8. Aout 2006 - ...................


20 juillet, 17h30, l' heure de la pose snickers, voilà quelques heures que l'on pousse fort sur les pédales, déjà 140 km , un col, les vélos n'ont pas été posés, mais à l'ombre d'un arbre on ouvre un Lonely Planet, le plan de Bichkek. On en a tant rêve de Bichkek nous y voici, nos gueules fatiguées, usées, traquées par le soleil, le vent, les cols, les adkouda, les klaxons, les cheveux droits sur la tête (dernière douche? Ben… on a arrêté de compter en se disant que c'est parce que l'on est transformé en super guerrier, même si dernier reste désespérément brun voire même noir), le tee-shirt et le short eux aussi tiennent droit, les tongs iraniennes à 30 centimes sont sur la fin de leur vie.... A quoi ressemble-t-on? On s'en fou, c'est le cadet de nos soucis qui d'ailleurs ne sont pas énormes. Le snickers a un peu fondu mais il est toujours aussi bon. Toute réflexion commence par un snickers, la pose snickers quand est-ce qu'on l'a établie? On ne sait plus, on sait que c'est bon. Romain lui préfère ses biscuits énergie baptisés quelques semaines plus tôt. Quelques semaines, ça parait rien ; depuis quelques jours quand l'idée de Bichkek c'est faite plus présente, on a pu commencer à retracer le chemin parcouru.

Ca fait plus de 30 jours que je pédale tous les jours. Samarkand et mon dernier mail commun sont si proches sur la carte, si loin dans nos têtes, dans ma tête. Je devrais peut-être arrêter de parler au nom de Romain mais cette route depuis Samarkand on l'a conjuguée à deux et c'est dur de mettre un ""je" quand il n'y a eu que du "nous".

D'ailleurs cette route je la retrace un peu dans ma tête depuis quelques jours, le temps semble m'échapper, la mémoire semble confuse, à vivre de façon un peu « carpe diem » on a du mal à se projeter tant dans l'avenir que dans le passé. Et puis j'ai arrêté d'écrire mes carnets sans trop savoir pourquoi, un jour je n'ai plus eu envie d'écrire ces pages que je sais destinées à personne, alors j'attend juste que l'envie de reprendre un stylo revienne. Reste Internet qui lui me motive toujours; l'emplacement des repos le long de la route devient difficilement dissociable de l'accès à Internet qui permet d'être beaucoup ici et un peu là-bas de temps en temps. Les puristes du voyage pourront peut-être y trouver à redire, mais reste que le net fait l'unanimité parmi les voyageurs, mais je dirai qu'aujourd'hui le net se voit dépasser par le téléphone. Et oui, tout le monde ou presque voyage avec son portable. Mais pas de soucis, vous n'êtes pas près d'avoir un numéro de téléphone pour me joindre, je déteste toujours autant ces machines, qui certes on faillit m'être utile la semaine dernière pour arranger la venue d'un pédalier, mais faute de réseau, de batterie.....ça a merdé et heureusement que le net a rattrapé le coup. Pour moi le téléphone reste de ces instruments qui marchent tout le temps sauf quand on en a vraiment besoin!!! et puis toute cette technologie crée une nouvelle dépendance chez les voyageurs: l électricité! C'est marrant mais l'autonomie de certains ne passe pas la semaine; pas de soucis, moi je peux tenir près de deux mois sans électricité mais après l'appareil photo fait la gueule. On ne s'échappe jamais vraiment très loin finalement.

Pourtant on semble revenir de loin quand on retrouve la civilisation d'une capitale, mais on préfère rire de nos mines de clochard devant une bière. D'ailleurs on rit de tout, même de ces choses qui ne sont pas forcément drôles, mais voyager à deux permet cela, l'humour, et mine de rien ça change pas mal de chose car se faire des blagues tout seul ce n'est pas forcément des plus évident. Alors depuis Samarkand l'ironie, la dérision, la moquerie fine ou non accompagnent nos coups de pédales, nos coups de gueule, nos coups de fatigue et nos gros coups de moins bien, rendant la vie fort belle encore une fois!

Samarkand, on arrête les conneries 5 minutes, on est sérieux : on a décidé de partir aujourd'hui, mais voilà, on s'est un peu trop habitué à glander alors c'est dur. Ouah! le bordel dans la chambre, tout ça rentre dans mes sacoches? Je ne peux pas le croire! Ah ben si, ça marche, ah ! l'organisation du bordel : tout un art!!! Le vélo se recharge, il est tout propre, quel plaisir, même si on s'attend toujours à quelques surprises après les gros nettoyages, là tout semble aller plutôt bien. On quitte Samarkand doucement et retrouve la réalité de la route.

Besoin d'essence mais seulement un demi litre. Les gars veulent me faire payer un litre et le prix fort, ça m'énerve, je lui rend son essence en en reversant bien un peu partout, tant pis pour sa gueule. 100 m plus loin on trouvera une autre station essence, cette fois le gars en renverse autant à côte de la bouteille que dedans et bien sûr c'est pour nous mais quelqu'un arrive, parlant anglais, et lui dit vite "tu rigoles ou quoi ? Toi c'est ta connerie, c'est pour ta gueule". "Welcome to Ouzbékistan", bien voilà qui commence plutôt pas mal, les dieux ont un oeil sur nous, ça tombe bien on va en avoir besoin!!!

Du plat pour réchauffer nos jambes engourdies par une semaine de « glandage » intensif à Samarkand, réveil tard, petit dej long, douche longue, Internet long puis repas long et discussion tard autour d'une bière, tout un métier, tout un programme… épuisant le programme. Heureusement on finit toujours par se reposer sur une selle de vélo!

On ne peut pas passer la frontière du Tadjikistan qui se trouve à 40 km de Samarkand car le visa de Romain ne commence que le lendemain, 38 km pliés ce n'est pas beaucoup, mais c'est bien assez. On s'arrête prendre de l'eau pour la soirée devant une usine de tabac. Le directeur en sort, nous invite pour un café (Nescafé faut pas trop en demander quand même!) et quelques cerises, puis forcément pour la soirée, d'abord chez lui, mais quand il appelle sa femme pour le lui dire, il se prend une chasse du feu de dieu. Nous on rigole, lui ne veut pas perdre la face, "problem?", "niet problem". Les femmes uzbeks savent  tenir leurs hommes et curieusement ces derniers ne s'en vantent pas!!! C'est à mourir de rire car bien sur il rappelle une fois, deux fois, on ne parle pas la langue mais au final il a perdu la négoce, elle lui raccroche au nez, alors il se tourne vers son assistant : " t'a de la place chez toi ce soir?'' ; pour quelques verres de vodka, le gars sauve la mise à son patron! On termine donc chez lui, une table est dressée en quelques minutes, on se gave comme il se doit avec le mari brimé, son assistant et le père de l'assistant qui nous parle fièrement de ses 68 petits enfants, de ses 84 ans et qui se redresse fièrement avec son turban à la vue du moindre objectif! On n'échappe au verre de vodka, et oui, "sports man" oblige, ah ! il a bon dos le sport des fois!

Lendemain frontière ; de ces places où, je sais pas pourquoi, je peux pas m'y sentir bien. Déclaration de ce que tu as, ça ne correspond pas à ce que j'ai déclaré à l'entrée alors je sors la carte bleue, le gars regarde ça dans tous les sens, la plie… « arrête du con tu vas la casser », ils ont horreur qu'on leur parle sans qu'ils comprennent, alors on se fait plaisir. Ce le petit jeu qui va durer tout le Tadjikistan et ce n'est pas toujours des beaux mots que le douanier ou le flic prend dans sa tête sans rien comprendre, juste énervé par le deuxième de nous deux qui rigole derrière! Sur le coup Romain passe derrière, il n'avait pas déclaré ses travellers chèques à l entrée, avait eu des problèmes car ils l'avaient découvert, aurait voulu les déclarer là mais quand il voit que le douanier me réclame le reçu pour le retrait d'argent, il révise vite sa déclaration, ça passe, Arrivés à la douane tadjik, un wagon de train avec un drapeau qui semble déjà fatigué de flotter alors que le Tadjikistan est un jeune pays, l'usure du temps n'est pas forcément proportionnelle au temps lui-même!!!

Remplir des formulaires en russe est presque devenu une routine, on ne sait pas le lire mais on reconnaît les places et de toute façon je me demande si eux savent lire ce que l'on écrit dessus, mais les papiers semblent faire parti de la routine dans l ex URSS ou plus ou moins du maigre héritage!!! Cette frontière en elle-même n'a pas de sens, décidée par Staline, elle n'a ni queue ni tête, les paysans habitent d'un côté, leurs champs sont de l'autre, mais chercher la logique à certains endroits de la terre n'est bon qu'à devenir fou, alors pour se prévenir de la folie on range nos passeports et donnons nos premiers coups de pédales au Tadjikistan qui se dévoile assez vite avec une route où l'asphalte disparaît avec plaisir, pas le notre de plaisir bien sûr. On avait cru à une route facile le long de la rivière, en fait ça monte et descend et la route et un KO. Je décide de le prendre cool et explique à Romain ma théorie du temps en Asie: la meilleure façon d'en gagner c'est de prendre son temps. Alors la moyenne est faible mais il accepte plutôt bien la théorie, qui marche rudement bien au passage, "quand tu es pressé prend ton temps" cette petite phrase m'accompagne depuis l'Iran et j'en fais un principe de vie. Alors les premiers jours on roule doucement, contemplant les magnifiques montagnes qui se dressent au-dessus de nos têtes à plus de 5000 m et apprenant à se faire une raison sur la qualité de la route. Ceux qui ne peuvent pas se la faire ont mieux fait de faire demi-tour tout de suite....

Petit à petit, à force de prendre notre temps, on arrive au premier col, perché à 3300 m , piste terreuse qui zigzague, oui c'est bien là-haut que l'on va, petit plateau et grande patience, tour de pédales après tour de pédales on s'élève, enfin je dis on mais dans les cols c'est un peu chacun sa merde, chacun gère comme il veut, chacun son rythme, on se retrouve au sommet mais c'est quasi impossible de rouler au même rythme. Il s'avère que j'ai 12000 km de plus dans les jambes que Romain ce qui aide pas mal, et puis pour père Romain, c'est son premier col à vélo de toute sa vie, joli commencement, je crois qu'il ne l'oubliera pas.

Moi j'ai des principes à la con, du genre j'attaque un col je le finis sans m'arrêter, alors forcément c'est long surtout à cette altitude, mais ça passe plutôt bien, un pignon de rab sur la cassette, le tee-shirt pas trop mouillé, les jambes un peu durcies mais tout cela s'oublie vite au sommet : un litre de thé, une veste, quelques biscuits, mon pot de miel qui c'est ouvert dans mes sacoches...la routine. Une station météo gardée par un gaillard malade ce jour-là qui m'invite pour une première soupe, suivie d une deuxième quand Romain arrive les yeux plein du col, sans commentaire, il a livré son combat et l'a fait avec classe. Le gardien vit ici à l'année même quand le col est fermé, que la neige passe les 10m d épaisseur, que les vents atteignent 180 km/h et font trembler les murs de sa frêle maison dépourvue de tout. Car le premier constat du Tadjikistan c'est que c'est extrêmement pauvre, les frontières apportent aussi leur injustice, un peu comme celle de la descente que l'on aurait voulu facile mais la route est défoncée et c'est les mains sur les freins, les poignet douloureux, les jantes qui chauffent que l'on arrive au pied du col dans la vallée qui mène en plat descendant sur une belle route vers Samarkand. C'est bizarre cette belle route qui commence comme par hasard devant une belle villa avec piscine et tout le tralala, ah non c'est celle du président offerte par Poutine sûrement en échange des parts dans l'unique richesse que le pays possède: l'hydro-électricité, la route qui y mène se doit d'être bonne, eh oui ! la corruption aussi faisait parti de l'héritage! Enfin pour le coup ça fait bien notre affaire, il suffit de se laisser glisser tranquillement et le lendemain matin après un arrêt à un plan d'eau pour deux plongeons dans une eau verdâtre ma foi bien rafraîchissante, on pédale entre les BMW, les 4x4 Toyota des ONG et les éternelles Mercedes qui peuplent les rues de Douchanbe. Terrible contraste ; "tu as vu une frontière Rom?" "non mais je vais revoir mes dons!!!!"

