de monter la butte
pour camper au sommet. Mais voilà, on n'a pas d'eau !
Pas une goutte, alors on se sépare, Romain part chercher de
l'eau, moi je dois monter les vélos et les affaires sur cette
butte : un voyage pour les affaires de Rom, un pour les miennes
et un pour les 2 vélos, me rendant compte que l'alu, c quand
même sacrément plus léger que l'acier. La butte,
c'est 100m de dénivellation très raide. Pourtant, en
la montant pour la 3 ème fois, un vélo me sciant chaque épaule,
le ciel nocturne kirghize pour compagnon, j'ai cet étrange
sentiment d'être exactement là où je devais être
ce jour, je me sens complètement à ma place malgré la
souffrance physique que le coucher de soleil peine à faire
oublier en rosissant les sommets avoisinants juste au sud !
Sommet ! Ouf ! J'attaque à monter la tente de Rom.
Monter ma tente, c'est quelque chose de tellement automatique que
je réfléchis jamais en la montant. La sienne, je m'en
rends bien compte, je rentre dans une autre logique qui n'est pas
la mienne. Les questions comme « elle est où sa
housse de duvet ? » me reviennent comme si je montais
le premier camp de ma vie, « dort-il a droite, à gauche,
au milieu ? »…Tout plein de questions que je ne me
pose pas en montant la mienne… chaque chose a une place, une place
pour chaque chose ce qui me permet d'être rapide, de jamais
chercher ma frontale si je me réveille la nuit…Merde, j'ai
des habitudes, c'est dangereux ça !! Le phénomène
empire quand il faut chercher où il range sa bouffe, son réchaud,
son briquet…Bon, je m'en sors quand même et réussis à faire à manger
avec le litre d'eau qu'il nous reste. La nuit est plus que tombée,
je commence à m'inquiéter pour l'amigo. Je me demande
s'il a sa frontale, je cherche et la trouve dans sa sacoche avant !
Merde, c'est possible qu'il retrouve pas la butte dans cette immense
steppe kirghize alors je pars à sa recherche. Je fais au moins… 50m
quand je le trouve transpirant avec les 10 litres d'eau qui représentent
ni plus ni moins que la vie. Quelques thés plus loin, on se
couche sans vraiment chercher le sommeil et avec cette question dans
la tête : dans quoi je me suis encore fourré ?!!!
Après quelques heures de poussage, on retrouve un semblant
de sentier qui nous accueille même par un pont. De loin, on
est contents, de près, le pont est détruit…S'enchaînent
alors 3 traversées de rivière, chacune plus difficile
que la précédente. La dernière, c'est un peu
le taquet.
Rom voulait manger juste avant, ce à quoi je me suis opposé me
rappelant une rivière au Ladakh, un petit pissou devant lequel
j'avais mangé. Après le repas, c'était devenu
intraversable. J'avais dormi au même endroit attendant que
le gel retienne les gouttes d'eau que le soleil s'appliquerait à libérer !
Alors je traverse d'abord quasi à vide. D'abord, il y a un énorme
courant et c'est très dur de passer (la rivière a trois
brun. Le premier et le 2 ème sont abordables mais le 3 ème
est vraiment chaud), ensuite l'eau est très très froide
et c'est dur de supporter la traversée intégrale d'un
coup. Romain propose de faire une chaîne ce qui s'avère être
une sacrée idée en termes de tps, d'eau et de sécurité !
Finalement, on mange de l'autre côté après un
bon taquet qui pose les bases de la suite pour moi : la sortie
c'est devant, je repasse pas cette rivière ! Rom est
moins convaincu à cause du problème de bouffe que l'on
a et de notre lenteur !
Rom repart avec mes tongs aux pieds car il a dû traverser
avec ses chaussures qu'il met à sécher à l'arrière
du vélo. Forcément, comme ce qui doit arriver arrive
tjs, une d'elle en profite pour s'échapper et quand on s'en
rend compte, il est difficile de savoir vers où elle est tombée.
Mon appareil photos nous rend service, elle est entre le lieu de
la dernière photo et là ou on la cherche et Rom crie
victoire après quelques tps et après que l'on soit
tous les deux passés au moins 3 fois devant la chaussure sans
la voir.
Plus on avance, plus c'est sauvage. Il y a bien des traces qu'un
homme est passé par là mais au niveau de la route on
espère de moins en moins. Juste un sentier où dans
une descente vertigineuse, Romain , après seulement 500 kms
achève sa paire de patins de freins. Faut changer de vallée,
la carte est claire là-dessus indiquant une route que l'on
n'espère pas mais au moins un chemin qui serait bon pour notre
moral.
Le Shibili pass (Chmileblik pass comme l'appelle Romain) se révèle être
une barrière rocheuse visible de loin sans le moindre sentier,
un mur infranchissable pour les cyclistes que nous sommes !
C la merde ! On trouve un autre pass qu'il nous faut monter
en marchant et en faisant des allers et retour. Je fais un voyage
avec mes sacoches et laisse à Romain le soin de monter mon
vélo pour partir en reco une fois de plus. Je marche jusqu'au
sommet du col, y trouve un emplacement qui y a été campé il
y a peu de tps (l'herbe étant aplatie). Le crottin de cheval
sur le sentier témoigne aussi d'un passage cette année
et un semblant de piste quitte le col. Dans ma tête, c'est
bon, il suffit de continuer par là. Je redescends trouver
Romain et lui dit que « ça passe » et
que, en plus, y'a de l'eau de l'autre côté.
Il lui reste un voyage à faire pour Esperanza. Je charge
Lola de mes sacoches et des sacoches arrière de Rom (ou avant
peut-être, je sais plus !!) et je commence la route jusqu'au
col où je laisse un mot à Romain et plonge dans la
vallée en vélo. Le semblant de piste ne dure pas longtemps,
la descente est encore horrible mais débouche sur une rivière
où j'abandonne le vélo avec un mot pour Romain qui
dit « désolé de t'avoir mis dans cette galère,
j'avais vu les choses avec un peu trop d'optimisme ».
Dans ma tête, je me dis que l'amigo doit me maudire pour jamais
lâcher prise et jamais retourner en arrière comme il
l'a suggéré parfois…Je pars en reco alors que la nuit
va bientôt tomber. Il est 22h, je reviens au camp qui est presque
entièrement monté, le repas est prêt, le thé aussi,
Rom affiche un visage serein sans la moindre ombre de colère.
Je lui parle de ce que j'ai vu, il est confiant, ça me rassure, ça
c un équipier !!! et puis il me dit : « tu
t'es tjs sorti de toutes les galères où tu as dit t'être
fourré, y'a pas d'raisons que ça change hein ? » Non,
y'a pas de raisons.
On commence sacrément à rationner la bouffe, moitié moins
de riz à chaque repas, plus de sucre dans le thé… On
a quasi plus rien et on a aucune idée de combien de tps ça
va prendre. Aujourd'hui, pour plus de 12h d'efforts on a abattu… 12
kms ! Si vous avez un minimum de respect pour moi et pour Rom,
ne calculez pas la moyenne horaire !!!
Réduire la bouffe, ça se sent tout de suite quand
on passe sa journée à pousser un vélo et le
lendemain matin, c'est dur, on pousse dans ces hautes herbes, traverse
et retraverse la même rivière chaque fois qu'elle nous
bloque contre une falaise mais on avance vers un autre col qui, on
l'espère, marquera le début d'une meilleure route.
Sur la carte du sommet du col il y a y a une route parallèle
au Shibili pass qui devrait nous permettre de passer au sud dans
l'autre vallée. On passe de longs moments à étudier
chaque détail de la carte mais une carte fausse est aussi
utile qu'une bouée percée ! Pourtant, on y croit,
c'est fou comme tu peux y croire quand t'es dans la merde. Toujours
te dire, après cette bosse ce sera mieux, après le
col on verra la vallée et la route, y'aura une route, une
yourte !!... Si on réfléchit, on sait bien que
c'est pas vrai mais si l'espoir fait vivre, il fait surtout avancer !
Sommet du col, pas de route au sud bien sûr mais une piste
qui s'améliore petit à petit passant d'un sentier pour
cheval à un sentier pour chevaux ! Enorme différence !
