2. Séptembre 2003 - Coup dur, coup de maître


Bon je rentre juste à Huaraz, je suis dans l'état de quelqu'un qui vient de passer 13 jours en haute montagne. Ceux qui connaissent jugeront; les autres imagineront.

Je suis parti avec un allemand de Huaraz. Il voulait mettre les crampons et je lui avais promis à La Paz que je l'amènerais.

Direction Cachapampa dernier village, première nuit sous tente, ça me fait drôle d'être deux : c'est la première fois depuis énormément longtemps que je pars en montagne autrement que seul.

Le lendemain on s'envoie les 8h de marche jusqu'au camp de base du santa cruz (6250m). J'ai un sac assez énorme et je galère tandis que Philippe n'a rien à porter et trotte, mais je m'affole pas car je sais ce qui va se passer après 5000m...

Le lendemain départ pour le HC, la barre des 5000m fais verdir mon coéquipier qui sais plus trop ou il met les pieds et tom be dans une crevasse pour avoir posé le pied entre mes traces, heureusement j'assurais.

Il commence à se dire que la montagne c'est un truc de malade et quand je lui montre le couloir pour C1 il refuse et réclame un couloir à gauche qui lui semble plus facile et accessible en 30mn. J'ai beau lui dire qu'il nous faudra 2h pour atteindre le sommet, il veut rien entendre.

Du coup on y va on mettra 2h30 à brasser dans de la neige de merde et a faire du mixte pourri pour sortir sur une arrête inbivouacable. Du coup on redescend et je plante la tente à 5300m à 22h! Il reste plus grand chose de mon coéquipier qui se demande comment l'on peut regarder la mort de si proche sans fuir.

Il est liquide, la descente a été l'enfer de sa vie, je crois qu'il  a compris que la montagne c'est autre chose que le trek qu'il pratique a fond. Le lendemain il redescend, vaccine, mais content.

Moi, je retrouve ma solitude pour monter a C1 un couloir vraiment merdique où la neige repose sur les rochers, tout glisse, quelques étincelles, quelques frayeurs mais bon j'arrive en haut et reprends vite mes réflexes de soliste.

A 1h du mat', départ pour le sommet, couloir a 70 degrés en neige pour sortir a 5800m sur l'arrête qui est impraticable neige sans consistance et jusqu'à la taille.

Je redescends et traverse pour rejoindre une voie équatorienne en TD qui me permettra de rejoindre l'arrête à 6000m mais je n'irais guère plus haut: après 10h d'efforts dont pas mal à essayer de progresser sur une arrête de fou, de la neige à la taille, tout menace de partir 2000m plus bas.

Je me dis que continuer c'est manquer de respect à l'élément. Ca peut passer comme non, c'est la roulette russe, du coup je redescends, un premier demi tour avant un soupçon d'orgueil puis un second demi tour définitif.

J'ai les putains de boules, je me demande si je me suis chié dessus ou si c'était les conditions qui l'exigeaient, j'ai normalement pas peur mais là, je n'avais pas assez mon destin entre les mains et objectivement je pense qu'il fallait redescendre.

J'apprendrais plus tard que seulement trois personnes ont atteint le sommet cette année et par une directe seule solution pour éviter l'arrête.

Je redescends le même jour au BC, gros cafard, je veux plus de montagne, plus de solitude, plus de froid, plus de soif ni de faim, la montagne ne veut plus de moi, je ne veux plus d'elle non plus...

Le lendemain, redescente pour Cachapampa. Au départ, je pense rentrer à Huaraz et faire je sais pas quoi et plus je redescend plus le goût revient. Arrivé à Cacahpampa, je tom be dans une fête de famille, je mange et bois comme un porc et puis je dois danser...

Les débuts sont difficiles mais après quelques bières et autres alcool maison agrémentés de côte de bœuf monstrueuse, tout va mieux. Néanmoins, à 3h du mat je ressens un peu la fatigue beaucoup même et regagne ma tente.

Le lendemain j'ai retrouvé un moral du feu de dieu, un autre repas avec la famille et une après midi à parler de tout et de rien et c'est décidé, je repars le lendemain. Direction le camp de base de l'Alpamayo qui est réputé impraticable cette année: pas de sommet depuis 1 mois et 8 morts deux mois avant. Mais bon c'est un mythe...

Le sac est affreusement lourd et il me faut deux jours pour rejoindre le BC à croiser les gens qui redescendent, se plaignant du temps et du froid.

De BC, je monte à C1 dans la neige et le brouillard mais mes temps de marche s'améliorent comme toujours après 5000m, avant cette barre je suis toujours lent faute au sac (les autres ont des mules) et à un rythme de marche bien défini, le même de 3000 à 6000.

J' atteint C1 2h plus vite que ce que l'on m'avait prévu. Je suis à 5300m, il neige et vante tout le monde redescend, moi, une fois la tente montée, je me sens chez moi.

Je suis au pied d'une montagne qui a été qualifiée comme la plus belle du monde (me demandez pas comment ils on pu faire un tel jugement tant ça parait impossible de juger ce genre de chose) et je ne vois pas à deux mètres.

A 1h du mat', je sors un oeil de la tente, vois une étoile et décide de partir pour le Quitaraju (6040m) car je le sais en bonne condition pas comme l'alpamayo que j'aimerais voir avant de l'attaquer surtout vue la réputation qu'il s'est taillé en deux mois.