Douchanbe pas d hôtel pas cher, enfin rien dans notre budget. Le mot pas cher n'a pas vraiment de sens à vrai dire, juste une histoire de conception! Du coup on se pose dans un cyber à la sortie duquel un gars nous lance un des éternels "atkouda" qui peuple nos journées, enfin qui les hantent. C'est le genre de mots que je ne peux plus entendre, lancés comme ça de partout, pas de bonjour, rien, juste "atkouda" et on se casse ; enfin là non, à la réponse "franzous" le gars nous traîne vers une terrasse de bar où traînent les français, enfin l'armée française en mission qu'ils veulent nous faire croire ultra secrète. "Qu'est ce que vous faites là?", " on bosse", "vous n'en saurez pas plus!", "et vous ?" "ben nous on bosse aussi, enfin là on cherche où crécher, vous avez pas une idée?". Après une bière qui nous tourne la tête on se dirige sur leur conseil vers "Bactria", le centre culturel français et international à la fois. Par chance il y a un match de foot sur écran géant et le foot ça attire les expatriés. Moi le foot ça m'endort en général mais là c'est la deuxième bière qui me tue. Heureusement Romain a fait l'impasse me promettant de me ramener à la maison ce soir. Bactria est plein de gens bossant pour les ONG ou alors de voyageurs comme Thibault et Mailoan ( www.sontepbysonteppe.com ) qui voyagent en J5 en Asie Centrale avec un projet photo sympa. ne me demandez pas qui jouait au foot ce soir-là, j'ai oublié!

Au hasard d'une discussion on trouve un appart pour nous héberger cette nuit, après le foot bien sûr, mais ça va le faire, merci Katia! Le lendemain c'est journée visa. Au dire des gens et de la bible des voyageurs le Lonely Planet et son forum, il est impossible d'avoir un visa chinois à Douchanbe sans lettre d'invitation. Alors c'est dans nos petits souliers que l'on se pointe à l'ambassade de Chine. Revenez dans deux jours, "50 dollars, 90 jours de visa" ; 5 minutes au total, on y croit à peine. La réalité c'est que plein de gens colportent, via les forum ou autre, des infos qu'ils ont lues ou entendues, mais personne n'a jamais vérifié. Il paraissait aussi qu'en Asie centrale, 60 jours c'était le max possible, on aura 90, bref de la bombe de bal, ça vaut le coup de sortir le nez des droits chemins parfois : voilà notre premier joli coup de poker.

Romain doit encore avoir le visa kirghiz tandis que moi je dois faire un peu de shopping et arranger le voyage de mes achats vers Murgab. Cela fait avec l'aide de Romain, il est l'heure que je parte, je ne peux pas attendre plus longtemps, je suis préoccupé par mon visa et Romain doit attendre son visa kirghiz 2 jours. Le plan est qu'il me rattrape plus tard en prenant  un camion. Même si  l'entente est parfaite entre nous, on est tous les deux conscients que l'on n'est pas mariés et c'est ce qui rend la relation plus facile. Pour moi les Pamir, avant même de les attaquer, c'est un gros morceau. Ce que l'on trouve sur le net ferait presque peur et je crains de ne pas couvrir la distance à temps et ayant attendu que le visa tadjik de Romain commence g déjà "perdu" trois jours comparé à lui. Alors les sacoches pleines de pâtes, mayo, ketchup, je quitte Douchanbe, la tête vide, prêt à attaquer les Pamir et cette route qui me hante depuis quelques semaines. Premiers coups de pédales.....premier jour, goudron qui se détériore plus on avance, ça monte, je me réjouis me disant que c'est ça de moins pour le col à venir, mais les routes tadjik sont pleines de surprise, je redescend tout ce que j'ai monté dans la soirée tandis que le goudron disparaît ; retour de la poussière avec en bonus les immenses camions chinois qui semblent avoir d'autre soucis que les cyclistes sur le bord de la route. Dès le lendemain je retrouve Lola la caractérielle, trois rayons dans une même journée. Je pense que les rayons mis en Iran étaient trop courts, les routes défoncées du Tadjikistan sont sans appel. Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que ce pays serait un challenge pour le vélo plus que pour l'homme, les routes horribles traumatisent tout; avant d'arriver à Douchanbe mes sacoches avant ont cassé en plusieurs points et le plastique des sacoches arrières se fissure, bref l'usure. Le problème se règle grâce à une vieille chambre à air qui certes n'est pas très esthétique mais maintient les sacoches sur le vélo de bien meilleurs façon que le système d'origine!!! 3 rayons ne suffisent plus à entamer mon moral, je répare, prend mon temps, rageur de ne pouvoir avancer plus mais ce qui mine le plus ce sont ces montées et descentes sans fin qui semblent si injustes. Tu semble toujours monter mais une descente réduit à néant ton travail. Le soir tu plantes toujours la tente à la même altitude mais tu as user les jambes et les jantes (freinage dans les descentes), c'est la vie, au Tadjikistan mieux il vaut penser à autre chose.

Comme à ce camion qui klaxonne, un de plus me dis-je, putain de klaxon l'invention du diable ce machin même si aujourd'hui je me console en me disant que lui au moins je suis sûr qu'il m'a vu. Je regarde le camion, ce tee-shirt orange, cette tête qui dépasse, ce sourire je le connais, « Romain is back! » Le con, il a été rapide, je ne m'attendais pas vraiment à le revoir récupérer le visa puis trouver le camion (gratuit) dans la journée, joli coup! Alors ce soir là on fini la route ensemble sur 5 km le temps qu'il me raconte la pizza qu'il a eu (pas top le Tadjikistan, c'est pas l'Italie!), la fête de la musique à l'alliance française (top), le coup de cul du camion et les derniers potins de la ville!!!

Le lendemain c'est le départ de la team de nouveau, Romain découvre les « up and down » avec un plaisir difficilement dissimulable: p.....de route!! Mais on avance, à croire qu'il me porte chance, le vélo remarche bien! Il faut se rapprocher du deuxième col gardé pas une vallée qui jadis fut gardée par les tanks dont il ne reste que les carcasses, triste image que ces tas de ferraille au milieu de ce paysage grandiose, des gosses qui jouent autour et de nous qui les photographions car contrairement aux gosses ce n'est pas banal pour nous!!!

Sur la route on se surprend à trouver bonne l'eau de telle ou telle source, comme comparer un bon vin, l'eau de Douchanbe est imbuvable ou presque et l'eau c'est la vie ; du coup à chaque remplissage de bouteille la question "elle est bonne ?" fuse, "délicieuse et même claire" quel luxe!!!

Romain découvre aussi avec horreur à quel point les sardines et le thon que l'on a achètés sont " inbouffables", un truc immonde, inimaginable. Je ne suis pas difficile mais là, manger mes boites est un supplice, mais il n'y a que ça! Alors il faut se faire une raison, Romain refuse et se met en quête d'une alternative, début pour lui d'une crise de bouffe, qui me prendra plus tard. Il faut dire que la bouffe au Tadjikistan ce n'est pas ça. Les pâtes ce sont les mêmes que celles que l'on donne aux chiens en France, assez infâmes aussi mais pas chère! Disons qu'un un italien ne pourrait pas les manger! La mayo: « no comment », personne ne pourrait deviner au goût que c'est de la mayo et le ketchup, certes il est rouge, mais c'est son seul point commun avec le vrai ketchup! C'est parti pour un mois de très haute gastronomie! Enfin pour le thon il va vraiment falloir faire quelque chose et plus loin on donnera nos boites, se mettant aux pâtes midi et soir pour moi tandis que Romain commence à mettre du riz et des soupes de nouilles chinoises dans sa diététique.

Le deuxième gros col arrive enfin, quitter la vallée et ses montées et descentes pour s'élever vers une autre vallée de montées et de descentes!!! C'est la vie mais enfin … le col arrive, une boîte de sardines au pied, histoire de se réjouir d'attaquer le col au plus vite afin de n'en manger que la moitié je veux dire!!! Le col est pas trop dur, ça monte tranquillement, pas de goudron certes mais assez facile ; son sommet marque l'entrée dans la région du GBAO, au sommet je gagne ma première bière! A Douchanbe une vague de paris nous a pris Romain et moi, on a joué une bière sur chaque col, plus une bière pour celui qui aura perdu le plus de poids (à Douchanbe je me suis pesé : 72kg comme en partant) et puis une bière sur la tête de mon axe de pédalier qui fait des bruits inquiétants mais qui tiendra jusqu'à Bichkek, le con!

Descente de rêve dans une gorge avec un peu de gaz, route suspendue entre ciel et terre avec nous en train de se faire soigner les poignets à grand coup de bosses, cailloux et autres! Au jeu de la descente Romain est le plus fort, heureusement on n'a pas misé de bière là-dessus! Le Tadjikistan a de si belles routes que les descentes sont à mon avis plus dures que les montées tellement ça secoue et tellement il faut freiner; et pour le vélo pas la peine d'en parler, c'est son calvaire : les jantes brûlent, les rayons claquent sur le rythme des sacoches...... Au pied du col on rencontre un couple d'anglais, la tente déjà montée, ils semblent sortir de l'enfer et d'avoir pris la foudre, les deux assez âgés, le col ils ne l'oublieront pas. Nous on décide de continuer avec une motivation secrète...Kalaykul son poste de police sans aucun sens comme tous les autres check point mais il faut s'y plier. Romain cherche de la nourriture, moi je veux quitter cette ville la nuit tombée, je n'aime pas les flics et je veux monter mon chez moi! Ce qui sera fait un peu plus loin!

Au matin, tient c'est bizarre, l'appel à la prière, on ne l'avait pas encore entendu au Tadjikistan, puis tient des bourcas intégrales type afghan de l'autre côte de la rivière et des kamis pour les hommes, ça doit être des réfugiés afghans! Un coup d oeil sur la carte de Romain (elle est souvent fausse mais comme il dirait : « fait voir la tienne toi? Ah ben moi, je n'en ai pas!) mais là elle ne doit pas se tromper, de l'autre côté de cette rivière c'est l'Afghanistan, merde si proche et si loin à la fois. Cette rivière est tout le symbole du grand jeu qui opposa dans la région russes et anglais, chacun défendant son empire, une rivière, une frontière, un mythe.

Là-bas l'Afghanistan, nos yeux ne le quitte pas, on en rêve, est-ce que ça se fait de rouler en Afghanistan? Pas tout de suite mais ça va se faire, ce pays m'appelle trop depuis trop longtemps. le mariage afghan auquel j ai assisté à Yatz, les afghans d' Esfahan, les odeurs du pays, l'envie d'aller voir ce qui se trame là-bas, le mythe de l'Afghanistan, sa route des hippies, ses secrets, ces hommes, ces guerres..... Et vu d'ici ce petit village qui semble vivre dans un autre espace temps, les épis de bleu tous de la même hauteur, pas de route, pas d'électricité, des maisons bien construites, propres, en fait c'est la sérénité qui se dégage de l'autre côte de la rivière, une sérénité intemporelle, rien de superficiel, on y vit comme on a toujours vécu.

