18. Juin 2003 - Coup de blues


Je reviens de l'Uyana Potosi, un sommet à 6088 m, le truc classique en Bolivie. Du coup, je n'ai pu m'empêcher de le faire par une autre voie que la voie normale histoire de pas suivre trop de traces « via de los frances » enchaîne avec l'arête sommitale sud-ouest, le tout côté D et du beau boulot surtout qu'il fallait faire la trace !

Départ de la Paz, bus bondé à 5h du mat ; pas de place assise, les galères de bus c'est le pire du voyage je crois ; ce bus là rivalise avec ceux d'Inde et bien sûr le fait qu'un grongo le prenne, ce fait marque. Normalement l'accès au sommet c'est en 4.4 que ça se fait.

Arrivé au pied du sommet, j'attaque la marche. Il parait qu'il faut 6h pour atteindre le campo argentino à 5500 ; 3h plus tard j'y suis même si j'ai un sac plus lourd que ce qu'il devrait être (4 jours de bouffe au lieu de 2). Du fait de cette avance, après-midi à rien faire à part faire de l'eau, la routine des camps d'altitude. Je suis seul et c'est pas plus mal ; je me creuse un trou pour dormir afin de ne pas avoir a déplier la tente qui ne demande pas mieux vu quelle est en piteux état. D'autres expés dorment une heure en dessous.

A 2h30 la première expé me réveille étonnée de voir quelqu'un dormir sans tente… moi je dormais bien mais bon quand il faut y aller faut y aller. A 4h je quitte le camp. Plusieurs groupes sont déjà passés : eux ils prennent à droite pour la voie normale, moi je pars à gauche, traverse le glacier jusqu'à une crevasse large environ 1m. J'aime me pencher pour regarder la solidité des bords et la profondeur. Et là je fais tomber ma frontale à l'intérieur. Belle frontale Pezlt offerte par mon père. J'ai grave les boules et, comme c'est souvent le cas en solo, c'est le petit truc qui déclenche la marée noire ds ma tête.

Je saute la crevasse ss réfléchir plus et continue ds le noir, la tête brouillée. Je me demande pourquoi je m'emmerde autant, pourquoi je prends des bus de merde là où les autres voyagent en taxi, pourquoi je porte des sacs de 30kg alors que les autres ont des porteurs, pourquoi je dors dehors quand les autres utilisent des tentes north face, pourquoi je bouffe des putains de soupes de nouilles quand les autres ont un cuistot qui les gave, pourquoi je passe 3h au bord de la route à faire du stop à l'arrivée du sommet alors que les autres ont leur taxi qui les attend avec du thé et des bières... Tout pour en réalité le même résultat: Uyana Potosi.
Qu'importe la voie, qu'importe qu'ils aient des échelles pour les crevasses, qu'importe qu'ils posent des rappels pour descendre, qu'importe que je trace ds 30 de neige, que chaque crevasse soit une galère, que la descente soit la partie la plus difficile de ma route.

Je broie du noir tout en marchant (ds le noir de fait).J'ai l impression de traîner, j'ai plus goût à gd chose.

 


J'avais déjà ressenti ça au Muztaga Ata avec les grosses expés qui  s'y trouvent ds un luxe non négligeable, ne serait-ce que parce que matin midi et soir elles ne mangeaient pas de soupes de nouilles !

Bref, c'est un peu de jalousie, même bcp. Quel est le sens de tout ça?
Bref, je monte ds cet état d'esprit jusqu'à 6000. A 50m du sous sommet de l'Uyana Potosi et à la fin de la via de los frances, là je fais une pose et je m'aperçois que j'ai mis deux heures là où le guide disait 4h ! Du coup, je redescends le sous sommet et enchaîne avec l'arête sud-ouest marquée comme très expo ds le guide. Je passe ss pb et atteints le sommet à 7h30 en même temps que la première cordée de la voie normale.

Ce sont des allemands ; ils se demandent d'où je sors. Le guide lui-même est étonné. Il me dit que je suis le premier à sortir ces 2 voies cette année. Vu comme j'ai brassé, je m'en doute !

Ils commencent à descendre. Je rigole. Il pose des rappels alors que c'est quasi plat. A mon tour j'y vais. Je leur passe à côté un peu désinvolte, certes, mais bon, sorte de vengeance ! Puis je croise deux français et leur guide : il sont à l'agonie et c'est méchant ms ça me fait plaisir puis 3 néo-zélandaise qui renoncent à 5800.
Et là je comprends que l'on n'achète pas un sommet ! Je découvre la valeur de ce que j'ai appris au cours de mes séjours en altitude. Je découvre que je sais des choses, que l'altitude c'est quelque chose que je connais plutôt bien, je sais quand boire et quoi et quand manger et quoi, je sais à quel moment je dois faire des poses et pas, le tout en fonction du sac, de l'altitude, de la pente, bref je me connais.
Fini de broyer du noir, il fait jour et qu'importe que je n'ai plus de frontale ! J'ai sorti un sommet par une belle voie et je le descends en courant par la voie normale.
C'est marrant de voir comme le moindre petit truc peu tout faire basculer ! Tout est ds la tête la haut et je le sais encore un peu plus aujourd'hui. Nouvelle leçon de vie !

Défait, je me suis mis à la recherche d'une nouvelle frontale. Le sommet m'a à peine fatigué et je crois que je tiens une caisse du feu de Dieu spécialement quand je dépose le sac. Rien à voir avec la caisse des compétiteurs, non, je fais pas après, pas lentement (bis tare - bis tare) mais sans m'arêter et au final c'est putain de rentable, surtout au dessus de 6000
Voilà ma petite histoire de l'Uyana Potosi qui fut, comme toujours, porteuse de gdes leçons même au pris d'une frontale!

Bises à tous.
Seb