Ben, voila je suis en vie et ce simple fait me réjouit car je n ai pas
toujours été sûr de parvenir à Lhassa où je
suis actuellement.
L'histoire est longue semblable à plein d'autres que j'ai déjà vécues,
sauf que cette fois j'ai été trahi par mon propre corps et ça
n'a pas été facile à accepter!...
Avant cela il a fallu accepter les désillusions au sujet du Tibet, pas
facile.
B rave occidental qui voit cette terre comme sacrée et de même pour
son peuple.
E ntre nous, je peux vous dire que si vous voulez voir le Tibet et les tibétains,
il ne faut pas venir au Tibet, allez au Ladakh, au Mustang (Népal) ou
même dans les communautés immigrées en Suisse, mais surtout
pas au Tibet, car, comme je suis un peu trop habitué à le dire
en ce moment, ici la majorité des gens sont des "fucking bastardos",
et je ne suis pas près d accepter l'idée que voyager en Inde c'est
dur après avoir passé un mois au Tibet ou que ton seul droit en
tant que voyageur c'est de baisser ton pantalon. Et le pire c'est que tu payes
pour ça.
Je suis assez aigri comme tous les travellers individuels,
particulièrement
ceux qui viennent comme moi de traverser le Tibet par la route du sud en un "ride" dont
vous pouvez même pas imaginer la complexité entre "check
post" et
attente au milieu de nulle part, sans bouffe ni eau.
Tout commence au départ de Yechen, plutôt pas trop mal: 5 jours
de route pour rejoindre Ali, l'entrée du Tibet, qui est en réalité une
ville totalement chinoise. Le peu de tibétains que l'on y croise se
révèlent
bien souvent l'égal des chinois avec le fameux ''mayo'' qui est officiellement
traduit par « non ou je n'ai pas » mais que je traduirais
moi par le ''va te faire foutre'' français.
Enfin on rencontre quelques travellers pour partager nos galères et
de grandes amitiés sont nées pour moi sur ces hauts plateaux.
Deux jours au bord de la route me permettent avec Simon, un suisse allemand,
d'atteindre Darchen au pied du mont Kailash, la montagne la plus sacrée
du monde.
Les paysages sont absolument époustouflants, d'une beauté inimaginable,
c'est probablement ce que j ai vu de plus beau dans ma vie, là-haut à près
de 5000m, le soleil semble jouer entre les plus hauts sommets de monde et des
lacs d'un bleu magique,
la nature a gardé, contrairement aux hommes, son caractère sacré et
je ne vois pas comment on pourrait lui enlever.
Le Gurla Mandata (7748) et le Nanda Devi dominent la chose de façon
majestueuse.
E t puis le mont Kailash et sa Kora qui purifie le karma, j'en avais besoin.
Mes aspirations de montagne étaient au plus haut et je quitte le lac
sacré Manasarovar direction le Gurla Mandata avec un sac monstrueux
qu'il me faut trimbaler 5 jours sur un haut plateau qui n'en finit pas pour
atteindre le pied de la montagne, ça semblait pourtant si proche...
L e tout bien sur en se cachant, en marchant le plus possible de nuit (fait
froid la nuit au Tibet) et quand le soleil m'accompagne ce n'est pas sans le
vent et la terrible poussière qu' il soulève.
Enfin le moral est haut, plus haut et même les p... de soupe de nouilles
chinoises ne parviennent pas à l'entamer.
Chaque lever ou coucher de soleil a ce caractère sacré inexplicable,
indescriptible et magique. D' ailleurs tout ne semble être que beauté là-haut,
seul même si les bivouacs sont froids je les apprécie toujours.
J e rejoins la route ''normale'' à 5800 et m'aperçois qu il y
a du monde ce qui n'est pas un problème vu que la montagne est immense.
Sur cet immense glacier je me fraye un chemin à l'abri des regards et
hélas pour moi des traces que j'aurais tant apprécié,
mais j ai là tout ce qu'il me faut et je me sens exceptionnellement
bien, trop bien peut être, car à 6800m tout fou le camp: c'est
la kata, méga
douleur dans la poitrine qui apparaît d'un coup sans prévenir,
tout ceux qui connaissent l'altitude l'on compris, c est l'oedème! Je
ne peux l'expliquer encore aujourd'hui. Je ne comprend pas et sur le coup d
ailleurs il ne faut rien comprendre, aucune question à se poser, j'ai
assez de lucidité pour comprendre la merde exceptionnelle dans laquelle
je me trouve:
descendre c'est clair, ça parait facile comme ça à dire
mais je suis déjà haut, le sac est très lourd, trop lourd
et puis en bas il y a le camp de base et l'officier de liaison.
Pour ceux qui ne connaissent pas les officiers de liaison, ils rentrent au
jeu de 7 familles dans la même famille que les douaniers, les flics,
le PSB (Police Security Bureau en Chine, spécialisée dans les étrangers!),
l' URSSAF... bref tout ces gens contre qui on a rien à priori mais qui à chaque
fois qu'on les croisent ça merde on ne sais pas pourquoi.