Le côté russes (tadjik) semble gris et terne, pourtant on ne peut pas enlever aux russes tout se qu'ils ont apporté : route goudronnée (parfois), électricité, police, armée....et même deux cyclistes! Enfin ce matin le départ est dur pour Romain, ses sacoches sont déchirées, il a crevé et en réparant il s'aperçoit que son pneu chinois spécial Pamir avec ses gros crans est foutu après........150km!! "Encore un matin, un matin pour rien!", mais ça repart tranquillement avec le même petit espoir que la veille, un rêve? Notre vie n'est elle pas un rêve? Midi, l'heure du thon, on ouvre avec dégoût nos boites de thon, trempe un peu de pain dedans, grimace quel enfer, la bouffe conditionne vraiment la difficulté de tout voyage, si tu bouffes sans plaisir ça nourrit tristement moins bien, la pause devient un truc redouté, bref pas top... mais à la deuxième bouchée ou juste avant celle-ci un coup de klaxon, pas un normal, un qui fait lever la tête, ça  y est notre rêve se réalise les "step by steppe" et leur camion! Mai-Loan et Thibaut nous ont promis des frites s'ils nous doublent, des frites oui! A peine garés ils sortent les patates et l'huile ! On ne peut y croire, être là au milieu du Tadjikistan et avoir cette chance si insolente. Un plat de frites n'a pas de valeur à ce moment là, il faut être cycliste et avoir ouvert la boîte de thon pour le savoir et puis on est dimanche et chez moi le dimanche midi on mange des frites!

La vie est belle! On repart rassasié psychologiquement et ça ce n'est pas rien, traverser une rivière, affronter la poussière et les klaxons....ne nous font plus peur, on roule vers Khorog et son bazar, la bouffe commence à nous hanter, Romain plus que moi qui aspire juste à me débarrasser de mon thon pour des pâtes!

A Douchanbe on nous avait dit que le plus dur c'était d'atteindre Khorog. On y arrive sans rien avoir vu de très difficile, presque déçus, ces ou cette route des Pamir qui semblait si éprouvante? Juste dans les boîtes de thon? Avant Khorog on passe devant un pont, le premier qui traverse cette sacrée rivière frontière entre deux mondes, le deuxième devra nous attendre encore un peu mais tout arrive à qui sait attendre, je suis patient pas de soucis! Khorog se résume pour nous à son bazar, racheter pâtes mayo et ketchup mais surtout pas de thon, non, on double la quantité de pâtes, rajoute un peu plus d'essence dans les sacoches et dorénavant c'est pâtes midi et soir. Romain, lui, cherche des alternatives à ma diététique : il n'en peu plus, ça le déprime ces pâtes! Moi mon  luxe sera quelques snickers! Puis on quitte Khorog aussi vite qu'on y est arrivé, juste un petit cassage de chaîne au passage mais rien de grave; bien sûr on ne passe pas se faire enregistrer à la police comme il le faudrait, si personne ne nous dit rien, nous on trace, il ne faut quand même pas trop nous en demander! Mais on ne part pas sur la grande route, non, on part direction Ichkachim continuant à suivre cette Afghanistan si ordonnée, si belle, si attirante, est-ce juste parce qu'elle est moralement interdite? Juste parce qu'elle fait peur? Peut importe elle attire! Elle semble si belle!

La route continue d'être étonnement belle, bien plus de goudron que prévu! Un matin on retrouve les "step by steppe" qui n'ont pas pu passer par la route du corridor, la route étant trop mauvaise et trop raide et leur ventilo a rendu l âme! Ah! la supériorité du vélo sur l'auto! Ils retournent sur Khorog et vont prendre la grande route! On se reverra on n'en doute pas, merci pour le jus d'abricot !!! Ca redonne des couleurs à une journée qui avait commencé par un pneu à plat, résultat d'avoir fait confiance à une rustine chinoise sur une crevaison de la veille! Le bonheur sur cette route, c'est qu'une fois que tu as compté 5 voitures, tu sais c'est fini pour la journée, il n'y a personne et en général il passe dans les même heures, deux le matin, deux le soir, « that' s fit! » alors ça vaut bien quelques trous! Ce même  matin deux américains en vélo nous rattrapent, on les avait enrhumé sur le ravitaillement à Khorog où ils avaient dormi et pris un jour de break! Mais là on commence la journée en se faisant doubler, les boules, quelqu'un devant moi dans le col du Waghan ça me fait chier, mais je sais que  « quand t'es pressé faut prendre ton temps! » alors on les laisse filer! Et puis ils ont des barbes et des cuisses deux fois comme les nôtres, enfin 10 fois voire plus pour les barbes! Mais c'est pas les plus grandes oreilles qui entendent le mieux, alors à Ichkachim on les repasse entre un enregistrement au poste de police et un achat de pain!, puis ils nous dépassent encore une fois, ils roulent fort, mais on roule plus longtemps! Ils ont commencé la route à Istanbul et s'arrêtent à Kashgar soit dans moins de 1000 km , on peut pas rivaliser avec des gens qui finissent un trip et rêvent d'un magnum glacé à Kashgar! Alors on le prend cool et du coup on gagne du temps!

En avançant la route perd ses derniers morceaux de goudron, et le terrible sable fait son apparition, rien de grave mais il faut pousser de plus en plus souvent car il n'y a pas moyen de rouler dans le sable, les roues s'enfoncent avec plaisir tandis que l'on se résigne très vite à mettre le pied à terre! Heureusement ce n'est jamais long!

Clac! Et merde! Terrible clac auquel je deviens presque habitué, pas drôle un rayon qui casse, il y a vraiment un problème à cette roue arrière ; enfin c'est la vie pas le paradis! Enlever toutes les sacoche puis s'asseoir et manger un snickers! Ben oui ça sert à rien de s'énerver et la meilleure façon de gagner du temps.... les cacahuètes coincées dans les dents, on repart toujours mieux, parole de moi! Et c'est vrai on repartira assez vite poser la tente sur une herbe ma foi bien verte et confortable. Le repas à peine commencé, une dame avec son fils nous apporte du pain et du yaourt ,bon … ma foi mais quand même de ces yaourts que l'on accepte en sachant que ça ne va pas être sans conséquences digestives! Mais le geste était si beau, on ne pouvait pas refuser! Et puis Romain est un fan de yaourt, c'est bon pour sa crise de bouffe!

Le lendemain on passe la vallée du corridor afghan, elle-même partant sur la droite s'engouffrant entre Chine et Pakistan, se terminant par de hautes et belles montagnes, enneigées, attirantes....mais sans regret de ne pas avoir porté mon matos de montagne jusqu' ici! D'ailleurs le regard se détourne vite vers ces quelques lacets qui marquent le début d'un nouveau col de près de 100 km sur la carte. D'après un 4x4 allemand il n'y a pas d'eau sur la route et la route est horrible. Bon on va faire avec, on charge dix litres d'eau sur le vélo et nous nous apprêtons à quitter le dernier village. La première épingle donne le ton, j'avais pourtant passé le 30 sur ma cassette, c'était la première fois, mais je me plante désespérément au milieu de l'épingle, roue arrière qui dérape, roue arrière qui se plante, jambe qui pousse pas assez fort pour garder l'équilibre lui-même remis en cause par une pierre forcément mal placée,  bref il faut pousser, c'est raide, très raide, à la sortie on reprend espoir et remonte sur le vélo mais juste pour 30 m car la loi de la pesanteur est dure mais c'est la loi! Alors on pousse! Parfois on remonte sur le vélo, jamais longtemps. 1, 2, 3, 4, 5 lacets, un petit gosse du village m'aide à pousser pour son plus grand plaisir comme pour le mien! Il y gagnera une poignée de raisins secs dit « les raisins de la colère », toujours dans la sacoche du guidon, ce que l'on ne sort que dans les cols quand ça monte un peu, beaucoup, à la folie! Au début du col on prend le temps d'enlever ou de cracher les queues des raisin, mais quand ça commence à s'élever on a d'autres soucis et les poignées de raisin affluent vers la bouche sans tri préalable. "Je suis sûr qu'il y a de l'énergie dans les queues" dira romain! Ben là c'est juste le début et déjà je tape dedans pour moi et pour le petit qui pousse de toute ses forces et souffle comme un boeuf! Après quelques km je lui dis d'arrêter, je ne voudrai pas qu'il claque là, même si je sais qu'il a la frite bien plus que moi! Ce soir là le compteur révèle, ses durs chiffres : 15 km en une après midi soit près de 4 heures, ça se voit à peine sur la carte qu'on a avancé! Et en plus il y a de l'eau de partout et on a porté 10kg pour rien! Il s avère que les indications des automobilistes n'ont que très peu de valeur pour nous sachant que l'on regarde et voit les choses tellement différemment. Eux ont le souci de l'eau, par contre ils sont capables de vous indiquer tous les points vendant du diesel au Tadjikistan, chacun son carburant! On ne voit que les choses que l'on cherche!

Tranquillou on reprend notre route. Après notre première nuit au-delà de 3000. à midi, entre sable et ornières, les pâtes viennent nous réconforter, enfin me réconforter. Romain a un coup de moins bien, je pense d'abord à l'altitude mais apparemment pas, juste un bon coup de bambou, mais le bonhomme a du moral  et on passera le jour même sous la pluie le col à 4200. Sur la route on s'est fait doubler par deux motos de tchèques dont une nous a offert une superbe gamelle en « live » digne du Paris-Dakar, ah! le sable à vélo ou à moto c'est la merde, sauf que nous on peut pousser!!!

Au pied du col montage rapide des tentes sous la pluie, puis repas dans ma tente car celle de Romain est trop petite et il ne peut pas s'y asseoir ce qui est sacrément emmerdant quand il pleut même si ce soir-là il ne mangera rien, juste quelque biscuits baptisés biscuit énergie ; deux biscuits avec une fine couche de confiture. Le père Rom prend un sacré coup de moins bien, pourtant on n'est plus très loin de Murgab, alors il s'accroche avec un très gros moral. Parfois le voyage est injuste assenant un coup de moins bien là où il n'en fallait pas, bon certes il a un peu poussé le bouchon en achetant du lait à des bergers du sommet du col… La fin de la route est plate, on pourrait s'en réjouir mais voilà il y a ces vaguelettes, des bossellettes creusées par les chauffeurs qui roulent un peu vite, régulières et terriblement usantes pour les nerfs! Moi je les déteste, je préfère rouler dans le sable à côté de la route! Sur la route je maudis les chauffeurs, en dehors je me maudis moi de l'avoir quittée ce qui est bien plus juste! Alors je roule en dehors de la route, Romain lui a posé le cerveau : Murgab, Murgab, Murgab dans sa tête!

Et puis, à force de tourner les jambes je tombe sur un truc merveilleux, là en travers de mes roues, je rêve? Non du goudron, ça y est on est de retour sur la "grande route" à 5 ou 6 voitures par jour ce qui est 2, voire 3 fois plus que ce que l'on avait depuis quelques jours! Et puis sur la route des flèches en pierres et des autocollants « Step by steppe », jeu de piste vers un bidon de 5 litres d'eau, la plus grande des richesses!! Romain n'en peut plus, injuste dysenterie, il parle de s'arrêter au prochain point d'eau et d'attendre quelques jours avant Murgab, mais le goudron et sa facilité lui redonne le moral!

