13. Juillet 2003, Fracasse


Comme d'hab, j'ai un peu poussé la mécanique et les dieux et les éléments ne m'ont pas aidés. Je reviens de 15 jours de galériens qui m'ont psychologiquement poussés à bout.

J'ai sorti trois sommets: l'Aucohuma à 6450m par l'arrête et l'Illampu à 6360m (première de l'année) par l'arrête ouest et le Pico Schulse 5943m par l'arrête ouest qui ne figure sur aucun topo qui était un putain de mixte pour sortir également pour la première fois de la saison. Ca c'est ce qui a été facile.

Les galères c'est que je me suis perdu trois fois. Deux fois en cherchant le hight camp de l'Illampu (dont une journée de merde sur un glacier à chercher un passage entre les séracs et les crevasses...) et une fois en descendant du BC de l'Ancohuma où l'on venait de me dérober ma tente et ma bouffe donc deux jours perdus entre les barres et à faire du cayonning sans manger pour redescendre a la vallée récupérer de la bouffe avant de se retaper les 3000m de dénivelé pour le high camp de l'Illampu. A force ça a fait long.

Puis la redescente un problème à un pied qui m'a obligé de faire une opération chirurgicale à 5600m car je ne pouvais plus poser le pied, j'ai ouvert sur 3 cm de long au couteau histoire de nettoyer l'infection. Ca a été un peu mieux après mais maintenant je me demande si je vais pas devoir faire de la couture car ça a du mal à se refermer. J'ai pensé à faire des photos de l'opération pour pas qu'on me traite de mito.

Du coup, à la descente (3000m) j'ai fait trinquer le genoux droit et maintenant j'ai un oeuf à la base du genou du coup je boite mais ça va j'ai réussi à rejoindre la Paz et j'espère vite me refaire une santé car le pb dans ce que je fais c'est que plus on en fait plus on en veut.

Surtout qu'en redescendant j'ai rencontré 6 français avec leur 6 mules. Ils pensaient faire la trace sur l'Illampu; dommage. J'ai raconté ce que j'avais fait sans vouloir faire le mariol mais le résultat était là et ils étaient impressionnés. Puis quand je leur ais montré mon pied, la fille du groupe a failli me vomir dessus et est partie sans dire au revoir.

Pour eux c'était impensable de monter au BC sans mule ni porteur et je suis content de les avoir remis un peu à leur place car les "alpinistes" north face millet GPS autour du cou mule et porteurs qui te cirent les pompes entre chaque pas c'est dur à supporter après 15j de solo, de galère et de marche avec trente kilos sur le dos de nuit sans tente, surtout qu'au début de la conversation ils ont voulu m'expliquer la voie que je venais de faire.

Arrivé à Sorata, tout le monde détourne le regard sur le passage du boiteux que je suis. J'ai couru pour attraper le bus de 3h mais il est plein, il faudra attendre le lendemain. Les touristes assis aux terrasses me demandent d'où je viens, je leur dis, la conversation est close ils ont compris. Ceux qui veulent aller en montagne me demandent les infos du coup je passe 1 h assis sur un trottoir à manger des bananes et du pain pour expliquer en anglais, espagnol ou français les conditions des géants.

 


Puis je croise un miroir et je comprend pourquoi on me regarde avec de drôle d'yeux: j'ai la gueule toute cramée et noire, les cheveux en bataille et pas lavé de 15 jours parlent à ma place. Malgré tout la reconnaissance des différents groupes m'ont redonnés le moral que le matin au dernier camp duvet givré et foulard gelé sur la bouche  je n'avais plus. Du coup je me paye une crêpe et dans le bar il y a "a climbing guide in bolivia" je feuillette et déjà fais des plans sur la comète puis je me lève et me rappelle que je peux a peine marcher. Il va falloir attendre un peu mais bon.

De toutes façons, il faudra que je revienne en Bolivie car il y a des milliers de voies à faire et à ouvrir et si pour l'instant je n'ose pas trop me jeter dedans, j'espère un jour pouvoir le faire. C'est un pays de fou pour la montagne même si l'on se fait tirer le matos au BC à 5100 m . Le domaine des dieux doit sûrement commencer au delà de cette limite car jamais ils n'auraient permis cela, à cette altitude en solo et après le sommet, c est une tentative de meurtre à mon avis. En plus il y avait mon journal et mes notes de montagne mais il a tout pris même les poubelles ce qui n'est pas normal pour un bolivien. Dur après les 10h de marche pour le sommet et sa redescente a rêver du carre de chocolat, de s'apercevoir que celui ci a été volé.

Dure expérience mais assez formatrice, j'ai négligé quelque chose et ça a pas pardonné. Bien fait pour ma gueule, c'est pourtant évidant qu'à 5100 il faut payer un gardien à 50 dollars par jour pour garder une tente vide et un carre de chocolat...

Voila brièvement mes 15 dernier jours dure moralement et puis je pense que la solitude commence à peser à la fin un grand soliste français (Moulin) a dis que le solo ça rendait fou. C'est  clair qu'il a raison mais je pense moi qu'il faut être fou pour faire du solo donc si en plus ça rend fou ça va faire de moi un deux fois fou. J'ai peur qu'on m'enferme quand je rentrerai en France...

Bon j'arrête même si je pourrais écrire encore beaucoup parler du vent, du soleil, des labyrinthes glaciers, des chutes de pierres, de mes igloos, de la profonde sur l'arrête à 6000m, des réveils où tout n'est que glace, des couchers de soleil, des levés, de la vue du lac titicaca au sommet, d'un rocher qui fou le camp sous mes pieds sur une arrête me laissant pendu à un piolet les deux pieds dans le vide....

Aora opération reconstruction à base de bonne bouffe et de sommeil

Bises a tous

Seb