Faute de pouvoir aller au sud comme prévu, on continue vers
l'ouest ! Dire que en quittant la France je pensais pédaler
vers l'est ! J'aurai gardé ça de mon éducation
scolaire : les chemins d'écolier à rallonge !
Dans la descente qui suit, je m'arrête d'un coup brutal « tu
vois ce que je vois ? » « non » alors
je montre du doigt « regarde là, deux chevaux
et des hommes ! » On est sauvés. Rom n'hésite
pas une seconde, va les voir et leur réclame à manger.
Il reviendra avec du pain, de la crème et l'info que la route
est à 3 ou 4 heures de lochette. Le pain et la crème
sont à tomber. C'est tellement bon. Si je lève les
yeux vers Rom, je découvre un gosse devant un pot de nutella
d'1 kg, ça doit être pareil pour moi ! Ce repas
tombe du ciel et nous requinque. On repart en laissant nos cueilleurs
de fruits sauveurs continuer leur journée !
En descente, c'est à mon tour de perdre une tong attachée à mes
sacoches. Vite retrouvée, ça va !
On atteint la vallée, il y a au loin une fumée qui
se détache. On imagine déjà la yourte avec le
mouton qui grille sur le feu mais, quand celle-ci se découvre
sous nos yeux, on comprend que c'est toute la vallée qui est
en flammes.. manquait plus que ça !! On la traverse avec
un chiffon sur la bouche, les flammes séchant nos pneus et
on s'attarde pas.. « y'avait une super photo à faire
de toi mais j'me suis dis que t'aurais pas le goût de refaire
le passage près des flammes ! » « Honnêtement…non ! ».
Y'a des moments où les photos, c'est le cadet de mes soucis.
C'est souvent dommage car des fois, ça vaudrait le coup comme
ici où dans les grosses traversées de rivière !
Le feu se rapprochant de plus en plus, on s'échappe par un
raidillon très très raide, les deux mains sur les freins à coté du
vélo entraîné par la pente et la loi du vélo, « la
loi de la pesanteur est dure mais c'est la loi ! »
Sortis du feu et du raidillon, on arrive à un pont qui repose
sur des carcasses de tracteurs et dont la poutre maîtresse
est brisée… un par un… doucement… ça tient ! Rom
s'exclame « tu pourras lui dire à ton pote Janne
Corax que je doute que dans la même journée il a failli
mourir de faim puis brûler par le feu puis tomber dans un ravin
puis risqué sa vie sur un pont !!! » (Janne
Corax c'est le maître à penser des cyclistes qui pensent
pas !! Je l'ai rencontré en Chine il y a déjà 6
ans puis au Tibet il y a 2 ans).
La bonne nouvelle, c'est que de ce coté-là de la rivière,
y'a une yourte et avant même que l'on ait mis le vélo
sur la béquille, on nous tient la porte ouverte pour du pain,
du beurre, du thé, du koumisse, du lait de jument frais… un
repas de luxe avec un pain à tomber. Ceux qui croient que
le pain est une spécialité française ne sont
jamais sortis de France ! On se plait à plaisanter avec
Romain que le jour où on a un chez-nous, on invite tous nos
potes pour manger du pain et du beurre !!! Pour nous, c'est
le summum du luxe, l'extase, ça n'a, à vrai dire, pas
de valeur même…
On nous invite à rester mais voilà : ma situation
de visa commence à me préoccuper sérieusement.
Quand je dis à Romain « prends ton temps si tu
veux » il me répond « solidaire jusqu'au
bout » (il a 5 jours de plus que moi sur son visa). Alors
on partira affronter le col avec un peu de luxe dans nos sacoches,
quelques carottes fraîchement cueillies dans le jardin de la
yourte.. fini le temps où je m'autorisais à ne pas
aimer ça, je les apprécie à leur juste valeur
aujourd'hui !!!
A la yourte, ils nous ont dit qu'il y avait 2 chemins, un pour lochette
et un pour voiture. Je me rends vite compte que celui pour voiture
a eut été mais n'a plus la place pour un vélo
alors faut prendre celui pour lochette ! Mais là, c'est
un chemin de super lochette… ou c'est moi qui suit KO mais nom de
dieu c'est putain de raide, j'ai du mal à tirer mon vélo
malgré Romain qui m'explique des théories sur les passages
d'obstacles. Je l'arrête avant qu'il ne sorte un papier et
un crayon pour me les démontrer à coups de formules
en lui disant : « moi, si j'avais un 34 (dimension
du plus gros pignon de son dérailleur, je n'en n'ai qu'un
32), j'monterais sans souci !!! ». Il pose le vélo
et dis : « fais-voir ». Alors je
prends les rennes d'Esperanza et lui de Lola. Un 34, c'est bien mais
c'est la légèreté du bike qui fait la différence,
c'est fou comme je suis habitué au mien, j'ai du mal à conduire
un autre vélo !!!
Bon, puis Romain me lâche dans le col. Je sui Sko. Romain,
lui, avance bien mais là où on se croyait au col, ben
finalement c'est que la moitié ! Merde ! Alors je
le redépasse et on sort ensemble au col pour partager un snikers
chèrement conservé. »Si t'essayes de l'refuser
celui-là, tu t'prends une tarte ! ». Pas de « mange,
t'es tout maigre qui tienne ! ».
De l'autre coté, c'est la descente vers la grand route. On
est passés. J'ai expliqué à Romain que quand
on ouvre une voie on lui donne un nom mais je ne sais pas si on a
trouvé le tps de lui donner un nom ! « L'amigo,
j'te confie cette tache ! Moi je suis occupé, ben oui,
je tape pas sans regarder le clavier moi ! Ca prend du temps
le « boulot ». Toi, t'es en France, t'as donc
plus rien de sérieux à faire !!!! ».
Le lendemain, on se trouve en vue de Kosh Dobo, un village où on
peut acheter à bouffer, rien d'exceptionnel mais une bonne
bas. On quitte Kosh Dobo sans réfléchir vraiment à la
route. Sur la carte, c'est clair, à gauche en arrivant au
village. On part dans cette direction sans rien demander à personne,
on a le vent dans le dos, c'est plat, descendant, on s'affole de
rien… jusqu'à ce qu'on se dise « merde, il devait
y avoir un col, nous on se laisse glisser, c'est pas normal !».
Après 30 kms, on se demande si on s'est plantés de
route comme des super blaireaux mais le gars nous dit « oui,
continuez un peu et vous rejoindrez une autre route ».
Au final c'est le moindre mal sauf qu'après 20 kms la route
s'avère ne pas exister ou du moins on ne l'a pas trouvée… ou
on est en train de repartir sur Narin !!
Au repas de midi la pompe de mon réchaud casse. Il faut réparer.
Je suis fou mais Romain a une explication à tout ce qui nous
arrive (la famine, les patins qui rendent l'âme après
500 kms, le feu, la crevaison avant Kosh Dodo, la carte qui est fausse
et maintenant le réchaud !!) qu'il n'a pas pu apprendre à l'école
d'ingénieurs : quelqu'un « vaudouise » l'un
de nous. Après discussion il conclut que ça ne peut être
que moi et qu'il pense savoir qui c'est !! Malheureusement,
la suite lui donnera raison sauf peut-être sur le vaudou en
question !!
Il faut rassembler tout son calme quand le demi-tour semble s'imposer,
ne pas penser au visa, ne pas s'énerver et repartir dans l'autre
sens. Un chien aboie et m'offre l'occasion d'extérioriser
ma colère. Je prends « la pierre du chien »,
cette pierre tjs à portée de la main bien comme y faut.
Il gémit tout ce qu'il peut. « Ah ben mon gars,
au prochain cycliste, tu fermeras ta gueule !! ».
Le plat descendant se transforme en plat montant et le vent de dos
en vent de face…. Que de logique dans tout ça !!! Poser
le cerveau, ne pas penser à Romain, s'excuser mais il met
la musique. Moi j'arrête de penser autant que possible, juste
pédaler, surtout ne pas regarder l'immensité devant
nous, surtout ne pas laisser le vent exploiter les failles de notre
esprit, ne pas lui laisser voir que finalement je suis dans la merde à cause
de ce visa.
Le vélo est le meilleur moyen de locomotion sur terre a une
et une seule condition : avoir le tps. Quand on enlève ça, ça
peut vite devenir très très dur. On s'apprête à en
faire l'expérience !!!