Après avoir recaché le bidon avec la moitié de sa contenance pour les américains derrière nous, on repart pour rencontrer une deuxième surprise : le vent dans le dos! Fortement dans le dos alors forcément ça déroule, on prend de l'eau au prochain village mais on continue notre route avec les incidents de parcours dont on ne manque pas de rire entre nous!

Il faut s'abriter du vent pour manger mais bon, c'est du bon vent! Un col est marqué sur la carte, on ne le verra même pas grâce au vent, quel bonheur quand il est avec nous! 40 km de Murgab, on plante la tente, Romain s'y réfugie sans même manger, à peine montée, déjà peine couché! Moi je ne suis pas malade mais je commence à faire une crise de bouche, les pâtes je ne peux plus les voir en couleur, elles sont devenues vraiment dégueulasses.... Nos discussions tournent beaucoup autour de la bouffe, de pâtes Barilla, d'une bière, de frites que les « Step by steppe » nous ont promises à Murgab, de chocolat, mais plus de pâtes mayo ketchup avec des pâtes qui ne sont en rien des pâtes, de la mayo qui n'est pas de la mayo et du ketchup qui n'est plus du ketchup!

Dernier poste de police pour signaler l'entrée de Murgab, village poussiéreux que l'on aurait aimé plus fourni en bouffe! Et moins en flics! Le temps d'acheter du pain et je laisse Romain, qui a besoin de se reposer tranquille ici, partant pour 40 km de piste hors de la route histoire de rejoindre une source d'eau chaude et surtout de pas rester à Murgab que j'ai détesté dès le début! Mis à part les yeux verts de Zarina, la fille qui s'occupe d'Acted et qui a réceptionné mes achats de Douchanbe, rien a y voir, promis!

Sur la route de Eli Su je rencontre Thibaut et Mai-Loan qui m'apprennent que la France a battu le Brésil. Thibaut, fan de foot, est aux anges, moi je dois avouer que ça ne me fait pas grand-chose, par contre il parait que la source est vraiment chaude et ça, ça motive! Du coup j'appuie un peu sur les pédales, émerge sur un bout d'herbe au milieu de nul part avec quelques yourtes et un bain d'eau chaude dans lequel je passe deux heures sans forcer! Je frotte, frotte, mais il semble que il y a toujours de la crasse qui vienne, alors je remets à demain la grande propreté! Je sors de là complètement sonné, l'eau est à 44 degrés, du coup je me pose, bob sur les oreilles, fait cuire ces éternelles pâtes, un snickers en dessert et je me dis que la vie est exceptionnellement belle et que le bonheur tient vraiment à peu de chose!

Les Pamir, leur rudesse me rendent heureux, cette terrible impression de se lever le matin pour vivre les rêves faits la nuit, dur paradoxe pour quelqu'un qui ne s'est jamais souvenu de ses rêve, ceci explique peut-être cela!!! En tout cas ce soir là je dors bien!

Réveil difficile, mal de tête, fièvre, fatigue et le bide tordu en deux! Et merde c'est mon tour! Ce n'est pas encore trop insoutenable, j'ouvre ma pharmacie pour voir ce que j'ai et m'aperçois que j'ai donne la plupart de mes médoc pour traiter les problèmes de bide. Quel con, je me revois dire : « tiens prend moi je ne suis jamais malade! » Ca m'apprendra à faire le malin!Bon j'i des aspirines, ça soigne tout ça! Ou peut-être c'est juste l'idée de devoir laver mon linge qui me rend malade! Pourtant il faut le faire de même pour le vélo et là pas drôle, je découvre qu'une soudure a lâchée, pas une capitale mais quand même les boules! et puis les dents de mon pédalier n'ont pas aimé le chemin et mes pneus vont défier le temps jusqu'à Bichkek!

Bon trêve de réflexion un bon bain me fera le plus grand bien ; alors c'est reparti pour deux heures de trempette! A la sorti un groupe de kirghizes arrivé le matin m'offre mon deuxième repas du jour! Le premier était arrivé sur pattes en bêlant mais 5 minutes plus tard la pauvre chèvre était sur le feu et une heure après dans nos assiettes! et la vodka dans nos verres. Enfin je refuse avec fermeté, surtout ne pas accepter le premier verre sinon c'est le début de la fin, il faut être fort dès le début! Mission réussie, encore le coup du sport-man! Par contre il me faut manger et vu l'état de mes intestins je doute que ça va aider, enfin c'est bon, il y a même des concombres et des tomates, un grand luxe par ici, c'est frais, c'est bon, on verra les conséquences plus tard!!!!

Il est temps d'entamer la redescente, la famille kirghize a passé l'après-midi à se jeter à la rivière, les femmes contres les hommes, puis à jouer à des jeux d'enfants ce qui n'a pas manqué de me faire sourire alors que je répare le vélo et démonte le camps histoire d'entamer la descente vers Murgab que je ne rejoindrais que le lendemain après un lourd combat avec des moustiques qui piquent au visage et surtout cette terrible sensation de vide dans les jambes. Enfin Murgab, ce soir là, n'est plus qu'à 30 km et c'est mon tour de les trouver longs!

Une distance est toujours relative par rapport à plein de chose : l'envie que l'on a d'arriver, la motivation que l'on a pour y arriver et occasionnellement les jambes que l'on a. Ce matin-là pas de jambes et en fait pas vraiment envie d'aller à Murgab, ville bien trop fliquée et poussiéreuse. On retrouve souvent les même sources de motivation pour arriver dans une ville en général pour les cyclistes c'est la bouffe, une douche chaude et Internet, et Murgab n'a rien de tout cela!

Je retrouve Romain qui semble aller un peu mieux, les antibio font effet et il est prêt à partir tout comme les « Step by steppe » qui eux s'en vont dans une demie heure sans que je puisse leur souhaiter bonne route car à peine arrivé je pars souder mon cadre, enfin, faire souder mon cadre! Le soudeur n'est pas très bon, il fera fondre mes câbles  et gaines de dérailleurs ; du coup je me demande si ça valait le coup. Retour au Acted où Romain a établi son KG pour l'écouter me raconter la soirée frites et le fait qu'ils en avaient trop fait et n'ont pas pu tout finir. Ah ! les cons, je savais que j'étais indispensable!!!!! Puis les américains arrivent, on partage un repas à même le sol, tomates, concombre, pain, snickers, ça fait un peu clochard mais aucun de nous ne s'en inquiète, d'ailleurs on est bien là, assis par terre, loin de l'image de nos pays respectifs dont les locaux ont la tête remplie! La France c'est le pays de raffinement et les français mangent par terre, sur la poussière! Ne cherchez pas à comprendre!! Le repas dure forcément quelques heures car chacun a des choses à dire, des infos a récupérer....

Dans la soirée on voit un fantôme arriver, c'est Rod, amaigri, fatigué, barbu, à bout de souffle et de nerfs, sa seule question sera : " j ai besoin d'une place décente et d'un bon repas, où je peux trouver cela? Il sait définitivement que ce n'est pas là où on reste car nous c'est du pas cher qui nous intéresse, on lui indique la meilleure guest-house mais il ne la trouve pas, alors à la tombée de la nuit, alors qu'il est au bord de la crise de nerfs, je vais avec lui pour lui trouver un lit, un repas et de l'électricité, bref tout se dont il a besoin! Demain est un autre jour Rod, ça ira mieux!

A peine fini c'est déjà l'heure du repas du soir ; j échoue dans le même hôtel que Romain pour un peu plus de 1 dollar! Nuit horrible où je passe plus de temps sur les chiottes que dans le lit! A 5h du mat, dans une de mes courses vers le chiotte, (bien sûr dehors) Romain croit me voir mettre ma sacoche avec mon passeport et croit que je pars! Moi je soutiens que je ne l'ai pas mis lui soutient l'inverse! Bref il me traite de tous les noms, de taré, psychopathe mental, car il croyait que j'allais préparer mon vélo à 5 heures du mat! en réalité j'aurais préféré que ce soit ça!!!

Le matin préparatif pour tout ranger, achat et mise en bouteille plastique, ce qui est la meilleure façon de transporter les choses. Romain a trouve une alternative à la mayo ketchup avec des bocaux de ratatouille faite maison et pas cher, c'est le top! Seul inconvénient ça fermente très vite dans les bouteilles! Pas un gros problème en soit, si ce n'est que l'ouverture des bouteilles devient un sport le soir si on ne veut pas s'en mettre de partout Car la bouteille devient vite une bombe, laisser passer un peu d'air et les bulles se forment, trop d'air et tout pète!  Ce matin-là changement de chambre à air aussi à cause d'une énorme déformation qui en fait ne vient pas de la chambre mais du pneu mais ça je m'en rendrai compte plus tard! Puis on fait une erreur stratégique énorme en décidant de faire comme les autres (Rod, les américains, le couple d'anglais ....) et de se rendre chez les flics pour se faire enregistrer, juste écrire son nom et son prénom, c'est tout paraît-il! En arrivant au poste Rod en sort, il s'est fait « raketé », la registration est payante, trop tard pour Romain qui a déjà donné son passeport, moi j'ai été retardé par mon câble de dérailleur qui a pété et sur les conseils de Romain en arrivant devant le poste je me tire direct en prenant au passage tout l'argent que Romain avait sur lui!

Eloigné du poste il me faut réparer mon câble ce qui n'est pas un gros soucis et réfléchir à ce que je dois faire! Je peux toujours me tirer, j'ai encore mon passeport, ou alors aller au poste avec Romain pour voir de quoi il retourne! En attendant je m'offre un bon repas avec Rod avant de voir Romain revenir! Dans ma tête c'est clair, je ne veux pas payer, ils osent nous réclamer une taxe écologique de un dollar par jour! Déjà la veille ils nous l' avaient réclamée, on avait dit au gars qu'il pouvait se toucher, que voyageant à vélo il n'y avait pas plus écologique et que le jour où ils arrêteraient de jeter leur mégots de cigarette par terre et tous leurs déchets ils pourraient venir nous faire la morale! Le gars était parti penaud mais ils n'abandonnent pas comme ça! Romain a joué le gars sans sous, moi je décide d'aller jouer la même stratégie avec lui, peut-être par peur de partir sans ce papier de registration qui paraît-il est indispensable, aussi un peu par solidarité avec Romain. Alors on décide de jouer au bras de fer mental, on va dans le bureau, un bouquin chacun, et on attend! Dans ces moments là, mystérieusement, on ne comprend pas un mot de russe. J'attaque pour la quatrième fois de ma vie « l' alchimiste », "quand tu veux réellement quelque chose tout l'univers conspire à te l'offrir", je n'ai pas le temps de me plaindre que c'est facile d'écrire des jolis mots que le problème mystérieusement se résoud.... La femme flic (ce sont les pires) téléphone de partout, désarmée par notre insolence, on nous parle d'amende énorme, elle remplit des papier de partout, ne lâche jamais nos passeports de peur qu'on se volatilise! Romain la joue cool, moi je suis malade et fatigué et ils me gonflent. Je m offrirais bien le plaisir de leur dire! Ils peuvent pas croire qu'on a pas d argent, pourtant c'est presque vrai! Nous on est prêt 0 dormir devant la porte s'il le faut car on est décidé a ne pas payer, même si on a un plan de rab avec Rod au cas où! Après quelques heures de lecture, un suisse parlant russe arrive dans le bureau pour s'acquitter sans broncher de ses taxes. Il parle russe couramment et nous explique que l'on peut partir en s'engageant à ne plus refaire cela car quelqu'un un a payé pour nous!!! Nous on ne demande pas de détail, on signe et on se casse. Passage par la guest house de Rod où le couple anglais reste aussi, un peu d'ironie de ma part pour ceux qui ont payé: "time versus money, time always win!!!" et on se casse de cette ville de m....Il est presque 8h, il va bientôt faire nuit, pas grave, tout ce que l'on veut c'est ne pas dormir à Murghab, donc dix km suffiront à satisfaire notre requête, dix km durant lesquels on ne réalise toujours pas se qui s'est passé, peut importe, on a le papier de la registration et on a rien payé!

