12. Octobre 2004 - Tout fou le camp


Ben, voila je suis en vie et ce simple fait me réjouit car je n ai pas toujours été sûr de parvenir à Lhassa où je suis actuellement.

L'histoire est longue semblable à plein d'autres que j'ai déjà vécues, sauf que cette fois j'ai été trahi par mon propre corps et ça n'a pas été facile à accepter!...

Avant cela il a fallu accepter les désillusions au sujet du Tibet, pas facile. B rave occidental qui voit cette terre comme sacrée et de même pour son peuple. E ntre nous, je peux vous dire que si vous voulez voir le Tibet et les tibétains, il ne faut pas venir au Tibet, allez au Ladakh, au Mustang (Népal) ou même dans les communautés immigrées en Suisse, mais surtout pas au Tibet, car, comme je suis un peu trop habitué à le dire en ce moment, ici la majorité des gens sont des "fucking bastardos", et je ne suis pas près d accepter l'idée que voyager en Inde c'est dur après avoir passé un mois au Tibet ou que ton seul droit en tant que voyageur c'est de baisser ton pantalon. Et le pire c'est que tu payes pour ça.

Je suis assez aigri comme tous les travellers individuels, particulièrement ceux qui viennent comme moi de traverser le Tibet par la route du sud en un "ride" dont vous pouvez même pas imaginer la complexité entre "check post" et attente au milieu de nulle part, sans bouffe ni eau.

Tout commence au départ de Yechen, plutôt pas trop mal: 5 jours de route pour rejoindre Ali, l'entrée du Tibet, qui est en réalité une ville totalement chinoise. Le peu de tibétains que l'on y croise se révèlent bien souvent l'égal des chinois avec le fameux ''mayo'' qui est officiellement traduit par « non ou je n'ai pas » mais que je traduirais moi par le ''va te faire foutre'' français.

Enfin on rencontre quelques travellers pour partager nos galères et de grandes amitiés sont nées pour moi sur ces hauts plateaux. Deux jours au bord de la route me permettent avec Simon, un suisse allemand, d'atteindre Darchen au pied du mont Kailash, la montagne la plus sacrée du monde.

Les paysages sont absolument époustouflants, d'une beauté inimaginable, c'est probablement ce que j ai vu de plus beau dans ma vie, là-haut à près de 5000m, le soleil semble jouer entre les plus hauts sommets de monde et des lacs d'un bleu magique, la nature a gardé, contrairement aux hommes, son caractère sacré et je ne vois pas comment on pourrait lui enlever.

Le Gurla Mandata (7748) et le Nanda Devi dominent la chose de façon majestueuse.
E t puis le mont Kailash et sa Kora qui purifie le karma, j'en avais besoin.

Mes aspirations de montagne étaient au plus haut et je quitte le lac sacré Manasarovar direction le Gurla Mandata avec un sac monstrueux qu'il me faut trimbaler 5 jours sur un haut plateau qui n'en finit pas pour atteindre le pied de la montagne, ça semblait pourtant si proche... L e tout bien sur en se cachant, en marchant le plus possible de nuit (fait froid la nuit au Tibet) et quand le soleil m'accompagne ce n'est pas sans le vent et la terrible poussière qu' il soulève.

Enfin le moral est haut, plus haut et même les p... de soupe de nouilles chinoises ne parviennent pas à l'entamer. Chaque lever ou coucher de soleil a ce caractère sacré inexplicable, indescriptible et magique. D' ailleurs tout ne semble être que beauté là-haut, seul même si les bivouacs sont froids je les apprécie toujours. J e rejoins la route ''normale'' à 5800 et m'aperçois qu il y a du monde ce qui n'est pas un problème vu que la montagne est immense.

Sur cet immense glacier je me fraye un chemin à l'abri des regards et hélas pour moi des traces que j'aurais tant apprécié, mais j ai là tout ce qu'il me faut et je me sens exceptionnellement bien, trop bien peut être, car à 6800m tout fou le camp: c'est la kata, méga douleur dans la poitrine qui apparaît d'un coup sans prévenir, tout ceux qui connaissent l'altitude l'on compris, c est l'oedème! Je ne peux l'expliquer encore aujourd'hui. Je ne comprend pas et sur le coup d ailleurs il ne faut rien comprendre, aucune question à se poser, j'ai assez de lucidité pour comprendre la merde exceptionnelle dans laquelle je me trouve: descendre c'est clair, ça parait facile comme ça à dire mais je suis déjà haut, le sac est très lourd, trop lourd et puis en bas il y a le camp de base et l'officier de liaison.