Ce soir-là, on a un kilométrage « négatif »,
on est plus loin de notre objectif que le matin même et le
vent a eu raison de nous. Jamais l'idée de monter dans un
camion pour solutionner le problème en 5 minutes et quelques
com /monnaie kirghize) ne m'effleure. C'est donc un putain de jeu
et quand je joue, c'est pour gagner… Certains disent qu'ils s'en
foutent de gagner ou de perdre. Je les plains car ils tuent ainsi
le plaisir de jouer !
Alors on décide de jouer réveil à 5h du mat.
Dans la nuit et la fraîcheur, on déjeune et part quand
le jour se lève à peine… on a du chemin !!
On mange ce col à fond les manettes, route de merde mais
on a ce défaut des rêveurs… on n'arrête jamais
d'y croire !!!
Quand on est à la bourre, il semble que les montées
sont longues, les descentes courtes, les routes mauvaises et le cycliste
jamais assez rapide.
On réalise l'exploit de faire 100 kms sur des routes qui
n'ont pas de nom au prix d'une journée longue, très
longue où seule la nuit nous arrête et nous plonge dans
un sommeil, je le jure, mérité ! Mais le lendemain, ça
recommence. Le voyage devient juste une obsession d'arriver à Och
pour obtenir une extension.
Mais le vaudou veille… et comme il faut. Dans la descente d'un autre
col, au moment où je pose les roues sur le goudron qui nous
fuit depuis des semaines, je crève. Il faut le vivre pour
le croire. Des centaines de kms sans goudron, sans crever (juste
une fois)… 2 m de goudron, je crève !!! Réparation
rapide, on fonctionne en équipe avec l'amigo : un enlève
les sacoches, l'autre démonte la roue… La première
rustine ne tient pas alors qu'elle avait été bien posée,
p… de vaudou !!!
La route du suicidaire nous fait redescendre au pied du dernier
col, une carrière de pierres se situe sur cette route qui,
par conséquent est peine de camions conduits aux extrêmes
limites de leurs possibilités. Je fais pas trop le malin.
Seule la DEE kirghize semble indifférente à ces monstres
inconscients, rien ne leur ferait lever le petit doigt. & travailleurs
dégustent de la vodka à l'ombre d'un arbre, le 7 ème
regarde le goudron sécher… Bien joué les gars, 2 mètres
carrés de pose !!! C'est à voir !
Ma sacoche de guidon se brise sous les secousses répétées.
Elle tenait depuis le début sans souci mais le vaudou a raison
d'elle. Plus loin, c'est les colliers de plomberie de mes porte gourde
qui se casse puis mes cale-pieds aussi… Je commence à avoir
sérieusement mal au dos, p… de vaudou !
En traversant le village, on cherche du pain. Ici, chacun fait le
sien et y'a pas de boulangerie. Romain me dit : »regarde
la classe » et part mendier notre petit déjeuner,
sûr que les apprentissages du « maître » (celui
avec lequel il a commencé le vélo) lui serviront !
Pas de bol, ça merde. La chance me sourit à moi quand
un vieux me dit « attends ici ». J'attends,
j'attends, j'attends, Je me dis qu'on m'a encore pris pour un con
quand un jeune débarque en faisant sauter de main en main
un pain qui brûle vu qu'il sort juste du four ! C'est
pour ça qu'on m'a fait attendre et ça valait le coup !
On peut quitter ce village et attaquer le prochain col 1700m plus
haut en altitude mais qui représentera 2100m de montée
car il a 400m de descente coupe jambes en route.
On va le garder pour le lendemain, un lendemain où je me
réveille énervé. Cette histoire de visa me stresse,
6 lettres d'une maladie mal venue dans ma vie par l'intermédiaire
de quelqu'un qui m'est cher me hante… Y'a des jours où on
voit tout noir même si on pense à une rose, des jours
où la vie nous pèse et où il faut arrêter
de penser mais c'est pas facile. Je suis énervé et
cette petite grimpette est la bienvenue. Je décide de « me
faire sauter la cafetière », histoire d'arrêter
de penser, faire monter le cœur bien haut dans les pulsations, se
faire souffler, appuyer sur les pédales comme un damné.
Le col est très très dur avec une route de merde qui
semble sans fin mais je monte d'une traite, pas d'arrêt, je
monte à bloc pour rejoindre le vent du sommet qui apaise et
me calme tout en séchant mon maillot trempé, mon front
où perle la sueur, extériorisation de la colère
intérieure !
J'attends au sommet Romain qui arrivera une 1h30 plus tard sans
vraiment comprendre ce qui m'a pris et ayant pris son tps pour manger
en route. Moi, j'en ai profité pour recoller tout ce qui ne
cesse de casser sous la puissance du vaudou qui nous réserve
une autre surprise : la route qu'on voulait prendre et qui coupe
n'existe pas en réalité. Faut faire le tour par Jalalabad
où nous étions passés en route pour Bishkek.
Coup dur pour le moral des cyclistes qui pédalent comme des
cons du lever au coucher du soleil sans se voir avancer. A chaque
fois, quelque chose arrive.
La descente du col est au moins aussi dure que la montée.
On s'y traîne à 10 km/h tellement la route est mauvaise,
jurant que les dieux nous en veulent, c'est pas possible autrement.
Les poignets et les épaules mal en point, on arrive au village
des graines de tournesols. Tout le monde semble impliqué dans
la récolte de ces petites graines. Moi je m'offre deux snikers
et un pain qui font que le soir j'ai perdu l'appétit pour
mon éternel riz juste assaisonné avec un bouillon cube.
Je fais du coup offrande aux dieux de ma gamelle avec une petite
danse et une petite prière afin d'anéantir le vaudou.
Ca marche !!! Au matin, on retrouve le goudron et un plat descendant
où on se laisse aller sans effort à 40 km/h , vent
de dos pour arriver à Jalalabad. 180 kms de Osh à mon
dernier jour de visa !!! |
|
2ème partie...
On fonce dans le bureau d'une agence de voyages mise en place par
un programme suisse de développement touristique, il me faut
quelqu'un qui parle anglais. Dans le bureau, je tombe sur une géorgienne
qui fait ses études en France et son stage de fin d'études
ici dans cette agence ! « le français, oui,
je le parle aussi ». Elle se fera en 4 pour m'aider
en m'emmenant au bureau du KGB (elle parle couramment russe !!)
négociant, faisant les yeux doux au chef mais rien à faire….
Il faut aller à Och ! Elle refusera que je lui paye
le taxi qui nous emmène au KGB me disant : « t'as été en
Georgie ? Si tu payes, c'est que t'as rien compris au pays ! ».
Je range mes billets fébrilement me rappelant l'hospitalité georgienne.
Em quelques coups de téléphone, j'apprends qu'à Och
on m'extendra le visa pour 50 dollars à condition d'y être
aujourd'hui avant 16h ! Je trouve un taxi collectif qui fait
la route et, vers midi, je quitte Romain qui s'occupe de mon vélo
. Il me reste 4 heures pour arriver au KGB de Osh et étendre.
Une chance pour moi, le chauffeur roule à 120/130 de moyenne,
accélérant dans les villages les mains sur le klaxon !!!
Le mec est capable de répondre au téléphone,
d'allumer une clope et de passer une vitesse tout en descendant sa
vitre pour dire bonjour à son cousin flic sur le bord de la
route… Ha, il change aussi de cassette en même temps !!
Regarder la route, pour quoi faire ? A cette vitesse, frôlant
les enfants qui jouent aux billes dans les villages, s'il fait un
faux mouvement, s'en est fini pour lui ! Maintenant je sais
pourquoi je suis pas à l'aise sur ma selle de vélo !!