Matin difficile malgré la victoire de la veille, je suis de plus en plus malade et devant nous 70 km de montée, en plat montant certes, mais de montée quand même, pour atteindre 4600 et le plus haut col de notre séjour au Tadjikistan! En montant sur le vélo je me dis: « je passe se col aujourd'hui » et je met le md car je sais d'avance que ça va être un calvaire, il m'est difficile de manger et je me vide, donc pas top! Quand on est autour d'une bière on peut facilement dire que le vélo c'est majoritairement dans la tête, je serai bien un des premiers à le dire sans me risquer à un pourcentage, mais je sais que ce n'est pas que les jambes qui fond tourner les pédales. Reste qu'en avoir ça aide. Mais ce jour-là il n'y a rien, je rentre dans mon monde, musique sur les oreilles. Plus la journée avance, plus je plonge dans un truc ou personne n'a accès. Ne me demandez pas où est Romain, je ne sais pas, j'avance avec cette idée fixe : passer le col! Je regarde les bornes défiler, serre les dents et tourne les jambes du mieux que je peux avec cette impression que mes patins de freins sont collés à la jante.

 

Mais malgré tout j'aime cette sensation et quelque part c'est bien que je sois malade. Jusque-là j'avais une marge physique assez conséquente, je n'avais jamais poussé vraiment la machine depuis longtemps, je n'avais pas été voir là-bas au fond de moi-même ce qui se trame, les sentiments, les réflexions cachés, enfin que l'on se cache ....moi, ma vie! Là le physique me lâche, je ne pédale qu'au moral, étrange calvaire que bizarrement après coup j'aime bien, il me permet de rentrer dans cet état de transe où tout le corps dit stop et où la tête dit "la sortie c'est là-haut"

12h30, c'est l'heure du repas, le col n'est toujours pas en vue, il y a 20 km de plus que ce que je pensais car j ai oublié de compter un chiffre sur la carte. Poser le vélo sur la béquille et s écrouler sur le bas-côté ; Romain me réveille en arrivant, j'essaye de manger mais l'odeur des pâtes même me répugne, je jette toute ma gamelle! Depuis la France je trimballe une barre énergétique qui ne m'a jamais fait envie, il me semble qu'il est temps de s'en servir! Repartir le ventre vide, la pose a-t-elle servi à quelque chose, je ne sais pas, je sais juste qu'en mâchant quelques carrés de cette barre énergétique les derniers km du col apparaissent, le col en lui-même à vrai dire, quelques lacets très raides sans goudron!

C'est là que le jeu commence, quand j'attaque un col je le termine sans poser pied à terre (si c'est « pédalable » et là, ça l'est), principe à la con que je ne me permet pas d'oublier aujourd'hui, et puis il y a les bières pariées qui motivent, bref tout ce que l'on peut trouver pour nous motiver, là, à plus de 4000m, sur une route où les pneus dérapent avec plaisir, perdent l'adhérence, douloureuse pour les cuisses et le souffle. La route est raide mais je m'accroche, poussant quelques bons cris pour me donner du coeur à l'ouvrage, Noir Dez sur les oreilles, il faut bien ça ; dernière épingle, derniers coups de pédale, sérieusement raide le sommet ; ce moment où les roues se mettent à tourner facilement, découvrant la descente et les sommets du Kirghizstan au loin comme le pic Lénine. Ca y est c'est fait, ça donne bien le droit de s'effondrer 5 minutes là, à l'abri du vent, car bien sûr pour rendre le jeu intéressant le vent a passé la journée avec nous sur le plat montant et dans la montée de face bien sûr, sinon ce n'est pas drôle!

Romain arrive un peu plus tard en poussant, lui ce sont les antibio qui l'affaiblissent, puis il s'est posé au milieu du col, il en avait marre, d'ailleurs c'est sa question en arrivant : "t'en a jamais  marre toi, tu n'as jamais envie de poser le pied, c'est si tentant ?" A vrai dire je n' en sais rien, pour cette montée j' ai complètement posé le cerveau, je ne crois même pas que j'ai réfléchi, je n'avais qu'un truc dans ma tête : le col, le col, le col! Tout le reste semble s'arrêter, tout est mis à profit pour cet objectif décidé au matin. J'ai pédalé au moral, pas le temps de faire un signe de la main à quiconque, d'ailleurs je n'ai vu personne. Quand je rentre dans cette transe il n'y a plus rien autour, j aime assez cette sensation à vrai dire, drogue forte et dure qu'il est de plus en plus difficile d'atteindre quand on a un peu la caisse en vélo mais heureusement l'Asie est pleine de surprises et a plus d'un tour dans son sac!

Descente, dodo au pied du col, demain objectif Karakol! Et au matin, nouveau calvaire qui commence pour ces 60 km vers Karakol, je paye les efforts de la veille qui m'ont quand même valu une autre bière! Ce jour-là c'est encore pire, cette fois c'est Romain qui me tire car moi je m'échouerai bien sur le bord de la route, je suis vraiment au plus mal, la moindre bosse me fait du mal et je dois m'arrêter souvent, Romain m'attend, me tire, me protége du vent, m'encourage, là c'est une grosse différence d'être à deux! Et même lentement on arrive à Karakol, qui comme tout village au Tadjik commence par un poste de police qui bien sûr ne nous demande pas notre enregistrement, tout cela n était que du baratin!

Karakol c'est l'aboutissement pour moi d'un message que je devais délivrer ici de la part d une école en France. A la nouvelle de mon départ de France mon instit de CP m'avait contacté pour que j'envoie une carte par pays à sa classe de CM afin de servir de support à ses cours de géo. Au fur et à mesure des cartes postales puis des « chats » avec la classe, des différents e-mail le rapport est devenu de plus en  plus amical et agréable! Au final les enfants de France et leur maître ont décidé d'aider une école d'un des pays que je traverserai. Moi dans tout ça je suis juste qu'un simple messager à vélo, donc encore plus lent que la poste turque vous n'avez qu'à voir!

Le deal c'était que les enfants collectent de l'argent et que moi je le transforme en matériel pour une autre classe. Sur le projet j'avais pas mal de liberté de choisir comment investir l'argent et où ceci afin de répondre aux problèmes de logistique qui sont les miens! On avait jeté notre dévolu sur le Tadjikistan, puis après sur l'école de Karakol avec l'aide de Christophe le directeur de Acted (ONG) dans le district. Alors les achats que j'avais fait à Douchanbe c'était plein de cahiers, crayons, stylos, gommes.....avec l'aide de Romain dans un petit bazar. Le vendeur que l'on a sélectionné, après une première négociation, a ce jour-là gagné au loto. Quand je lui ai dit que ce n'était pas 1 mais 173 cahiers que je voulais, il s'est mis à transpirer, à compter .....c'est un cadeau du ciel pour lui, près de 200 euros lui sont tombés dessus en 4 heures de négoce, car nous on a fait tomber un peu les prix, c'est normal! Reste que c'est sûrement pas loin de plusieurs mois de recette pour lui! Première réussite de l'opération : le bonheur de ce petit marchand du bazar! Normalement les ONG qui fournissent du matos achètent tout dans leur pays d origine, ainsi Christophe s'interrogeait sur la manière que j' allais employer pour faire parvenir le matos! Pour moi c'était logique, l'acheter sur place! C'est plus simple, moins cher, plus profitable et plus marrant. Mais les ONG ne voient pas les choses pas forcément sous le même angle! On quittera le bazar chargés comme des mulets d'affaires d'école, dur paradoxe pour quelqu'un qui déteste l'école d'aller offrir aux enfants du Tadjik tout cela, mais je sais que l'on peut se permettre de détester l'école en France mais pas ici, encore un luxe à la française dont on est pas toujours conscient!

Les cahies avaient ensuite fait un tour jusqu'à Murgab avec les « Step by steppe », puis à Karakol via un taxi trouvé à l'arrache par Zarina 10 mn avant qu'il parte en ayant accepter de faire la commission gratuitement car il fallait que le max d'argent reste consacré à l'achat du matos et pas à sa livraison! Système D il n'y a que ça de vrai. En arrivant à Karakol le matos est là, quelque part. Le problème c'est que personne ne sait où car le gars qui l'a récupèré et devait nous attendre est parti dans les alpages!!!

Je suis très en colère contre lui, hausse un peu la voix, téléphone à Zarina qui fait de même et, comme par magie, alors que personne ne savait où étaient les cahiers, tout apparaît après une heure de recherche. C'est dommage mais parfois il faut se faire bien entendre ici si l'on ne veut pas attendre deux jours que le gars revienne comme onl me le propose. Cela était impossible pour moi sachant que mon visa était sur la fin! Mais ce petit imprévu a l'avantage de me faire oublier que je suis malade, enfin presque. La colère ça soigne, tient c'est nouveau. Non d'ailleurs je suis pas en colère, juste cet état de ras le bol qui va si bien avec les maladies peu glorieuses de l'Asie. Cette absence de force, cette idée que le monde est trop lourd tout le temps, que tout va doucement, que rien ne va comme on veut, que les chiottes sont toujours trop loin.... l'Asie quoi!

Bon coup de fil à Zarina, puis gros coup de gueule et comme par magie le matos scolaire réapparaît! C'est ça aussi l'Asie, ne cherchez pas à comprendre ce n'est pas possible, trop de gens se sont perdus à essayer d'expliquer l'inexplicable! Comment ce monde marche!

Fatima, une des instit est là pour m'aider à organiser la distribution, ce n'est pas long, en fait une table posée un peu de matos et un coup de téléphone arabe (elle dit à deux enfants d'appeler les autres!). Moi je croyais le village désert, mais d'un coup ça arrive de partout, droite, gauche, derrière, les jeunes, les moins jeunes, les vieillards! Où étaient-ils cachés? On organise un peu la distribution grâce à l'aide d'une fille du village qui par chance parle un peu anglais, enfin suffisamment pour expliquer d'où tout cela vient! Le fait que ce soit d'autres enfants qui offrent ne laisse pas indifférent. D'habitude ce sont des gens sortie d'un Land Cruiser qui viennent offrir en donnant des ordres, là c'est un cycliste crasseux qui amène des cahiers offerts par des enfants de France! les visages restent timides mais sitôt les fournitures dans les mains ils partent en courant examiner leur trésor un peu plus loin! Une heure de distribution, une fois les enfants passés, les parents viennent prendre pour leur enfant dans les alpes, les p'tits vieillards aux yeux humides récupèrent des règles Barbie!

Tout le monde est content moi y compris, je réalise qu'avec 200 dollars les jeunes de France on fait un truc super, ils ont rendu heureux tout un village, un marchand de cahiers, ont soigné un cycliste malade! S'il y a beaucoup de mauvais prof, il y en a aussi de très bons, et sur le coup Monsieur Brun (!!!) et ses élèves ont tout compris à la vie! bravo!

Pour nous reste quand même une étape, celle du yaourt auquel on est convié par l'institutrice en attendant le repas, car on est invité à dormir! Le yaourt pas ça passe bien, la date de péremption n'est pas indiquée mais il est juste amère comme il faut, c'est-à-dire qu'avec  beaucoup de sucre ça descend sans problème!!! Amis j'ai peur des conséquences on verra bien!