Pour ceux qui ne connaissent pas les officiers de liaison, ils rentrent au jeu de 7 familles dans la même famille que les douaniers, les flics, le PSB (Police Security Bureau en Chine, spécialisée dans les étrangers!), l' URSSAF... bref tout ces gens contre qui on a rien à priori mais qui à chaque fois qu'on les croisent ça merde on ne sais pas pourquoi.

Il m'est impossible de reprendre la route par laquelle je suis venu car il faudrait après être redescendu à 5800 remonter à 6400 sur une autre montagne, dans un pierrier raide que j avais eu du mal à passer à la descente donc no chance à la montée.

C'est donc de nuit comme un voyou que je passe le BC, toujours la poitrine douloureuse et le souffle court, j ai du mal à y croire j'essaie de pas y penser car sinon... je me dis que c' est juste un gros point de côté. Descendre après tant d efforts pour arriver ne serait ce qu'au pied du sommet me tue.

J e passe le premier BC sans problème, mais il y en a un deuxième et je dois passer la journée caché derrière un rocher avant de pouvoir par un autre long détour rejoindre la route.

Là je m autorise le stop car de toute façon je n'ai pas le choix. Je rejoins Darchen et ses 4800m d altitude, et le soir, même si je dors dans un lit, je suis très loin d'être serein.

A vrai dire je ne pense même pas à me réveiller, je suis vraiment dans un drôle  d'état: j ai l'impression d'être complètement soul, j'ai du mal à respirer et des fourmis dans le visage.

Ca dure deux jours sans que je puisse me lever, juste à me demander si je vais mourir là comme un con seul de la façon la plus conne que je puisse imaginer. D eux jours de réflexion qui aujourd'hui me font sourire mais là-bas ce n'était pas le cas. Et puis j'étais vraiment seul dans ma merde ce qui aide en rien.

A- t'on peur de tout ce que l'on veut pas qui nous arrive? Je ne crois pas avoir peur de la mort mais je ne voulais pas mourir comme ça. A près deux jours ça va mieux, je peux me lever sans faire de gros efforts et cela me permet de trouver un camion pour Lhassa.

Et c'est là que le plus dur commence. Car la route jusqu'à Lhassa a 5 cols au-delà de 5000 et le reste du temps elle est quasis toujours au dessus de 4500, donc c'est encore loin d'être gagné. Il est impossible de relater toutes les étapes psychologiques par lesquelles je suis passé, depuis celle où le but est juste de descendre sans réfléchir jusqu'à toutes les réflexions et au méga big bang que tout cela déclenche dans ma tête. Au début c'est pas juste le voyage qui est remis en cause c'est toute ma vie, puis on commence à relativiser, à prendre du recul et du coup à être plus objectif, ce qui permet de garder le moral.

 


Le voyage se déroule à l'arrière du camion, trente personnes, dont un japonais, un touriste chinois et Markus et Jennifer deux suisses allemands qui dieu merci ont pris soin de moi.

Trois jours à rouler, de jour comme de nuit parfois suivant les check post à traverser (la nuit il fait moins 15, donc avec le vent à l'arrière du truck c'est assez horrible).
E nfin le sourire de certains des tibétains (les anciens en général car les jeunes "forget it") nous réconforte, on se nourrit de tsampa (sorte de farine) et buvons du thé salé jusqu'au comble du comble...

Un soir, on s'arrête assez tôt, je suis assez surpris d'autant que le chauffeur (tibétain) se met à prendre soin de nous et nous trouve un chambre avec un lit (pas à dormir dans le camion dehors) avec du feu et de l'eau. Le fait est qu' il veut se débarrasser de nous, il ne veut pas nous emmener plus loin ce "fucking bastardos". Heureusement je le comprends assez vite, et même si les autres ne veulent pas me croire, je les oblige à sortir leur sac du camion pour la nuit et on décide d'être sur nos gardes.

A 3h du mat, tous les tibétains qui dorment dehors commencent à pacter sans bruit, je me réveille et réveille les autres mais ils sont rapides les cons, le temps de mettre les chaussures que déjà le camion est en route, moi je ne peux me permettre d'effort brusque à cause de mes poumons mais Markus s'empare du premier bâton trouvé, court après le camion, s'agrippe à la portière et détruit les rétros avant d'être éjecté.
Il faut imaginer la scène à trois heures du mat au milieu de nul part, on aurait dit un film américain.

Toujours est-il que le camion est parti et que nous voilà dans une belle merde, une journée à tenter d'arrêter un camion ou une jeep. U ne de ces jeeps que les groupes louent, qui ne sont jamais pleines et qui ne s'arrêtent jamais.

Car il y a pire que les chinois et les tibétains qui cherchent à nous rouler: il y a les groupes de touristes occidentaux qui nous regardent galérer en souriant. Ce genre de personnes tue tout le business du voyage et paye sans compter et forcément quand tu passes derrière c'est pas évident de faire rivaliser les prix correspondant au valeur de la Chine avec ceux des valeurs de l'euro voire même bien au dessus.