Enfin, sur le coup, ça fait mon affaire : à 14h
je suis devant les bureaux du KGB. Quand JE demande au gars si c'est
là pour l'extension, il ne lève pas les yeux,, ne me
répond pas. Je répète. Il me dit de dégager
sur un ton pas cool qui me tend légèrement puis il
se lève et m'insulte en russe pour me dire de partir. Je pète
les plombs. Je me mets à balancer des coups de pieds dans
tous les murs, les chaises, les portes en jurant tout ce que je peux
sur ce pays d'ivrognes et de flics. Si y'avait pas eu une vitre,
je l'aurais tué ! Un kirghize me prend par le bras et
me calme. Il m'emmène dans un autre bureau difficile à trouver
où le bureaucrate me dit qu'il peut pas étendre mon
visa pour 50 dollars, peut-être pour 70 il aurait un truc pour
moi la semaine prochaine !!!! Mais je peux pas moi ! Patience,
cette mère patience……
Il me dit : essaye à ce bureau…je comprends pas où c'est
exactement mais mon guide kirghize lui me reprend par le bras en
me disant reste calme, c'est rien… et me ramène devant la
même vitre que j'ai failli briser il y a une heure. Il est
15h, dans une heure je suis dans la vraie merde ! Cette fois
on me fait rencontrer le boss qui fait venir une fille très
jolie qui parle anglais ! Première question :: qu'avez-vous
fait pour être dans un tel état ? Ah oui, j'y pensais
plus à l'apparence, voilà bien 15 jours que je ne me
suis pas douché et bien 3 semaines que mes fringues n'ont
pas été lavées, je suis en tongues, des dread à la
place des cheveux, mon short est noir, mon t-shirt n'en parlons pas,
j'ai la fatigue qui tire les traits…bref, je ressemble à rien !!!
« Qu'est-ce-que vous voulez » ? Je lui
explique mon cas via la traductrice. Une fois tout écouté,
il répond de ce ton froid et traumatisant à la russe « niet ».
J'ai déjà eu une extension à Bishkek et c'est
en théorie pas possible d'en avoir une deuxième. Mais
voilà, demain c'est férié, il est trop tard
pour qu'il m'invite à prendre le bus jusqu'à la frontière
et il ne peut pas me laisser sans visa, je le sais comme je sais
que le niet veut dire « ça va pas être gratuit
mon pote » !!!
Patience encore pour négocier. Des enchères qui commencent à 50
dollars qui sont bien trop pour moi. Je m'en tire pour 10 dollars !!
Ah ben moi, je lâche rien, même dans cet état
de fatigue psychologique du à quelques jours de vélo
très durs ! A la fin, la montre est contre lui, il lui
faut me donner le visa aujourd'hui, il le sait et du coup il cède
après 30 minutes de négociation les yeux dans les yeux !
Il me faut aller à la banque. Mon guide kirghize dont le
job est de demander les autorisations au KGB (pour que les kirghizes
aient un visa russe) connaît bien la machine et son peu de
logique et me guide à la banque où je dois m'acquitter
de ces 10 dollars pour l'extension. Sans lui j'aurais pas réussi à payer à temps.
16 h pile ! J'ai payé et donne mon passeport avec le
précieux papier qui « m'offre » 5 jours
de plus pour quitter le pays ! Les kirghizes sont heureux pour
moi. Auront-ils leur visa russe ? Je vous jure, la paperasse
française, c'est les vacances à coté de celle
kirghize….héritage de l'union soviétique !!
Il me faut retourner à Jalalabad, dernière négociation
avec le chauffeur de taxi lequel, ayant une plus vieille voiture
que celle que j'avais à l'aller se verra contraint de me faire
un prix moins cher que ce que j'ai payé à l'aller !
Je lâche rien, mais quand je dis rien c'est rien !!! Et
quand un des passagers complètement bourré me demande
de lever mes jambes pour qu'il puisse s'allonger en travers sur moi
et les autres passagers car il est « fatigué »,
fatigué de 2 bouteilles de vodka oui, ben je le reçois
avec plein de politesse !!
La journée est presque finie. J'avais dit hier « « si
demain soir je suis à Jalalabad avec une extension, c'est
que j'ai vaincu mon vaudou » J'y arrive, ouf ! Je
retrouve Romain à un cyber café où il a passé l'après-midi
et là une deuxième journée commence.
Je voulais pas me connecter mais apparemment Romain est dans un
chat sérieux alors je vais l'accompagner ! J'aime pas
me connecter quand j'ai pas trop de temps et maintenant encore moins !
« t'es où ? » La question classique. «Jalalabad » »,
la réponse pas classique qui me vait « t'es que
là ? qu'est-ce que tu fous ? T'as vu les autres(cyclistes)
sont déjà a Kashgar ? » (on ne peut
pas lutter en vélo contre les bus…personne se soucie de comprendre…..
Toi tu sors d'une journée vraiment de merde qui a commencé à 5h
du mat, t'as rien mangé de la journée, t'es physiquement
très fatigué et moralement à bout mais faut
rester zen, très zen….
Envie de tout jeter, de dire qu'en 2 mois de Kirghizstan j'ai abattu
près de 3000 kms dont plus de 20 cols dt 18 au-dessus de 3000,
envie de dire que personne n'a passé sa jante avant la mienne
au sommet d'un col vélo XT sacoche Ortlieb même tarif.
Je me considère pas comme lent. Envie de dire qu'on peut pas
comparer quelqu'un atteignant le sommet de l'Everest avec ou sans
oxygène, avec ou sans porteur…Envie de dire que l'on a posé nos
roues où jamais aucun cycliste n'avait mis les siennes… Mais
voilà, d'une je sais pas dire tout ça de but en blanc
et de deux je sais qu'on vit dans un système où ce
qui compte c'est de se dresser au sommet, peu importe à tout
le monde si on s'est fait porter par des porteurs avec une bouteille
d'oxygène à deux litres minute !!!sur le bec… Puis
d'ailleurs, je voyage pas en vélo pour prouver que je peux
le faire, j'ai rien à prouver et je m'en rends encore plus
compte là, devant mon clavier quand finalement je réponds
rien aux questions qui n'ont pas de sens pour moi.
La dernière grande classique : » quand est-ce
que tu rentres ? » est en train de perdre son sens également.
Là devant cet écran avec cette magnifique journée,
elle se meurt même et ce malgré les circonstances pas
drôles du moment. Je réfléchis, je réfléchis,
ne trouve pas de réponse à pourquoi rentrer. Tous mes
arguments semblent épuisés mais pas de décision
quand la tête ne marche pas bien. Allons dormir…
Romain a retiré de l'argent pour nous offrir une onéreuse
guest house qui a le seul mérite c'est d'avoir de l'eau chaude !!
Cette guest house rentre dans le programme de développement
touristique mis en place par les suisses. L'idée est super,
elle consiste à te faire loger par les habitants à qui
on a dit : « y'a rien à faire, juste accueillir
les touristes qui vous payeront ». Les prix sont chers
et fixés par l'organisation et les hôtes ne savent pas
ce que l'on est en droit d'attendre pour ce prix …alors quand
au petit dèj t'as 2 bouts de pain sec et un thé sachant
que pour 1 dollar au bazar, tu te pètes le ventre de pain
frais et de yaourt au miel, de fruits frais et secs, on a un peu
les boules sachant qu'on paye 10 dollars ! Donc, l'idée
est bonne sauf qu'elle présente tout ce qui est clair de peau
comme un pigeon !
Le lendemain, on repart (déjà !!) car 5 jours
c'est pas non plus trop ! On roule tranquilles et c'est agréable
comme si on venait de nous libérer. On rétablit les
pauses biscuits qui s'éternisent jusqu'à une heure.
On plante la tente de jour pour regarder le soleil se coucher et
on se lève tard pour ne pas le voir se lever !
Puis au début, y'a du goudron et ça change le rendement
même si, comme on est vraiment cons, on choisit de le fuir
et de prendre une petite route ! On ne regrette pas car cette
petite route est pleine de gens super. Dans un village, une femme
nous offre du pain. Voyant cela, sa voisine nous offre une bouteille
d'un litre et demi de confiture de myrtilles délicieuse. Toutes
deux nous supplient de dormir là mais non ne peut pas !
Les hommes descendent des quantités de foin incroyables pour
passer l'hiver. Chaque centimètre de montagne a été fauché dont
certains endroits qu'il fallait vraiment aller chercher !
Encore un col. Au sommet, toutes les familles s'affairent à plier
les yourtes. Romain a envie de koumisse, il monte les retrouver.
J'ai envie de calme, je reste lire un livre qu'il vient de m'offrir : »la
prophétie des Andes ». Un livre dont je vous
reparlerai.