On sort ensuite à la guest house du village où Rod est arrivé, un autre cycliste suisse sur la route depuis trois ans y est aussi! Rapide discussion car en fait on devait juste récupérer nos vélos avant d'aller remanger! Rendez-vous est pris pour le lendemain avec Rod qui a besoin de compagnie comme il dit. Norbert lui roule dans l'autre sens!

Repas les pieds sous la table, c'est "delicieuse", pas tadjik frit, certes c'est un peu moins pire mais il y a la viande, un bout de carne immangeable et l'idée que c'est nous qui avons eu les meilleurs morceaux n'arrive pas à me consoler! Eux mangent dans la deuxième pièce de la maison, nous on est un peu les rois, drôle de feeling que je n'aime pas trop. La maison, c'est deux pièces, tout le monde dort dans la même pièce, et ce soir on prend la belle pièce pour manger avant qu'on nous déroule un matelas de couverture de 50 cm sur lequel on s'endort avec un seul soucis : les chiottes sont dehors et loin!!! Mais finalement peut-être qu'on soigne le mal par le mal et le lendemain je me sens pas trop mal, prêt a repartir. Ca tombe bien il y a un col dans pas longtemps on va savoir où on en est! Départ tardif avec Rod content de ne plus être seul. Départ plat, trois de front, il n'y a pas de voiture de toute façon, c'est à se demander pourquoi il y a des routes! Pour nous paradis!

Le pied du col arrive, c'est le dernier col officiel où des bières sont en jeu entre Romain et moi! Je ne sais pas si c'est pour ça mais le père Romain il appuie fort dès le début! Moi ma foi je me sens obliger de m'accrocher, c'est plus fort que moi et comme finalement j'ai des jambes ben je m'en sert pour le plaisir d'entendre Romain souffler un peu et pour le jeu aussi car j'aime jouer c'est tout, car il n' y a pas de réelle compétition, les bières on est chacun conscient de notre côté que c'est un enjeu fictif, mais on ne joue pas pour gagner, on joue pour jouer, mais bon quand même les cols j' ai décrété que c'était mon domaine! Celui-là n'est pas très dur, quelques bosses raides puis ce moment magique où les roues basculent, encore quelques mètres pour être sûr que ce n'est pas une fourberie tadjik mais non, c'est bien le sommet! Grand beau, ciel parfait, devant nous le Kirghizstan, derrière le lac de Karakol que l'on surplombe avec en toile de fond des sommets enneigés, c'est la grande, grande classe je dois avouer! Peu de temps après moi Rom arrive, la tape des sommets de col en souriant! "Je suis parti un peu fort je crois", "je crois aussi tu m'as fait flipper!!", "et Rod?", ben dans les cols c'est chacun son rythme, chacun son monde, on a bien assez de soi-même à s'occuper, Rod monte un peu plus doucement, qu'importe on va pouvoir profiter du soleil! Pas un instant ça nous pose problème, on a le temps puis un jus de cerise pas mauvais, même si très chimique, agrémente l'attente allongés sur le bord de la route les appareils photo en bandoulière car il y a un super cadre. On voit arriver Rod, poussant le vélo dans la partie la plus raide. A la vue des appareils photo il pète un câble, "dont even take a fucking picture of me, i'm fucking serious!", hou la la, trop de voyage tue le voyage, il va falloir se détendre tout de suite sinon ça va pas le faire! Rom comme moi ne comprenons pas ce qui lui a pris et sans s'arrêter il continue!!! On est sur le cul, vraiment car on n'a rien fait de mal, mais bon, que faire à part en rire? On reprend la route, rejoint Rod au prochain check post, il s'est calmé, tout rentre dans l ordre, zéro souci à la fin. La route a été dure pour Rod qui a fait les Pamir tout seul et je crois qu'il aspire à un break bien mérité, comme nous tous d ailleurs! Allez plus qu'un col et c'est fait! Car ne l'oublions pas "la vertu du voyage c'est de purger la vie avant de la guérir", ce n'est pas toujours facile mais c'est ça qui est drôle "i'm not fucking serious no worries!!!"

Plat montant pour approcher cette frontière que l'on ne passera pas aujourd'hui. En plus de l'horrible qualité de la route pleine de ces vaguelettes qui rendent fou dans un plat montant qui ma foi monte avant d'être plat et du sable qui n'arrange rien, bien sur on a le vent de face et un sérieux problème sur le dos: on a plus d'eau! et ma foi ça semble bien sec par là! Là encore chacun roule dans son propre monde intérieur, les cols sont justes mais cette combinaison de mauvaise route et de vent ça use un peu le moral et puis voir sa dernière bouteille se vider ce n'est jamais un truc très marrant!

Un gros yak en métal qui ne bougera jamais de là à moins que le vent ne s'acharne vraiment m'invite à venir m'abriter derrière lui, c'est l'heure de la pose snickers! Rod et Rom à 50m d'intervalle chacun discutent, pas la pose, Romain m'avouera plus tard que ce jour-là il m'a détesté de toute ses forces et maudit "mais quand est-ce qu'il va s arrêter cet enfoiré!!" Après concertation on décide de camper avant la frontière et le col et on trouve une flaque pour remplir nos bouteilles, avec l'aide du vent qui pousse gentiment le précieux liquide dans nos bouteilles, il faut juste faire attention de pas toucher le fond de la flaque pour ne pas récolter la terre! "elle est bonne?" "ma foi elle n'est pas sale et pas pire", "allez a la bouffe!".

Drôle de soirée, chacun un peu dans son coin comme si chacun avait à conclure avec lui-même ce mois au Tadjikistan, enfin un peu moins d'un mois, 25 jours, mais quels 25 jours! Ce fut à la fois dur et beaucoup plus facile que je ne pensais, ce fut beau et parfois ennuyeux, se fut intense et tranquille à la fois....Tadjikistan, pays des extrêmes, des Mercedes de Douchanbe à l'essence vendue en bouteille et coupée à l'eau de Murgab, du vert au complètement sec, de 0 à presque 5000m d'altitude, des billards construits par les chinois aux routes en sable inroulables, de la fraîcheur des lacs avant Douchanbe aux source chaudes du Pamir, des ONG aux cavaliers kirghizes gardant leurs yaks avec fierté perchés sur un cheval qui leur va si bien......de l'hospitalité des gens à la police en passant par le KGB...., de la mega forme à la mega turista.....bref tout pour rendre heureux un cycliste.

Rod ce soir là lit « l'Alchimiste », ça c'est bon pour le moral, moi je dors tôt comme d'hab, tandis que Rom lui cuisine ses patates, le luxe n'ayant pas de limites! Au matin dernier levé comme d'hab. Je dois tenir cette habitude de l'internat! Rod commence le premier, une demi-heure après c'est le tour de Rom puis vient le mien encore une demi-heure après, "soit fainéant tu vivras longtemps", bon par contre une fois debout il faut que je m'active pour être prêt en même temps qu'eux! Pas trop dur vu qu'ils se préparent du riz au lait le matin, odeur alléchante mais contre une heure de sommeil je ne sais pas, enfin ce matin là: pain, miel, thé comme d'hab. C'est toujours mieux que des pâtes!

30mn de vélo et c'est la frontière, pas de soucis ils ne réclament rien, pas de registration ou autre juste, le permis GBAO, quelle foutaise toute leur histoire! Les douanes passées, reste à franchir le col qui marque définitivement l'entrée au Kirghizstan! Ce n'est pas long, juste quelques km de montée, à peine au-dessus de 4000, j'ai retrouvé de bonnes jambes je crois, reste juste un peu de fièvre qui persiste via des maux de tête, mais j'arrive de nouveau à faire la trompette "des copains d'abord" en expiration dans l'ascension du col,  ça c'est bon signe, ça vaut toutes les électrodes du monde pour savoir que tu as la caisse, suivre Bertrand Canta sur "l'homme pressé" ce n'est pas mal non plus, reste que si la seul chose que tu peux chantonner c'est "frère jacques", c'est que tu es fatigué!

J'arrive le premier au col pour prendre la mesure de la chose, tout seul, j'aime bien juste une minute ou deux pour moi au sommet à regarder les montagnes kirghizes qui se dressent devant nous à plus de 7000m et le plateau tadjik qui a disparu sous nos coups de pédales. It' s done! Je repense à cette phrase de Bouvier au sommet, un oeil sur la nature, un oeil sur mes compagnons poussant sur leur pédales: " comme une eau le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs, puis, se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre et qui paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr". Ils arrivent, il faut retomber sur terre...

Le grand mouton de Marco Polo nous attend au sommet, voilà le Tadjikistan est derrière, est-ce un bien, un mal, c'est ainsi, place au Kirghizstan, on change de monde en un col après bien sûr quelques photos au sommet où Romain avait décider de sortir la chemise de soirée pour marquer le coup! Atteindre le douane kirghize aurait été simple si la route n'avait pas été emportée par une rivière. Enfin à vélo ça passe mais cela explique peut-être pourquoi n'y avait pas de voiture depuis quelques temps! Douane kirghize, je ne sais même pas si les douaniers savent qu'ils sont douaniers!Impossible d'avoir un tampon même si on sait qu'il nous en faut un, pas de déclaration d'aucune sorte, un coup d'oeil au visa, une demi-heure le coup d'oeil quand même, et rien d'autre même pas écrit nos noms sur un papier, rien, c'est comme ça!!!

Kirghizstan pays de la verdure, tout n'est que prairie, tout est vert, quel contraste! Reste qu'on est très chaleureusement accueillis par un vent de côte de folie suffisamment fort pour que les camions s'arrêtent de rouler et se garer en travers de la route pour ne pas se faire retourner! Nous on pédale à l'oblique dans cette plaine, le paysage est à couper le souffle mais le vent aussi! Sary Tash première ville kirghize, à 70 km à l'est la frontière chinoise que l'on prendra dans quelques semaines, à 300 Kashgar où les américains doivent déjà être : ils y terminent leur trip, sûrement pas évident. Moi je me dis qu'il faut être con car aller en Chine aujourd'hui ce serait avec un mega vent de dos et je suis sûr qu'à mon retour le vent aura tourné! Reste que Bichkek est dans nos têtes à tous! Romain y attend sa copine (avec des cadeaux pour Esperanza), Rod rentre deux semaines en Suisse voir la sienne, moi ça va être Noël et mon anniversaire en même temps tellement j'ai de choses qui m'attendent là-bas transportée par un autre cycliste suisse qui avait aussi fait l aller retour pour voir sa douce!

Reste que l'on a eu tendance à croire que Kirghizstan et Bichkek c'était pareil! Juste un détail de 800 km après tout! A Sari Tash on achète des fruits, des snickers et du riz (je suis dégoûté des pâtes pour quelques temps je pense!) et du pain délicieux! Rod arrive fatigué, le vent l'a conduit à l'hypoglycémie qui heureusement est facilement soignable ici! Alors on repart pour se manger un deuxième col dans cette belle journée! Au pied de celui-ci un homme bloque la route à Rom, puis il me fait tomber du vélo! Mon sang ne fait qu'un tour, je suis peut-être un peu à bout aussi mais je crois que je me suis énervé, ça ce n'est jamais bon signe, mais il ne faut pas toucher à Lola sinon je peux devenir mauvais! Le gars est juste un ivrogne fini de plus ; je crois que plus je voyage et moins j'aime les gros buveurs car l'alcool rend bête et qu'en plus dans ces pays alcool et volant vont de paire ce qui n'est jamais bon pour les cyclistes! Enfin l'affaire se tasse vite mais c'est bon j'ai l'énergie pour le col, moi qui me sentais un peu fatigué ça m'a remonté. Du coup je monte le col un peu fort pour me passer les nerfs et au sommet je dois changer de tee-shirt ce qui est rare car normalement je ne pousse pas jusqu'à être mouillé!