Il m'est impossible de reprendre la route par laquelle je suis venu car il
faudrait après être redescendu à 5800 remonter à 6400
sur une autre montagne, dans un pierrier raide que j avais eu du mal à passer à la
descente donc no chance à la montée.
C'est donc de nuit comme un voyou que je passe le BC, toujours la poitrine
douloureuse et le souffle court, j ai du mal à y croire j'essaie de
pas y penser car sinon... je me dis que c' est juste un gros point de côté.
Descendre après tant d efforts pour arriver ne serait ce qu'au pied
du sommet me tue.
J e passe le premier BC sans problème, mais il y en a un deuxième
et je dois passer la journée caché derrière un rocher
avant de pouvoir par un autre long détour rejoindre la route.
Là je m autorise le stop car de toute façon je n'ai pas le choix.
Je rejoins Darchen et ses 4800m d altitude, et le soir, même si je dors
dans un lit, je suis très loin d'être serein.
A vrai dire je ne pense même pas à me réveiller, je suis
vraiment dans un drôle d'état: j ai l'impression d'être
complètement soul, j'ai du mal à respirer et des fourmis dans
le visage.
Ca dure deux jours sans que je puisse me lever, juste à me demander
si je vais mourir là comme un con seul de la façon la plus conne
que je puisse imaginer.
D eux jours de réflexion qui aujourd'hui me font sourire mais là-bas
ce n'était pas le cas.
Et puis j'étais vraiment seul dans ma merde ce qui aide en rien.
A- t'on peur de tout ce que l'on veut pas qui nous arrive? Je ne crois pas
avoir peur de la mort mais je ne voulais pas mourir comme ça.
A près deux jours ça va mieux, je peux me lever sans faire de
gros efforts et cela me permet de trouver un camion pour Lhassa.
Et c'est là que le plus dur commence.
Car la route jusqu'à Lhassa a 5 cols au-delà de 5000 et le reste
du temps elle est quasis toujours au dessus de 4500, donc c'est encore loin
d'être
gagné.
Il est impossible de relater toutes les étapes psychologiques par lesquelles
je suis passé, depuis celle où le but est juste de descendre
sans réfléchir jusqu'à toutes les réflexions et
au méga
big bang que tout cela déclenche dans ma tête. Au début
c'est pas juste le voyage qui est remis en cause c'est toute ma vie, puis on
commence à relativiser, à prendre
du recul et du coup à être plus objectif, ce qui permet de garder
le moral. |
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Le voyage se déroule à l'arrière du camion, trente
personnes, dont un japonais, un touriste chinois et Markus et Jennifer
deux suisses allemands qui dieu merci ont pris soin de moi.
Trois jours à rouler, de jour comme de nuit parfois suivant les check
post à traverser (la nuit il fait moins 15, donc avec le vent à l'arrière
du truck c'est assez horrible).
E nfin le sourire de certains des tibétains (les anciens en général
car les jeunes "forget it") nous réconforte, on se nourrit de
tsampa (sorte de farine) et buvons du thé salé jusqu'au comble
du comble...
Un soir, on s'arrête assez tôt, je suis assez surpris d'autant que
le chauffeur (tibétain) se met à prendre soin de nous et nous trouve
un chambre avec un lit (pas à dormir dans le camion dehors) avec du feu
et de l'eau. Le fait est qu' il veut se débarrasser de nous, il ne veut
pas nous emmener plus loin ce "fucking bastardos". Heureusement je
le comprends assez vite, et même si les autres ne veulent pas me croire,
je les oblige à sortir leur sac du camion pour la nuit et on décide
d'être sur nos gardes.
A 3h du mat, tous les tibétains qui dorment dehors commencent à pacter
sans bruit, je me réveille et réveille les autres mais ils sont
rapides les cons, le temps de mettre les chaussures que déjà le
camion est en route, moi je ne peux me permettre d'effort brusque à cause
de mes poumons mais Markus s'empare du premier bâton trouvé, court
après le camion, s'agrippe à la portière et détruit
les rétros avant d'être éjecté.
Il faut imaginer la scène à trois heures du mat au milieu de nul
part, on aurait dit un film américain.
Toujours est-il que le camion est parti et que nous voilà dans une belle
merde, une journée à tenter d'arrêter un camion ou une jeep.
U ne de ces jeeps que les groupes louent, qui ne sont jamais pleines et qui ne
s'arrêtent jamais.
Car il y a pire que les chinois et les tibétains qui cherchent à nous
rouler: il y a les groupes de touristes occidentaux qui nous regardent galérer
en souriant. Ce genre de personnes tue tout le business du voyage et paye sans
compter et forcément quand tu passes derrière c'est pas évident
de faire rivaliser les prix correspondant au valeur de la Chine avec ceux des
valeurs de l'euro voire même bien au dessus.