Une grand-mère arrive par derrière et interrompt ma
lecture. Dans ses mains, un grand bol de koumisse. Elle s'assoit à côté de
moi avec des yeux qui semblent perdus ! Elle me demande pas
ce terrible « atkouda » qui m'insupporte sacrément.
Après le Kirghizstan, j'arrêterai définitivement
de demander aux gens d'où ils sont, j'attendrai qu'ils posent
la question et me contenterai juste d'un « et toi ? » car « atkouda ? »,
d'où tu viens, where are you from, de donde eres, di dove
sei… m'usent le cerveau…aucun comme le terrible atkuda russe mais
quand même !
Cette grand-mère me dit « c'est la première
fois que je vois un vélo ici » puis, ponctuant
ses phrases de « bois, bois » me dit qu'elle
est triste car « il faut bientôt quitter le jeilo, avant
, on restait jusqu'à 7 mois, maintenant 4 mois maximum, je
comprend pas les jeunes qui veulent redescendre ». Ses
yeux sont humides maintenant. Moi j'ai fini mon bol de koumisse.
Romain aussi. Il se redirige vers moi sans que j'arrive à dire à cette
grand-mère tout ce qu'elle aimerait entendre. Mon russe est
trop pitoyable mais je crois que je la comprends (pourquoi rentrer
est notre question commune après tout mais elle n'a pas la
chance de décider). Je lui adresse un regard sincère
et ému tandis que la descente nous avale pour nous ramener
sur la grand route à deux jours de la frontière…
Deux jours et deux cols par le Kirghizstan, ça monte et ça
descend, dont un col que l'on a déjà pris dans l'autre
sens à la sortie du Tadjikistan et celui là, il nous
fait peur, très peur car c'est long et raide ! En fait,
il passe plutôt bien et on recampe au même endroit que
là où mon pneu avait abandonné la route il y
a quelques semaines. Mais la route n'est plus la même, toutes
les yourtes ont disparu et les grandes vallées vertes kirghizes
sont assez tristes. Seuls quelques ronds témoignent de l'emplacement
passé, symbole de la liberté du peuple kirghize.
Romain tente sa chance car il veut du pain et du koumisse avant
de quitter le pays. Il marchera ½ heure aller et ½ heure
retour pour un bout de pain sec !! Il est un peu vert surtout
qu'il avait une photo pour une yourte qui nous avait accueillis avant
mais qui c'est volatilisée depuis.
Au matin, on rejoint Sari Tash, dernier village avant la frontière
et le col d'Irkechtam. J'achète de l'essence pour nos réchauds
puis annonce fièrement à Romain que je vais dévaliser
le magasin juste un peu plus loin. « ah oui, et avec quel
argent ? ». Ni lui ni moi avons de l'argent. On achète
du riz. La tenancière essaie de nous rouler avec des kilo
qui pèsent 800 grammes mais je sais pas si c'est l'expérience
du baroudeur ou le fait qu'on est vraiment à 200 gr de riz
près mais on paye 1 kilo, on veut 1 kilo ! Romain rêve
de pain qui avait été si bon à l'aller mais
on a plus un rond, comme d'hab !
Frontière internationale : on s'attendait à un
truc roulable. La route est horrible, juste le trafic témoigne
de son importance. Pause déjeuner sommaire, comme d'hab. Rom,
comme moi, on craque un peu, on rêve de montagne, de bouffe,
de se poser et d'oublier la poussière, d'oublier les camions
et surtout de ne plus entendre les « atkouda ».
On peut plus voir cette vodka qui imbibe cette société et
détruit la meilleure partie de chaque homme. Deux mois de
Kirghizstan, de routes pourries et de cols. On a besoin de changer
de pays, de quitter cette ex URSS qui nous coule trop dans les veines
depuis plusieurs mois, quitter cette police et changer de monde en
passant une ligne tracée sur un bout de papier. Passer en
Chine , on en rêve juste pour que ce soit différent.
On est presque trop à l'aise ici !!!
Une poignée de riz pour midi. On repart ? Allez. Ah
ben finalement, non. Romain a crevé. Une crevaison, c'est
rien, mais là, ça pèse un peu. On va se tirer
putain ? J'ai jamais autant crevé depuis que j'ai ces
p… de pneus increvables à 35 euros pièce !!
Il est où ce p… de col ? On monte, on descend puis remonte.
Bon, cette fois ça suffit, allez, le sommet c'est ici, face à cette
chaîne du Pamir. Impressionnant ! On se sent bien petits
ou peut-être est-on bien fatigués… On s'arrête
dans la descente à la vue d'une yourte pour mendier un peu
de thé et de nourriture qu'on nous offre sans réfléchir.
Nos visages doivent commencer à parler tout seuls, un truc
du genre : « j'suis fatigué, j'ai faim, j'ai
soif et quand est-ce que la route s'arrête ? ».
Une heure dans cette yourte, une fois de plus, efface tous ces maux.
Beurre, pain et koumisse remplissent le corps. Regard chaleureux
qui, même s'ils ne comprennent pas notre folie, réchauffe
le cœur…
Dans la descente, un camion qui monte serre un peu trop Rom et prend
le mauvais côté de la route comme si on n'existait pas.
Rom, pour toute réponse lui jette « la pierre du
chien ». Le chauffeur s'arrête, le ton monte, je
rapplique, on s'insulte tant que possible dans nos langues respectives
(menaces de mort, doigt d'honneur et tout et tout) avant de repartir
chacun de son côté !! C'est bon d'extérioriser !!
Nous on est à bout à cause des mauvaises routes et
des événements de ces dernières semaines, le
tout saupoudré seulement de quelques poignées de riz
mais les chauffeurs aussi sont à bout à cause des mauvaises
routes et de la frontière qu'ils viennent de passer, véritable
calvaire pour eux vu qu'ils se trouvent, pendant des jours, livrés
aux douaniers qui les rackettent et les laissent attendre là des
jours entiers au gré de leur humeur…
Au pied de la descente, les chinois ont offert 15 kms de goudron
au Kirghizstan, un billard, des lignes jaunes et un check post…avant
goût de la Chine.
Le soir, on s'arrête juste avant la frontière. Un jeune
Kirghize nous offre pain et beurre après avoir assisté émerveillé au
montage de notre camp.
Demain, la Chine : « fais de beaux rêves
l'amigo ». « oui, toi aussi ». Je
plonge dans mon duvet, commence à fermer les yeux et, comme
souvent, Rom me rappelle à l'ordre « au fait, Seb,
t'as oublié de te brosser les dents ! »… « Merci
maman ! ». par acquis de conscience je ressors les
bras de mon duvet et me brosse vite fait les dents… C'est le jeu
préféré de Romain de me rappeler cela, alors
que je n'ai plus aucune envie de le faire...
Plus tard, quand je retrouverai ma solitude, je n'oublierai jamais
de me brosser les dents grâce à lui ou si je l'oublie
ce sera avec une pensée du genre « j'me suis pas
brossé les dents amigo et j't'emmerde !!! » parce
qu'il fait trop froid ou autre…
Frontière, un bordel sans nom, des centaines de camions,
des douaniers qui hurlent de partout mais encore une fois, à vélo,
on est privilégié..pauvre routier ! Une queue
de quelques heures pour un tampon et on repart avec une demi-heure
pour arriver à la frontière chinoise 5 kms plus loin
avant que les douaniers chinois ne prennent deux heures de pause
déjeuner !
Arrivés au premier poste de contrôle, le douanier chinois
parle super bien anglais et est donc d'une amabilité troublante…5
minutes très professionnelles et il nous invite à continuer « have
a nice trip, welcome in China ». Merde, ils ont beaucoup
changé, voilà que le touriste est le bienvenu en Chine !!!
Cela se confirme au poste douanier principal, très aimable,
très pro, pas de fouille. 10 minutes plus tard, on quitte
la frontière étonnés mais heureux. Ca y est,
on est en Chine. La route est un billard et on n'a pas une tune mais
Kashgar est là. A quelques 200 kms et trois cols !
On en mange 2 ce soir là avant de planter nos tentes sur
le bord de la route en espérant qu'aucun camion ne décide
de sauter.