Et puis il y a mon pneu qui fait une grosse boule, il a passe ses 10000km hier et n'ira pas plus loin. Les copains il ne faut pas qu'on tarde à monter le camp car moi mon pneu va pas tarder à faire « game over », la boule attaque à toucher le cadre! Au Kirghizstan ce n'est pas les places de camping qui manquent alors très vite les tentes sont montées! Rom et Rod partent à une yourte chercher du lait, moi je ne suis pas du tout dans un jour sociable et je préfère faire l'ours, de toute façon je veux pas de lait, "sale gosse"!

Le lendemain ce qu'on croyait avoir été le col n'était en fait qu'une feinte et de bon matin ça remonte! Pas longtemps heureusement et puis c'est bien récompensé par une immense descente que j'ai du mal à apprécier car je sais qu'il faudra la remonter dans quelques semaines et je sais déjà que ce ne sera pas du gâteau! Au pied on trouve un petit resto, super bouffe pour moins de 1 dollar, c'est décidé le Kirghizstan va être le pays du plaisir culinaire, d'ailleurs on en a tous besoin! On instaure resto obligatoire à midi!, plus une nouvelle pause appelée l'apéro, c'est celle juste avant de planter la tente avec ce que l'on a :du pain ou un snickers, juste un gros quart d'heure à ne rien faire! Tous les prétextes bouffe sont bons!

Ca descend pas mal mais je trouve quand même qu'on se traîne, ça me gonfle, un peu j'ai envie de Bichkek, j'ai envie de me poser plus que de Bichkek d'ailleurs! Heureusement les chiens viennent agrémenter notre descente! Romain qui au début me disait « moi j'aime bine les chiens, tu ne peux pas comprendre toi, tu n'en a pas! » Ben aujourd'hui il n'est pas le dernier à dégainer les pierres! Quant à Rod, il a une technique qui doit traumatiser plus d' un chien! Les psy pour chiens vont faire fortune je pense! Dès qu'un chien se dirige vers lui, il tourne et fonce vers lui en hurlant comme un malade mental ; la première fois ça m'a surpris autant que le chien, je croyais qu'il c'était fait mordre mais non! C'est à mourir de rire quand il le fait!

Puis au cours de la descente, on rencontre deux autres rouleurs sur le retour chez eux, un suisse et un anglais, après 3 ans et 1 an respectivement! Des vélos de gens qui ont compris comment ça marche! De ces noms qui résonnent dans nos têtes le soir avant de s'endormir et qui sûrement hantent nos rêves: bottons, braquet XT, moyeux XT, vélo tout entier en XT, sacoche Ortlieb le mythe increvable....bref un vélo de gens qui ont tout compris! Dans ce genre de rencontre les infos fusent: taux de change, big shop, bonne adresse où dormir, manger, extension de visa....qualité de la route là et là, bref tout y passe en une heure. On devrait avoir des problèmes pour étendre notre visa sans tampon, eux ça leur a pris une semaine, par contre on va bien bouffer! Ca c'est la bonne new ; désolé, pour vous les gars ça va être la misère!

Rod a des problèmes avec son moyeu avant, XT pourtant comme quoi... mais ça tiendra jusqu'à Bichkek! Première étape Och, Rom et moi campons dix km avant la ville tandis que Rod s'y rue pour un lit dans une guest house et un bon repas! Nous on commence la journée du lendemain au bazar de Och, des fruits, des légumes de partout, des biscuits, DES SNIKERS POUR 10 centimes, du miel, de la sauce tomate fraîche....le paradis sauf qu'un des relais shopping de Romain est interrompu par un flic. J'entend le père Romain hurler en revenant vers le vélo chercher son passeport pour le montrer à ce petit chef de mes d... qui caché derrière sa casquette se prend pour un héros! "Passeport" me dit-il, "niet", je lui demande : "ti carta" (carte de police), ah, ça, ça les énerve car il y a déjà 10 personnes autour de nous, "passeport" (plus fort), "niet ti carta", le sang lui monte au visage ; ils n'aiment pas qu'on conteste leur autorité, surtout que je ne me suis pas levé encore! Alors il se résigne, met la main à la poche et me montre sa carte, je la regarde attentivement et lui dis en français "qu'est-ce que tu es moche là-dessus", il a compris j'en suis sûr, je lui tend mon passeport, l'ouvre et le referme. D'autres policiers sont arrivés, il comprend qu'il a eu tout faux et s'en va! Les enfants sont contents de voir qu'on peut un peu tenir tête à ce petit chef à la noix, même si eux ne le peuvent pas!

Reprise des courses, ça y est les sacoches devraient aller jusqu'à Bichkek, reste le deuxième besoin des voyageurs: Internet! Une après-midi sur le net, du très bon, du très mauvais, bref Internet.....mais toujours la magie de nous poser là et là-bas à la fois. C'est un peu la goutte d'huile dans la cuillère, le secret du bonheur selon l'Alchimiste, à voir parfois.....

En tout cas il fait quasi nuit quand on sort du cyber, plan galère, quitter la ville de nuit et trouver un plan dodo ma foi pas top mais on n'est pas difficile non plus!Le lendemain on décide un détour vers la frontière uzbek pour quémander un tampon, en vain, je gagne juste un peu de tension car les militaires n étaient pas très coopératifs là non plus! Tant pis ça fera sans on repart rattraper la grande route par une route pourrie mais la récompense d'un goudron parfait sur la grande route nous récompense bien!

En fait cette route ce n'est pas la vraie grande route mais la route qui contourne la grande route, car la grande route passe par l'Ouzbékistan sur 2km ce qui veut dire visa! Grosse aberration à la Staline , une de plus, ne cherchez pas à comprendre! Route plate, gros plateau, ça déroule, Romain a mis le MP3 ; je l'entend chanter, je me demande jusqu'à quelle intensité de pédalage il peut chanter! J'appuie un peu, la réponse ne tarde pas : "et oh ! Tu vas te détendre un peu enfoiré", mais il réaccélère alors pendant 1heure 30 on se met les cuisses en deux, lui derrière moi à essayer de le lâcher, mais sur le plat je n'ai aucune chance! Au moins on avance! Mais bon je ne ferai pas ça tous les jour, c'est juste car je l'avais fait attendre 1 heure pour un saut Internet sur la route et je me sentais coupable de l'avoir fait attendre une heure pour rien, alors je rembourse! En avançant vers Jalalabad on nous parle de guerre et en effet des blocages militaires de partout qui ne nous inquiètent pas, mais on se demande un peu ce qui se passe! En réalité, un groupe extrémiste, qui réclame l'indépendance de la vallée du Fergana qui s étend entre Ouzbekistan et Kirghizstan, se met sérieux sur la gueule avec la police, genre 10 policiers tués dans une guerre de rue, ça on l'apprendra plus tard, mais on passera sans problème pour continuer ces deux jours de plat, plat et encore plat, ça me gonfle le plat! Rod est exactement dans le même timing que nous mais avec son rythme avec lui, on ne fait pas d effort pour rester ensemble car on sait que l'on a des rythmes trop différents, mais on passe nos journées a se croiser, nous étant plus rapides, lui pédalant plus! On se retrouve parfois autour d'une fontaine ou à l'ombre d'un arbre mais aucun des deux cotés ne fait plus d effort que ça car ça va bien à tout le monde!

La route commence à remonter pour atteindre un nouveau Karakol au bord d'un lac, enfin d une retenue d'eau. Là, la route devient vallonnée, le terrain favori de Romain et c'est lui qui mène la danse du soir au matin, moi je me contente de me mettre dans sa roue dans les descente car son vélo roule un peu mieux et sinon je suis largué, lui appuie assez fort en me parlant de "son entraînement", je ne cherche pas vraiment à comprendre! Je suis! Passé le village de Karakol et son bazar ainsi qu'une bonne pose pastèque, on repart. C'est bientôt l'heure du repas, là encore c'est Romain qui gère, c'est son jour comme il dit ; enfin pour trouver les resto c'est souvent lui qui est missionné! Au premier resto il revient en disant que la femme l'avait baratiné et qu'il était sûr qu'il allait y en avoir un autre meilleur après mais qu'elle ne voulait pas lui dire. " T'inquiète, je comprend les femmes, moi!". Ouh la ! Ca me fait peur ça. Alors il passe devant et roule comme un malade pensant trouver un resto bientôt, deuxième rien à bouffer, troisième rien, quatrième rien....Moi je commence à serrer derrière, surtout que ça attaque à monter ; Romain ne se démonte pas et continue d'appuyer, moi je le laisse partir, ce n'est pas un col, ce n'est pas marqué sur la carte en tout cas, et dans tous les cas je suis mort et en hypo! Il est presque 4h quand on trouve un resto et tout cela faute d'avoir compris une femme! Et le resto c'est que des œufs, ne faut pas s'enflammer non plus : six oeufs au plat! Moi quand j'ai faim et que je suis fatigué il ne faut pas me taquiner trop ; un chauffeur arrive alors que le vélo est fraîchement sur la béquille et que j'apprend qu'il n'y a que des œufs, il me lance un atkuda qui une fois de plus me gonfle, alors je lui répond : "premièrement tu me dis bonjour, deuxièmement tu me demandes comment ça va et après tu me demandes d'où je viens", pas trop compliqué à dire en russe, le gars est mouché, s'excuse, fait la procédure et saura que je suis français, mais un peu touché par mes propos il insiste pour nous donner 40 com. soit un dollar, soit un repas! Comme quoi des fois c'est à vraiment ne rien y comprendre!

Rod nous rejoint et ce soir là on campe à trois au bord du lac donc baignade obligée, et ça ce n'est pas désagréable surtout quand c'est suivi d'un apéro snickers et que les plantes sur le bord du rivage sentent bon une odeur pas légale chez nous, celle du canabis mais rien de comestible juste l'odeur!!!!!! Il y en a de partout, d'ailleurs ici, des fois tu t'arrêter pisser un coup, et ah non, ce n'est pas des orties..........!!!!!!