Toujours est-il qu'aucune jeep ni camion ne s'arrête, on passe la journée
là sans bouffe (quelques biscuits) et sans eau en face de la maison où on
a dormi. Aucun des tibétains n'a daigné venir ne serait ce que
nous parler ou nous aider et si on leur demandait de l aide on avait le droit
au ''mayo'' chinois.
Tibétains friendly and acceuillant: celui qui a écrit ça
n'a jamais été au Pakistan et je me demande même s'il a été au
Tibet! Le soir on parvient à louer une sorte de motoculteur pour arriver
dans un village plus conséquent, passer un nouveau check post de nuit
et enfin trouver un transport décent jusqu'à Shigatse.
Pour moi tout cela se passe avec un oedème et le sac monstrueux à trimbaler,
c'est la fête. Pourtant aujourd'hui on en rigole et je ne suis
même plus en colère, je n'ai jamais eu la force de l'être
d'ailleurs. Je suis à Lhassa à 3500M d altitude,
je suis vivant et comme dirais Renaud c'est tout ce qui m'importe.
Lhassa est une ville chinoise juste plus cher que les autres villes chinoises.
Là je ne pense qu'à une chose, me tirer de la Chine vers le Népal
car sinon je vais devenir un bandit, voire un meurtrier car je ne lâche
rien maintenant et je ne fais confiance à personne ( le chauffeur du motoculteur également
tibétain nous avait également menti et a essayé de nous
livrer au PSB), je négocie chaque centime pour tout et avec tout même
avec les gens qui ne mérite pas de payer pour tous ceux qui nous ont compliqué la
vie.
Et puis y a le fait que j ai toujours ce putain d'oedème et si mes jours
ne sont plus en danger ça change tout a ce que j avais prévu au
Tibet et ça ajoute au fait que je ne peux être bien ici.
Aujourd'hui j ai eu encore une grosse altercation avec celle qui vend les tickets
de bus car je suis blanc, j'aurais du payer le double et d' ailleurs je ne suis
même pas autorisé a prendre le bus je devrais prendre le taxi!...
Les chinois ne veulent pas perdrent la face et moi je ne veux pas la perdre pour
eux et même si je commence toujours par négocier avec un sourire
comme c'est la coutume, ça fini souvent dans se genre de cas par des insultes,
chacun de nous dans notre langue natale car bien entendu on ne se comprend pas.
Enfin le comble c'est que lorsque le chauffeur nous a abandonné c'était
mon anniversaire! M erci à ceux qui y ont pensé et aux autres également
car le temps passe de toute façon tellement vite que ce n est pas toujours
utile de le rappeler! Là il me faut décider de la suite, ce genre
de gros choix qui peuvent changer une vie: soit je rentre pour reprendre "le
droit chemin", soit je pars en Asie du sud-est et dans ce cas j'oublie la
montagne pour probablement quelque mois.
J'attend Katmandou pour décider car l'urgence c'est d aller manger un
steak là-bas, de fumer un joint et de rigoler de tout ce qui nous est
arrivé. Tibet land of dream, tout le monde m'avait dit que je serais déçu
mais à ce point je ne pensais pas.
Bref toujours est-il que je connais bien le terrain maintenant et je compte malgré tout
revenir (je suis teigneux c'est un de mes nombreux défauts), juste il
faut changer l'approche et avoir son propre moyen de transport (vélo)
car le problème majeur c'est que l'on ne peut être libre ici.
Le fait est qu il y a plein de super trucs à faire, ne vous faites pas
de bile, j'étudie la situation et j'ai déjà pas mal d'idées,
car le coup de barre au moral après l'oedème est passé et
très vite, le cerveau se remet à faire de nouveaux plans de voyage,
pas toujours légaux mais j'ai bien noté l'emplacement de tous les
check post...
Affaire à suivre.
Je suis toujours avec Markus et Jennifer ici, tous les travellers sur la route
ont été géniaux et la famille des travellers est ultra soudée
ici, pour les infos et la lutte contre les touristes, c'est une lutte entre ceux
qui ont le temps et ceux qui ont l'argent, j'ai toujours été persuadé que
le temps gagnerait, mais j'avoue que la Chine et le Tibet m'ont fait douter,
mais je continue d'y croire.
Pour aller au Népal ce n'est pas si facile mais je crois que j'ai trouvé un
bon plan pour rejoindre ce qui est comme chez moi: Katmandu. Récupérer
mon permis de conduire, ma carte d'identité qui sont là-bas depuis
deux ans et ainsi boucler la boucle, mais bien sûr pour en commencer une
autre.
Bon je vais m'arrêter là, retourner dans la jungle de Lhassa qui
n'a rien à envier à celle de Delhi ou de Calcutta au niveau des
mendiants.
V ivement le premier sourire népalais.
Bises,
Seb
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