C'est la crise bouffe, sérieux ! Il ne me reste plus
de sucre, plus de thé, plus de sauce tomate, plus de sel,
plus de…… bref du riz et un bouillon cube ainsi que de la confiture à la
myrtille de cette gentille Kirghize !
Reste 150 kms, un col, on n'a pas un yuan (monnaie chinoise) et
plus rien à manger une fois avalée cette dernière
poignée de riz au matin avec un peu de confiture ! Il
faut arriver à Kashgar. Romain en fait son affaire, il est
remonté comme une pendule et m'offre un sérieux abri
contre le vent à moi qui suis un peu mort. Il donne le rythme
sur un plat principalement descendant et on (peut-être le mauvais
pronom car je suis le gros suceur de roue ce jour-là avec
le vent de face) arrive assez vite vers Kashgar où je prends
le relais car je connais un peu la ville. Mais un peu, je n'y suis
jamais venu en vélo et c'est incroyable comme on voit les
choses différemment sur ce mode de transport. J'ai parfois
l'impression que c'est ma première visite de la ville alors
que c'est « déjà » la troisième !
J'avais jamais remarqué que les rues étaient faites
de plaques de béton. Les distances comparées à un
piéton changent complètement…Bref, je redécouvre
le monde perché sur ma selle !
Dernier tour de roues avant Kashgar. Les jambes sont lourdes malgré le
fait que je sois bien à l'abri derrière Romain depuis
60 kms mais la journée fut longue. 150 kms de route parfaite
pour arriver pour la troisième fois de ma vie ici, à Kashgar.
Trois fois…cela me laisse pensif, trois fois que j'arrive dans une
des villes mythiques du voyage. Je me souviens d'être arrivé ici
la première fois après que mon rêve de Muztagata
semblait anéanti, puis finalement ça s'était
fait ..une des grosses leçons du voyage, y croire toujours,
toujours y croire. Quand on veut vraiment quelque chose, tout l'univers
conspire à nous l'offrir. La deuxième fois, j'étais
trop pressé voulant aller au Tibet trop vite, voulant consommer
la Chine pourtant si consommatrice et immense ; ça m'a
pas réussi. Quand t'es pressé, prends ton temps….j'ai
pas oublié ! La troisième fois, ben elle est là, à écrire
oui mais d'abord une tape dans la main avec le copain Romain toujours
devant le Semant hôtel et une douche vraiment pas volée,
je le jure. On l'a fait, on y est !!
Lola, elle, c'est sa deuxième fois ici. La première
apparemment avait été assez dure vu qu'elle avait connu
la prison avec son ex propriétaire. Aujourd'hui, Kashgar accueille
les touristes à bras ouverts, pas de soucis. Y'a même
des enseignes en anglais ! Les temps changent, à nous
de nous y adapter !
Kashgar a à la fois beaucoup changé et pas vraiment
changé. On pose bagages dans le Seman hôtel, celui où je
viens depuis le début, 3 euros une super chambre avec une
belle salle de bain…c'est du méga luxe. Tout le monde va manger
au John's café. On y essayera un dessert très cher
qui n'arrive pas à nous convaincre malgré notre besoin
de nourriture ! C'est dans un petit restau uigur que l'on pose
nos habitudes « bosh nan » : galette fourrée
de viande de mouton aux oignons ainsi que « lakman » (sorte
de pates molles épicées) nous comble de joie. Et puis,
y'a ces jus de pêche que j'aime tant… Je décrète :
pas de limite d'argent pour la bouffe » et c'est très
très agréable sachant que le dernier mois m'a couté déjà 4
kg avant le Tibet. C'est pas bon !
Puis y'a internet où Romain comme moi passons nos journées
et une grosse partie de la nuit : le cordon ombilical avec tous
les gens que l'on aime un peu partout sut terre fait partie intégrante
de mes moments de recharge énergétique. L'énergie
de la nourriture est certes importante mais celle du cœur l'est
bien plus.
Voilà près d'un an que je suis sur la route et c'est
une sorte de cap car tout le monde m'aurait bien vu en France pour
le 18 septembre, ce qui ne sera pas possible. Expliquer, justifier
ce que l'on n'arrive pas à expliquer à soi-même,
doute-espoir, espoir-doute…le seb est fragile, il pense trop. Mais
internet, MSN et certaines personnes derrière l'écran
trouvent les mots justes pour apaiser les doutes et ne laisser
que l'espoir , celui de repartir, l'esprit libre…
La région autonome de Xinjiang, comme celle du Tibet n'est
pas une vraie partie de la Chine. Peuplée essentiellement
de musulmans uigurs, parlant une langue turcophone, ce à quoi
il faut ajouter tous les marchands pakistanais profitant de tout
ce qui leur est interdit quelques kms plus à l'ouest :
alcool, femmes, cigarettes… le tout sous le regard chinois (han)
arrivés ici un peu par hasard pour eux mais par calcul savant
du gouvernement chinois sachant que la meilleure façon de
se débarrasser d'une majorité qui ne lui est pas favorable
c'est d'en faire une minorité bien contrôlée…
Tout ce petit monde vit à des rythmes différents comme
si il y avait plusieurs pays en un . Le dimanche, les marchands kirghizes
complètent le tableau pour le fameux « Sunday market » :
jadis un grand bazar, aujourd'hui trop propre et organisé à mon
goût mais notre visa nous le rappelle : nous sommes en
Chine !!!
A Kashgar, on vit à l'heure de Pékin (Beijing), centre
du monde chinois et du monde pour les chinois même si Kashgar
se trouve dans un fuseau horaire différent (2h de décalage
horaire au soleil) qui ajoute à la confusion de tous…
On peut reprocher plein de choses aux chinois, même si c'est
pas aux chinois eux-mêmes qu'on fait des reproches mais plus à leur
gouvernement (communiste de nom… il suffit de 5 mn en Chine pour
savoir qu'on est dans le plus grand pays capitaliste du monde)
mais pas la nourriture.
Après une visite à un magasin de vélos histoire
de redonner vie à nos montures avant de les détruire
sur les routes tibétaines, on trouve un restau ou normalement
personne ne va vu que ce n'est pas dans le centre et les alentours.
Personne ne parle chinois. Le langage, gros problème en Chine.
On commence par vouloir nous virer. Souvent les chinois se sentent
inférieurs parce qu'ils ne peuvent pas parler anglais sachant
que le président chinois a décrété il
y a un an que tous les chinois devraient parler anglais en 2008 pour
les J.O….No comment !! Mais finalement on insiste un peu et
le chef, les yeux malicieux, voit là une opportunité de
nous prouver son talent. On lui fait comprendre qu'il a carte blanche !!!
Les plats défilent les uns après les autres , chacun
rivalisant avec l'autre : des mets délicieux à nous
faire tomber dans les pommes. On n'en croit pas nos yeux, ça
n'arrête pas d'arriver. Mais pas de souci, on a de quoi accueillir
tous ces plats ! On nettoie tout pour le grand plaisir du chef
et surtout du nôtre. C'est un repas digne des meilleurs restau
culinaires français, sauf peut-être que c'est pas des échantillons
mais de vrais gros plats ! Puis le chef sort de la cuisine :
arrêtez les gars, arrêtez de faire revenir les légumes,
frire la viande, de faire des soupes sucrées aux légumes….richesse
de la cuisine chinoise qui fait oublier tout le reste sauf peut-être
l'addition qui nous inquiète vraiment tellement c'est exceptionnel.
On s'attend à du 10/15 euros, ce qui serait une fortune bien
au-dessus de nos bourses. La note tombe : 3 euros pour deux !!!!
Mon gars, tu nous r'verras même si c'est à l'autre bout
de la ville !!
On reviendra. On ira aussi dans un autre restau près du quartier
touristique invités par un suédois qui vit en Chine
et qui parle chinois (le super plan pour apprécier la cuisine
chinoise dans toute sa splendeur) et quand je dis qu'il parle chinois,
c'est qu'il parle couramment chinois et l'écrit même…10
ans de boulot !!!). C'est ici beaucoup plus cher mais on est
les « guest en Chine » nous dit-il. Il nous
fait aussi remarquer que c'est la première fois qu'il voit
tous les plats d'un repas retourner vides à la cuisine !
Ah ben, on lâche rien, on connait la valeur d'un grain de riz !!!