Toujours est-il qu'aucune jeep ni camion ne s'arrête, on passe la journée là sans bouffe (quelques biscuits) et sans eau en face de la maison où on a dormi. Aucun des tibétains n'a daigné venir ne serait ce que nous parler ou nous aider et si on leur demandait de l aide on avait le droit au ''mayo'' chinois.

Tibétains friendly and acceuillant: celui qui a écrit ça n'a jamais été au Pakistan et je me demande même s'il a été au Tibet! Le soir on parvient à louer une sorte de motoculteur pour arriver dans un village plus conséquent, passer un nouveau check post de nuit et enfin trouver un transport décent jusqu'à Shigatse.

Pour moi tout cela se passe avec un oedème et le sac monstrueux à trimbaler, c'est la fête. Pourtant aujourd'hui on en rigole et je ne suis même plus en colère, je n'ai jamais eu la force de l'être d'ailleurs. Je suis à Lhassa  à 3500M d altitude, je suis vivant et comme dirais Renaud c'est tout ce qui m'importe.

Lhassa est une ville chinoise juste plus cher que les autres villes chinoises. Là je ne pense qu'à une chose, me tirer de la Chine vers le Népal car sinon je vais devenir un bandit, voire un meurtrier car je ne lâche rien maintenant et je ne fais confiance à personne ( le chauffeur du motoculteur également tibétain nous avait également menti et a essayé de nous livrer au PSB), je négocie chaque centime pour tout et avec tout même avec les gens qui ne mérite pas de payer pour tous ceux qui nous ont compliqué la vie.

Et puis y a le fait que j ai toujours ce putain d'oedème et si mes jours ne sont plus en danger ça change tout a ce que j avais prévu au Tibet et ça ajoute au fait que je ne peux être bien ici.

Aujourd'hui j ai eu encore une grosse altercation avec celle qui vend les tickets de bus car je suis blanc, j'aurais du payer le double et d' ailleurs je ne suis même pas autorisé a prendre le bus je devrais prendre le taxi!... Les chinois ne veulent pas perdrent la face et moi je ne veux pas la perdre pour eux et même si je commence toujours par négocier avec un sourire comme c'est la coutume, ça fini souvent dans se genre de cas par des insultes, chacun de nous dans notre langue natale car bien entendu on ne se comprend pas.

Enfin le comble c'est que lorsque le chauffeur nous a abandonné c'était mon anniversaire! M erci à ceux qui y ont pensé et aux autres également car le temps passe de toute façon tellement vite que ce n est pas toujours utile de le rappeler! Là il me faut décider de la suite, ce genre de gros choix qui peuvent changer une vie: soit je rentre pour reprendre "le droit chemin", soit je pars en Asie du sud-est et dans ce cas j'oublie la montagne pour probablement quelque mois.

J'attend Katmandou pour décider car l'urgence c'est d aller manger un steak là-bas, de fumer un joint et de rigoler de tout ce qui nous est arrivé. Tibet land of dream, tout le monde m'avait dit que je serais déçu mais à ce point je ne pensais pas.

Bref toujours est-il que je connais bien le terrain maintenant et je compte malgré tout revenir (je suis teigneux c'est un de mes nombreux défauts), juste il faut changer l'approche et avoir son propre moyen de transport (vélo) car le problème majeur c'est que l'on ne peut être libre ici.

Le fait est qu il y a plein de super trucs à faire, ne vous faites pas de bile, j'étudie la situation et j'ai déjà pas mal d'idées, car le coup de barre au moral après l'oedème est passé et très vite, le cerveau se remet à faire de nouveaux plans de voyage, pas toujours légaux mais j'ai bien noté l'emplacement de tous les check post...
Affaire à suivre.

Je suis toujours avec Markus et Jennifer ici, tous les travellers sur la route ont été géniaux et la famille des travellers est ultra soudée ici, pour les infos et la lutte contre les touristes, c'est une lutte entre ceux qui ont le temps et ceux qui ont l'argent, j'ai toujours été persuadé que le temps gagnerait, mais j'avoue que la Chine et le Tibet m'ont fait douter, mais je continue d'y croire.

Pour aller au Népal ce n'est pas si facile mais je crois que j'ai trouvé un bon plan pour rejoindre ce qui est comme chez moi: Katmandu. Récupérer mon permis de conduire, ma carte d'identité qui sont là-bas depuis deux ans et ainsi boucler la boucle, mais bien sûr pour en commencer une autre.

Bon je vais m'arrêter là, retourner dans la jungle de Lhassa qui n'a rien à envier à celle de Delhi ou de Calcutta au niveau des mendiants.
V ivement le premier sourire népalais.

Bises, Seb