Au matin Rod nous quitte en avance mais on le rattrapera vers 11heures pour l'arrêt bazar et on mangera au même endroit que lui à midi mais de l'autre côté de la route car n'y avait plus rien dans son resto! Avant d'attaquer (enfin) à monter tranquillement certes vers le prochain col. Dans l'après-midi, averse de folie, on s'abrite dans une gargote : j'y mange le meilleur miel de toute ma vie ainsi qu'une un truite fumée pas mauvaise sur l'invitation de deux kirghizes très comiques avec qui on se marre bien pendant une heure avant de repartir, vu que la pluie a cessé, pour trouver un campement ma foi pas trop mal principalement car il est inondé de fraises des bois! Puis le lendemain c'est parti pour le col! Romain me prévient que son entraînement va faire des miracles! Un col en goudron ça n'a vraiment rien à voir avec un col en terre, pas de roue qui dérape, pas de zigzag sur la route pour éviter les pierres et quelle facilité, il y a juste à tourner les jambes et à prendre un rythme! C'est ce que l'on fait tranquillement Romain, dans ma roue comme j'étais dans la sienne au plat! C'est bien, on ne se prend pas la tête 20 ans à savoir qui mène le rythme, celui qui veut passe devant et c'est tout ; mais quand même pour les cols il y a toujours une sorte de petite compétitivité bon enfant dans l'air! Romain veut un col et moi je sais que maintenant je ne peux plus le lâcher au train comme avant sans avoir à forcer vu que les Pamir lui ont donné les mêmes jambes que moi, et oui, il y a des km qui compte plus que d'autres! Je lui fais part de cela et il me dit "tu n'as pas le droit d'arrêter de jouer sous prétexte que je suis plus fort maintenant, si tu t'arrête de jouer, j'arrête de pédaler avec toi, ce n'est plus marrant!" Il a du caractère le bonhomme! Pourtant, à la faveur d'un camion, je tombe deux dents sans qui s'en rende compte grâce au bruit et mène un train qui m'offre le plaisir de l'entendre souffler, je me dis qu'il va claquer, c'est fou comme il souffle! Moi je suis limité par les jambes mais je ne souffle jamais, lui c'est l'inverse! D'ailleurs ça l'énerve que je ne souffle pas mais le pire c'est quand je me mets à lui parler, là il n'aime pas! Alors je le fais avec plaisir, c'est psychologique avant tout un col! Sur le coup je ne m'en sors plus qu'avec une centaine de mètres d'avance mais l'honneur est sauf et le maillot à pois aussi! Ca l'énerve, j'adore! Car en fait il n'y a aucune compèt, c'est juste du taquinage pour alimenter nos discussions sur la route et pour ........ben pour s'amuser car on est des grands gosses et que tout ça, le vélo, le voyage, la vie......ben ce n'est qu'un putain de jeu : " you win, you lose, it' s a game, you have to play". Alors quand on peut le rendre marrant pourquoi s'en priverait-on!

Rom et moi avons ce défaut de ne pas être pas capables de trouver un resto à une heure décente, vous pouvez être sûr que quand on en passe un en disant allez le prochain c'est le notre et ben il n'y a pas de prochain pendant deux heures! C'est encore le cas aujourd'hui après le col et une descente, poursuivis par les chiens et des sacrés molosses où il vaut mieux soit pédaler fort, soit viser juste et également par un orage qui nous collé au train sans jamais nous rattraper vraiment! Après deux trois bons shoots et quelques couinements d'un chien qui a bien reçu le message, Romain (qui au moment de tirer une pierre est toujours pris de pitié et visé à côté) décide de nous trouver à manger, n'importe quoi mais il a faim, du coup il nous fait inviter dans une yourte pour un délicieux repas au sec sans que l'on ai pris une goutte d'eau! La classe, bien vu l'aveugle, en plein dans le mille!

Sur la route de l'après-midi, alors que je commets le sacrilège de jeter un snickers car de l'essence c'est renversée dans ma sacoche de bouffe rendant tout très relevé au niveau du taux d' octane et le snickers imbouffable, une voiture avec un plaque diplomatique s'arrête, c'est le suisse qui nous avait servi de traducteur à Murgab dans le bureau de police! Le monde est petit quand même!

Ce soir-là on campe au pied d'un col qui, vu du pied fait peur, mais est-ce un col? Le débat fait rage entre nous, deux moi disant que vu qu'il y a un tunnel qui coupe deux cents mètres de montée et le vrai col ça n'en n'est pas un, Rom lui di que ça en est un à l entrée du tunnel! Moi je joue mon 100% dans les cols, lui a l'idée de m'en empêcher demain! Col ou pas col ça dépendra de qui arrive deuxième demain! En attendant repas dans la tente car on est cueilli par une autre belle averse, il pleut un peu beaucoup dans ce pays, c'est peut-être pour ça que c'est si vert d'un autre côté! Romain a une tente une place, en plus des sacoches Ortlieb et du groupe XT, il rêve aussi de sa tente deux places qui arrive à Bichkek avec sa copine. En attendant on mange dans le mienne! Les orages ne sont jamais longs mais toujours assez efficaces!

Réveil difficile comme d'hab. C'est de famille, Romain cuisine déjà son riz aux abricots en comptant les lacets qu'il faut gravir, un, deux ........bien assez, on verra! Dès le départ on retrouve Rod qui a campé 200m au-dessus mais qu'on n'a pas vu la veille, il part tard aussi ce matin-là!

La montée s'avère sacrément plus facile que prévu et après une heure 30  de grimpette bien fair-play on est au sommet de ce qui finalement n'est pas un col dixit Romain! Reste le tunnel de 3km pas éclairé, une fliquette veut nous faire mettre les vélos dans le camion, on refuse, par contre on suit le camion de près ce qui nous sauve la mise car vraiment on n'y voyait rien et c'était assez spécial comme tour de roue!

Descente, que ‘est bon, là c'est Romain qui mène la danse car c'est un super descendeur, héritage de ses années de course de moto sûrement ; en tout cas il « avoine », bon certes j'ai bien cru qu'à l'entrée d'un tunnel où le goudron est remplacé par du béton il allait s'en mettre une grosse à 65 km heure, mais non il gère, tout comme il gérera le plat avec vent de face pour nous mener cette fois à l'heure dans un bon resto avec son lot d'ivrognes qui essayent de t'expliquer que la vodka c'est bon pour la santé!!  Bichkek est à quelques 90 km mais on a renoncé à y arriver dans la journée quand on part du resto la peau du ventre bien tendue! Pourtant cet après-midi là, Romain m'a prêté son MP3 tandis que lui écoute mon MD, je tourne à radio Bamba et ça me réussi plutôt pas mal, 30 km pour rejoindre la vallée en une heure et plus que 60 km de plat, sauf qu'après 1 autre heure on en a tombé 25, l'idée née est dans ma tête en premier, ce soir c'est Bichkek. Lors d'une pose pour acheter un snickers de plus j'en fais part à Romain : "pas de problème"! Alors cette après-midi là, on passe l'ennuyeux plat à 25 de moyenne pour arriver après 140 km à la deuxième pose snickers de l'après midi à l'ombre d'un arbre de la capitale kirghize!

Mais rien n'est fait, Bichkek faut la rendre agréable : on ne veut pas que ce soit juste une capitale, on veut que ce soit notre capitale pour quelques jours! A Bichkek il n'y a rien à voir, ça tombe bien on a rien envie de faire et de voir, mais ce soir là notre souci c'est de trouver une place où dormir! En déambulant dans la ville on tombe sur Keni et sa soeur. Keni est un canadien (québécois) célèbre pour porter près de 100kg de bagages sur un vieux vélo chinois et ce depuis 25 ans. "Il y a eu des poses pour bosser" comme il dit, mais toujours est il…! Lui est là depuis deux semaines et nous rencarde pour louer un appart, ça ne peut pas se faire le premier soir donc hôtel miteux, mais dès le lendemain on a notre chez nous! Un truc de ouf : salon, cuisine avec frigo et four, salle de bain avec eau chaude, télé avec chaîne française plus MTV.....bref tout ce qu'il nous fallait!

Très vite on peu ouvrir les sacoches, en mettre de partout et faire un véritable chez soi, car forcément pour moi ça va avec un minimum de bordel! On passe notre vie à voyager avec une maison pliable, des sacoches où tout à une place et une place pour chaque chose et du coup, là, c'est bon de « bordéliser » un peu, tout ça même si j'ai limité mon activité perso a un grand placard tandis que Romain a pris le couloir!

Ce qui est bon aussi c'est la cuisine car le premier soir on a été au resto, ce resto recommandé par Lonely Planet où on mange bien et beaucoup pour pas cher! C'était délicieux certes, mais il y a quoi après l'entrée ? Une cuillère de riz quand tu es habitué à 250 grammes , pas top, et leur dessert "death by chocolate" je crois que je pourrai en manger 10 parts et être toujours bien vivant! Un estomac de cycliste a besoin de beaucoup, beaucoup, beaucoup de bouffe! Alors on va au super marché, on se lâche un peu car des fois il faut arrêter de compter : jus de fruit, céréale, Tobleron, pain au raisin.....puis au pied de l'appart il y a un marché avec tous les légumes et fruits fras, plus un four à pain, donc c'est le bonheur total!

Comme un vieux couple on repartit les rôles : Romain à la bouffe, moi à la lessive, mais on ne se fait pas violence, réveil tardif, petit dej de trois heures minimum, puis Internet, puis manger, puis Internet ou un peu de télé et le soir on est quand même fatigué, c'est pas croyable!! Avoir un chez soi ce n'est pas mal, on peut inviter les potes, Rod passe manger et voir une étape du tour dont il est fan, puis Beat (suisse) et Nico (argentin) suivent pour vider quelques bières et se remplir le ventre de la bonne cuisine de Romain! D'ailleurs ce soir là c'est Byzance, un peu plus que d'hab. pour moi car Beat me ramène plein de cadeaux venus d Europe (il vient de faire un aller retour pour voir sa copine), tout plein de trucs qui vont changer ma vie sans que forcément ça paraisse important : des sandales, des vraies, pas à 30 cm en Iran, des pneus, une réserve d'eau, des lunettes qui protégent du soleil, du scotch US qui colle....., un grand merci à tout le monde à qui je dois tant en France! Si je pousse seul sur les pédales je ne pourrai pas le faire sans l'énorme soutien matériel et humain de plein de gens! Je vais pas m'amuser à les citer, ils se reconnaîtront sans vraiment savoir l'influence du matos sur ma qualité de vie, juste une nouvelle paire de lunettes et c'est le monde qui change! Alors encore merci!

Puis on passe un peu de temps chez Anton, un génie de la mécanique vélo et surtout un passionné de vélo qui nous apprend plein de chose à nous novices du vélo en tant que sport (lui est champion d'Asie centrale de descente), mais nos journées c'est surtout Internet! Il semble qu'après un long bout de route ces poses deviennent de plus en plus vitales pour moi, pour la bouffe et pour le net! Ce mail commun j'ai vraiment lutté pour l'écrire, je m'y suis pris en pleins de fois sans jamais réussir à partir, à commencer, à finir et même aujourd'hui je ne suis pas content! Peut-être parce que les mails perso étaient plus importants a gérer, peut-être parce que MSN me prend beaucoup de temps et toujours avec plaisir! En tout cas Internet c'est vraiment cette goutte d'huile dans la cuillère, regarder le monde tout en conservant cette goutte d'huile dans la cuillère c'est ça le secret du bonheur parait-il! Phrase facile avec plein de sens possibles comme tout le livre de Coello mais il y a pas mal de vrai là-dedans!

Pourtant malgré le fait que ce soit tous les jours dimanche, tous les jours l'enfance , que les steaks frites soient bons et que l'on dorme dans des draps en soie tous les jours, que les rues soient pleines de jolies filles très allumeuses, que la connection Internet marche bien.... le besoin de repartir revient, une carte du Tibet est arrivée, des routes, plein de routes qui m'appellent. Je commence à avoir besoin de partir et après une semaine je quitte Romain après presque deux mois ensemble, de toute façon il n'a pas besoin de moi pour la suite des opérations ici!!!!!!!!! Et puis je suis sûr que l'on se retrouvera! Départ un peu à la hâte lui laissant mon Nutella et une tablette de choc mais quand la route vous appelleque faire, le vent a souffler et tourner, je repars!

Reste à finir ce mail, ce qui est maintenant fait, bâclé certes, comme d'hab. mais.......c'est la vie pas le paradis! Merde pas de titre, ah la terrible épreuve du titre, pas d'idée, aucune idée, je pourrais mettre un « smiley » mais je n'en mets jamais, alors ça va être les .........de quand on ne sais pas quoi dire ou de quand on laisse les autres remplir les blancs! En fait trois petits points ça peut vouloir dire plein de chose, dépend comment on les lit!

bises
seb