Kashgar, ce sera la bouffe en priorité. Un soir, on tente
les restau de rue qui vendent des brochettes de viande et de légumes.
C'est moi qui commande et j'ai oublié de préciser « sans
piment » : on a failli mourir. Moi j'ai abandonné le
combat assez vite, les lèvres en feu, les larmes aux yeux.
Romain, plus teigneux, n'a rien lâché ! Il le payera
cher le lendemain… Des barres Nestlé complèteront ce
que je n'ai pas réussi à manger car je reste d'Europe
quand même !!!
Outre la bouffe et internet, nos préoccupations se portent
sur nos vélos, surtout moi : je change mon axe de pédalier
et refais mes deux moyeux car ça merde sérieux à ce
niveau. Sur la terrasse de l'hôtel, je joue avec les moindres
billes de mon vélo sous le regard halluciné des passants à qui
le cambouis fait peur !
Je rachète des lunettes car, depuis la perte des miennes,
j'avais des lunettes à 0,80 $ pas top et qui survivaient au
scotch et c'est pas bon pour l'image ! Je passe à des
lunettes à 8 $ !! La ruine !! Pareil pour les gants
made in China que j'ai pas fini de maudire ! Puis je m'achète
au Sunday market un drap que je fais coufre pour avoir un duvet plus
chaud…Une sorte de routine en fait qui consiste à préparer
le prochain départ mais cette fois c'est un départ
pour le Tibet.
Depuis le début de mon voyage, je m'imagine attaquer le Tibet
au top de ma forme et avec du matos super réglé !
Moi, j'ai le cul démonté par trop de vélo, les
dos et les genoux qui couinent. Le vélo, ma foi, me parait
bien fragile avec ses jantes à 10 $ et son axe de pédalier à 8.
Quant à tout le reste (tente, réchaud..) et ben ça
vieillit pas mal aussi. Un voyage au long cours au-delà de
l'année est une terrible épreuve matérielle
et développe un certain sens du système D et surtout
nos apprend à démystifier le matériel en devenant
moins matérialiste et plus rêveur !!!
Romain, lui, c'est le froid qui l'incite alors, comme moi, il investit
dans ce que l'on sait être la dernière vraie possibilité de
ravitaillement sérieux avant Lhassa, près de 4000 kms
plus loin, à l'est !!!
Sans se consulter, Romain et moi savons que nous ne ferons pas la
route du Tibet ensemble, chacun de nous a besoin de tenter l'aventure
seul ! Le Tibet, c'était un peu le but du voyage. Pour
moi, dans ma tête jusque là on s'échauffait mais
je sais que les conditions ne seront pas plus dures qu'au Kirghizstan,
les routes pas plus mauvaises qu'au Tadjikistan, le vent pas plus
fort qu'au Turkménistan, la boue pas plus boueuse qu'en Géorgie,
la police pas plus chiante qu'au Tadjikistan, le froid pas plus
vif que l'hiver dans les montagnes turques, la neige pas plus profonde
que dans les montagnes de Bosnie.
Je sais que ça va être un mix de tout ça à la
fois, sans compter l'altitude…va y'avoir du sport mais moi je reste
tranquille et d'ailleurs, c'est un peu de challenge qu'on va chercher
au Tibet sur celle qui est considérée comme l'une
des routes les plus dures du monde pour un cycliste…
Merde je suis au pied du Tibet, je peux pas y croire !!!
Le 14 septembre, dernier p'tit dèj avec l'amigo puis on se
serre la main, émus mais incapables de dire un mot. L'un comme
l'autre on est pas doués pour parler alors un bonne route
suffira et puis, en tant que voyageurs, on sait qu'on se recroisera
en France, en Asie, en Amérique ; on s'en fout, le monde
est petit quand on le regarde comme un terrain de jeux et l'un comme
l'autre n aime jouer, rêver de ce BBQ qui si souvent nous a
motivés pour pédaler…Rom me laisse 2 jours d'avance,
je finis de paqueter et pars…
Comme d'hab, repartir après un long break ça fait
tout drôle, comme s'il fallait regagner un corps que l'on avait
quitté. On semble tout perdu parmi les charrettes et le trafic
moderne bien plus bruyant et dangereux. On cherche des heures l'endroit
où camper faute d'avoir ce feeling qui nous conduit comme
un loup de mer après des semaines de route , on manque le
bon plan d'eau, on entend que des bruits parasites, on n'arrive pas à être
attentif à ces détails qui font la vie qui nous entoure.
Mais ça revient vite, c'est finalement très facile
de (re)devenir libre et nom de dieu que c'est bon ce silence qui
n'est pas silence mais juste absence de tous les mauvais bruits de
la vie urbaine. Ces étoiles qui remplacent le plafond d'un
hôtel, ce rythme calé sur celui du soleil, le réchaud
qui s'allume pour chauffer quelques litres d'eau si précieuse…
Premier camp : merde, j'ai plus de frontale !! Elle a
mystérieusement disparu à l'hôtel …femme de ménage
ou les autres qui partagent le dortoir ? Peu importe mais je
ne peux pas aller au Tibet sans frontale !
La route qui mène à Karghilik est plate et goudronnée
tout le long et Karghilik c'est là où on quitte le
désert du Taclamacande pour s'orienter au sud vers des montagnes
qu'on ne devine pas encore ! Je m'arrête à Karghilik
en fin de matinée et repars en bus pour Kashgar. Aller-retour
de 8h de bus pour un petit bout de plastique que je paye très
cher : une frontale Pelzt, exactement la même que celle
qu j'avais mais, tout ce qui est importé en Chine, ça
douille sérieux !!!! Mais une frontale c'est très
important. Aujourd'hui Tibet derrière moi je ne regrette cette
mauvaise après-midi de bus mais alors pas du tout, ni même
le prix de ma frontale car sans elle, j'aurais payé bien plus
si j'avais pas pu rouler de nuit !!!
De retour à Karghilik à minuit, je réveille
tout l'hotel qui m'avait bouclé dehors. Au matin j'achète
tout plein de bouffe, soupe de nouilles et riz principalement. Un
dernier lak man juste devant le panneau de 5m par 5m où c'est écrit
que les voyageurs ne sont pas autorisés à prendre la
route sans un permis spécial !!!
En réalité, la route est une passoire, personne ne
cherche à la contrôler mais ça leur plait aux
chinois de ne pas l'autoriser officiellement ! Ca plait aussi
aux backpacker qui sont là, qui croient vivre la grande aventure
du Tibet illégal en racontant qu'ils doivent prendre un taxi
pour éviter le premier check post qui est terrible d'après
eux. Je suis passé : y'a pas de check post ! « mon
gars, tu t'es bien fait enfiler par le chauffeur de taxi qui te bourre
le mou en te vidant le portefeuille » !!!!
Quitter la ville. La prochaine est à 3000 m plus haut et
2000 km plus loin…pas de quoi s'ennuyer quoi !
Départ difficile, l'aller-retour à Kashgar m'a fatigué,
j'ai mal aux genoux, très mal au dos (héritage des
poussages au Kirghizstan) et mal aux fesses malgré la semaine
de pause à Kashgar. Le vélo est très lourd et
même si je suis sur le goudron, je n'avance pas ! Je me
dis que c'est loin d'être gagné ce business doutant
que le Tibet me soigne !!
Dès le début c'est clair, il va falloir être
patient. Je décide de fixer un max de roulage à 7h
par jour afin de ne pas trop me fatiguer dès le début
et surtout j'adopte ce rythme lent, très lent mais tellement
régulier.
Les gens croient que pour aller vite il faut appuyer sur les pédales.
C'est faux : pour aller vite il faut aller doucement !!
Très doucement amis régulièrement. Les gens
qui m'ont déjà vu marcher savent comment je fonctionne
et cette stratégie n'est que doublement vraie quand on commence à jouer
avec l'altitude et les caprices de la pression…
Le stress de la sortie du Kirghizstan plus Kashgar où j'avais
10.000 choses à faire puis la frontale font que je suis content à l'idée
d'aller doucement, de prendre mon temps, d'écouter mon corps
et de me laisser lentement glisser vers le Tibet…avec l'idée
que peut-être je serai pas à la hauteur, que mon corps
et mon vélo, fatigués par un an de route ne supporteront
pas la route, cette route sur laquelle j'ai entendu tellement de
choses « la route la plus dure du monde ».