Il me faudra 4h pour atteindre le sommet du Quitaraju, longue traverse glacière puis 700m de couloir à 60 degrés. Super conditions, tout va bien, j'arrive en haut pour le lever du soleil à 6h, c'est plus que grandiose sachant que 1h plus tard ce sera de nouveau neige et brouillard.

 


Discussion avec les grands du Perou: Huascaran, Huandoys, Chacraraju, Artesonraju, Santacruz... et Alpamayo que je découvre enfin au sommet.

6h pour redescendre. Un peu long mais la patience est l'arme la plus utile pour redescendre. Retour à C1 que j'ai pour moi tout seul, être seul au pied de l'Alpamayo ça n'a pas dû arriver à beaucoup de monde depuis longtemps, dommage que ce soit dans la tempête.

Mise en place d'un programme récup' à  base d'infusions de coca, de chocolat et de sommeil. A 1h30 du mat', nouveau départ pour la montagne la plus célèbre du Pérou, qui se dresse devant moi comme un monstre.

La voie normale (ferrari) est impraticable. Du coup j'opte pour la directe française, la seule voie qui sort au vrai sommet car les autres sortent sur une arrête impraticable.

Je fais la trace jusqu'à la base de la face, ça non plus ça n'a pas dû arriver à beaucoup de monde depuis longtemps.

Enfin la trace c'est jamais un truc dont on se réjouit .

J'arrive au pied du monstre, il me faut une heure pour trouver un passage dans l'immense crevasse qui garde la face, un pont crée par une avalanche, 3m de verticale et 2 de surplomb me permettent de me hisser dans la face.

Là commence 100m à 60 degrés à brasser jusqu'à mi cuisse: c'est la fête puis j'arrive à un mur de glace de 25m (20 à 85 et de 3 à 5m au delà de la verticale).

Je lutte pendant trois heures trente pour trouver un putain de passage. A chaque fois je bloque sur la fin qui n'a pas d'encrage sûr à cause d'une glace de merde je me fume les bras en tentant des dizaines de passage.

Pas moyen, je vais pour redescendre insultant les dieux, mais étant passé près de la correctionnelle à plusieurs reprises je trouve ça sage.

Un dernier coup d'oeil me permet de voir 1m de corde plus à droite (le jour s'est levé). C'est reparti pour une longue traversée pour arriver à cet endroit où je passe sans problème pour déboucher sur les 300 derniers mètres.

150 de glace à 70 75 mais bonne qualité puis 150m plus raide avec la glace posée sur la roche il faut se faire tendre et poser les lames avec douceur histoire de pas tout faire partir.

Derniers mètres plus que verticaux mais c'est les derniers mètres, bien au fond des dragonnes (fatigue oblige) avec un pieux posé car je suis loin d'être sûr de mon coup, je sors ça à l'arrache totale, pour me dresser à 5947m au sommet de l'Alpamayo, par la directe française en solo.

Je lève les piolets et prend une grosse décharge de bonheur, c'est trop bea,u c'est sans aucun doute la course de ma vie.

Le sommet, c'est un peu comme highlander après avoir décapité son adversaire.

Je suis foudroyé par quelque chose de divin, en plus je sais que ça va pas durer, il va falloir re tom ber les pieds sur terre et penser à redescendre.

J'en profite à max, je sais que le BC me voit de même que les cordées qui montent ( il fait beau) puis je reviens sur terre et redescends je possède 30m de corde en 6mm!!!!

Du coup beaucoup beaucoup de patience pour trouver où faire les points de rappel, le but du jeu est d'arriver en bas, peu importe quand.

Je pose 5 pieux en tout et 2 broches que j'avais trouvés en montant (échappés d'un bodard?) plus pas mal de lunulle et de points à l'arrache.

17h30: j'arrive à C1, 16h après l'avoir quitté en allant manger 2 power barre périmées offertes par une expé qui descendait la veille et bu 700ml d'eau... C'est ça la diététique sportive!

A C1 deux français, 1suisse et 1 basque, leur 3 porteurs et leur 2 guides m'accueillent avec un thé et des bravos.

C'est bon pour l'ego et ça fait oublier la fatigue, les mains gelées et gonflées (je me souviens d'une photo des mains de Destivelle après les dru en hivernale et je comprenais pas comment ça pouvait arriver. Maintenant je sais.)

En plus dans la descente, un bout de glace est venu éclater mes lunettes, le soir je ne sens rien mais dans la nuit j'ai l'impression d'avoir les globes oculaires dans des étaux et au matin j'ai grand peine à ouvrir les yeux.

Je répares les lunettes avec de la couverture de survie et entreprend ma descente qui durera 3j pour atteindre Cacahpampa puis Huaraz.

J'ai toujours mal au yeux surtout devant l'écran: heureusement que je regarde que le clavier (désolé pour les fautes).

De retour ici je suis pas peu content de moi, ma seule question est de savoir si le coup de maître est d'avoir fait demi tour au Santa Cruz ou d'avoir sorti l'Alpamayo?

Je n'aurais jamais la réponse mais le rendez vous est pris avec le Santa Cruz pour une prochaine année car je l'entends rigoler d'ici et ça me plait pas...

Bises à tous

Seb