La route s'élève lentement, la chaleur commence à se
faire torride, les dromadaires cèdent petit à petit
la place…transition lente, très lente tour de roues après
tour de roues.
Dans ma tête, j'espère pouvoir aller jusqu'à l'est
du Tibet et sortir à Kunming en Chine mais dès le début,
c'est également clair que c'est les Dieux qui décideront.
La sortie au Népal reste une possibilité, je garde
toutes les portes ouvertes. Janne Corrax lui-même me dira « this
is real freedom » à propos de ma vision des choses
où la route me guide à mon rythme.
Je suis parti en autonomie de bouffe malgré la fait que je
sais qu'il est possible de se ravitailler mais je ne sais pas pourquoi,
je sens bien qu'il faut que je sois un peu seul et puis cela évite
de devoir s'arrêter dans chaque village et de négocier
sans fin le moindre repas ce qui me fatigue bien plus que de cuisiner
moi-même car je n'arrive pas à lâcher le morceau
facilement. Et puis l'autonomie, c'est la liberté : tu
t'arrêtes quand tu veux, où tu veux, t'as pas à pousser
pour atteindre tel ou tel village, juste les rivières ont
une importance capitale afin de nous fournir le précieux liquide
rarement autant transparent que ce que l'on souhaiterait qui nous
offre le riz et la soupe de nouilles !!
Certaines personnes considèrent que porter un thermos est
un surplus de poids inutile, moi je porte le mien et, jamais au grand
jamais je n'attaquerais un tel parcours sans le précieux service
que ce dernier peut rendre, économie d'essence d'abord puis
surtout ce liquide fumant qu'il offre à la pause n'a pas de
prix…Les mains autour de la tasse et la serrer comme ci c'était
une pierre précieuse, la chaleur du liquide est vite contagieuse
pour le plus grand bonheur du cycliste. Un thermos ça peut être
un luxe…mais j'aime le luxe !!
Le 19 septembre, alors que la pente commence à s'élever
après 4 petits jours de vélo depuis Kashgar (retour
pour frontale oblige), je fais une pause de plus qu'habituellement,
une pause non planifiée mais, après 1 an et 1 jour
de route j'atteins la barre des 20.000 kms non sans repenser que, à mon
premier km, j'étais loin de m'attendre à passer la
barre des 20.000 sachant que je situe Katmandou à environ
15.ooo km de la France ; c'est en tous cas la distance moyenne
Europe-Népal pour plein de cyclistes. Encore une fois je me
dis que je ne suis pas doué pour l'orientation tout en me
disant que je ne suis pas trop mauvais non plus ! Je revois
chacun de mes 20.000 km, les coups durs, les coups du sort et les
coups de cœur …
Une photo pour immortaliser ce moment et je repars car finalement
ce n'est qu'un chiffre qui, s'il ne me laisse pas indifférent,
ne rendra pas le col qui m'attend plus facile. Vite, ces 20.000 kms
sont replacés à leur juste place, derrière moi
et mes roues tournent dans leur juste sens, devant moi !
Ce soir là, je m'arrête planter la tente juste devant
une ruine trop crade pour que je campe à l'intérieur.
Cette ruine a les murs tagués au charbon de bois, un nom retiens
mon attention « yak man » avec une date que
j'ai oubliée : Claude Marthaler, gourou des acharnés
de la pédale est passé par là…Le jour de mes
20.000, c'est mon tour d'y passer alors qu'il est actuellement en
Afrique depuis près d'un an pour un nouveau long trip. Il
est parti le 8 octobre 2005 soit…le jour de mon anniversaire…vous
croyez aux coïncidences ??
Ce soir un chamelier passe par là avec son troupeau afin
que je puisse lui offrir un peu de thé mais il est pressé et
moi je ne recherche pas forcément la compagnie. Au matin,
j'attaque un de ces cols gardiens du plateau tibétain tranquillou
, surtout au-delà de la barre des 4.000 que je franchis pour
la première fois depuis quelques temps mais le col n'est pas
raide et dure en lui-même toujours pareil …patience…. Au sommet,
je laisse un petit mot à l'amigo avec une pince pour gamelle
trouvée à la ruine…la vieille histoire d'être
un peu avec lui. Aura-t-il le mot glissé sous des pierres écrivant
son prénom… ?
A ce premier col, je fais une rencontre, quelqu'un qui va m'accompagner
dans les prochains mois, tantôt ami, tantôt ennemi, tantôt
destructeur de moral tantôt me contant des histoires de routes
et de montagnes lointaines , des histoires sur la folie des hommes
et surtout posant les bases d'une très belle histoire que
je redécouvrirai sous cet effort incessant à me faire
tomber l'armure, tantôt il vous ouvre les lèvres, tantôt
il sèche votre linge, tantôt il masque le soleil par
ses alliés les nuages, tantôt il rend le ciel d'une
clarté troublante, tantôt il mène le sable dans
vos yeux, tantôt il vous fouette avec la neige….tantôt
véritable frein à n'importe quelle tentative de montée
du mercure, tantôt il arrache les larmes, tantôt il les
sèche…
Dans tous les cas, il ne laisse jamais indifférent. Si la
haine et l'amour forment un cercle ouvert se touchant presque en
leur intensité maximale respective, alors il fera la liaison.
L'aime-t-on ? Le hait-on ? N'essayez pas de répondre
et apprenez à l'accepter.
Son nom, c'est « VENT » mais le vent du Tibet
n'a rien à voir avec tout ce que vous pouvez imaginer du vent.
Il est comme partout et nulle part à la fois, il ne souffle
pas toujours très très fort mais comme le cycliste :
régulièrement ! Il a dompté le temps et,
en ce premier col semble sourire au cycliste que je suis : « bienvenue,
je vais te dérouter ». Moi, teigne de la route
je souris aussi, sûr de réussir à garder le cap
mais le vent a le temps, il est plus patient que personne sur cette
terre. « tu m'excuses le vent, je ne te souhaite pas la
bienvenue, j'ai pas encore appris à te connaitre » et
sur le coup, il me glace ; moi et mon corps qui sortons de l'été et
du désert ne sommes pas habitués au froid car le vent
fait d'une température qui serait clémente une température
bien fraiche alors, pour peu que la température de base soit
fraiche, il faut être prêt à avoir froid !
( http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=17764 regardez
ce tableau pour plus d'infos !). Goretex wind stopper ?
vous oubliez tout…il passe partout, vicieux comme pourrait l'être
la pluie.
Les cols s'enchainent les uns après les autres, les nuits
se font de plus en plus hautes et donc de plus en plus froides. Mon
grand souci, c'est l'eau mais c'est en fait bien moins un souci que
je ne pensais. A vrai dire, même, la route est mauvaise mais
rien de terrible, j'ai le temps, l'altitude, je gère, je fais
très attention à super bien m'acclimater. Les erreurs à 3.000
se payent à 5.000 dans les semaines qui suivent, je le sais
par cœur, je ne monte jamais ma tente de plus de 400m par jour. Même
si l'altitude n'est pas très élevée et que ces
précautions sont un luxe, je veux une acclimatation béton
et surtout, je ne veux pas puiser (ou le moins possible) dans mes
réserves : trois mois, c'est long, je le sais, alors
je bois et je mange du mieux que mes sacoches peuvent contenir et
surtout j'écoute la mécanique la plus sophistiquée
de la planète : le corps humain !
Une machine incroyable mais faut savoir l'écouter ;
là c'est les genoux qui couinent ainsi que le dos. Tous les
soirs et tous les matins, massages et étirements pour prendre
soin d'eux… Y'a aussi les fesses qui ont mal digéré les
grosses journées au Kirghizstan ! Certains croient que
le vélo ça fait de belles fesses….je vous promets qu'ils
n'ont jamais étudié la chose comme il faut ! Toutes
les techniques de vieux loup y passent…de la crème solaire
au roulage braguette ouverte afin que le cuissard soit toujours sec
mais plus on monte et plus il fait froid et on arrête vite
de laisser cette porte ouverte à notre ami le vent car on
est pas encore assez intimes !! Faut pas non plus déconner !!!
...la suite va être online dès que possible...
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